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FOYERS DE CULTURE

Le discrédit qui a frappé l'histoire littéraire depuis une trentaine d'années est loin d'être immérité. Discipline bâtarde, affaiblie par la pratique scolaire, elle a répandu la croyance en un univers de la création littéraire nourri de sa propre substance et jouissant d'une autonomie presque complète. Rien n'est plus faux que ce modèle de représentation, sinon le modèle inverse qui fait des phénomènes culturels la résultante ou l'écho des conditions économiques. Notons que ces deux systèmes réducteurs ont un point commun : ils reposent l'un et l'autre sur des conceptions déterministes qui étaient celles des scientifiques du milieu du xixe siècle.

L'histoire littéraire était également responsable d'une sous-estimation de l'interdépendance des faits culturels d'une discipline à l'autre. Comment parler du symbolisme mallarméen en laissant de côté la Revue wagnérienne, qui avait les mêmes rédacteurs, la même esthétique, et parfois les mêmes lecteurs que les revues littéraires symbolistes ? Comment ignorer qu'au même moment, dans les ateliers des peintres impressionnistes, on tournait autour d'une problématique très proche de celle qui se discutait dans le salon de Mallarmé ? Comment parler de la littérature de la Renaissance sans tenir compte de ce qui se passait chez les musiciens, les artistes et les théologiens ?

Comment oublier aussi les lieux privilégiés qui ont vu se succéder un si grand nombre de créations, d'affrontements, de dialogues qu'ils en acquirent un durable pouvoir d'aimantation sur certains groupes d'hommes ? Encore faut-il que le génie des lieux ait été matérialisé par des architectes et des artistes. Les foyers culturels n'ont pas tous eu la beauté et la pérennité de Florence, de Fontainebleau, de Versailles ou d'Oxford. Que reste-t-il du collège de Coqueret, où s'est épanouie la génération de la Pléiade ? Comment pourrait-on aujourd'hui reconstituer le cadre matériel d'un cénacle romantique, d'un café littéraire du xviiie ou du xixe siècle, du Bateau-Lavoir ? Autant de lieux éphémères mais dont l'action en profondeur a été considérable et de longue durée, car ils étaient situés sur les articulations d'une société en devenir, à l'écart des institutions, tout en contribuant à rendre opératoires des effervescences qui, laissées à l'état sauvage, n'auraient eu que des effets perturbateurs.

Notons aussi que les foyers de culture, pour peu que leur durée d'existence aille au-delà d'une génération, passent par plusieurs phases : une phase expérimentale et créatrice, une phase d'expansion, puis, quand le succès se confirme, une phase de domination, accompagnée de la mise au point des techniques de communication et de pédagogie. Après quoi l'académisme et la sclérose ne sont pas loin. Rares sont les mouvements culturels qui vont jusqu'au bout du cycle : beaucoup s'ensablent dès le deuxième ou le troisième stade. Mais, de toute façon, rien ne se perd, et il arrive que les fragments dispersés d'un foyer mort retrouvent une vie autonome, se fondent dans d'autres courants ou bien s'immergent dans la littérature populaire.

On n'a pas tenté ici de dresser un historique exhaustif des foyers de culture mais bien de proposer – à partir de la rupture que constitue la Renaissance – une typologie du lieu culturel tel qu'il a pu apparaître à des moments cruciaux de l'histoire littéraire et spirituelle française. Deux variables essentielles ont été prises en compte : à travers leur évocation, le collège universitaire, la société de cour, le salon au xviiie siècle ou encore l'atelier romantique permettent de percevoir quel type inédit d'univers mental, avec sa hiérarchie et sa structure interne, se[...]

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Écrit par

  • : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen

Classification

Pour citer cet article

Gilbert GADOFFRE. FOYERS DE CULTURE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Théâtre d’ombres au cabaret du Chat noir - crédits : Musée Carnavalet/ Leemage/ Bridgeman Images

Théâtre d’ombres au cabaret du Chat noir

<it>Une lecture chez Madame Geoffrin</it>, A.C.G. Lemonnier - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Une lecture chez Madame Geoffrin, A.C.G. Lemonnier

<it>L'Atelier de Bazille</it>, F. Bazille - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

L'Atelier de Bazille, F. Bazille

Autres références

  • BEACH SYLVIA (1887-1962)

    • Écrit par Universalis
    • 607 mots

    Sylvia Beach fut, avec Adrienne Monnier, l'une des grandes figures de la vie littéraire parisienne, en particulier dans les années 1920, lorsque sa librairie offrait aux écrivains expatriés un lieu de rencontre et accueillait les auteurs français qui découvraient un nouveau continent, la littérature...

  • BERLIN (foyer culturel)

    • Écrit par Lionel RICHARD
    • 4 420 mots
    • 4 médias
    Certes, Berlin-Ouest et Berlin-Est, dans leur fusion, forment un exceptionnel foyer de culture : trois opéras, chacun avec ses propres musiciens et son corps de ballet ; trois salles de concert, accueillant les chefs d’orchestre les plus talentueux ; une trentaine de théâtres ; une centaine de musées....
  • PARIS ÉCOLES DE

    • Écrit par Claire MAINGON
    • 2 622 mots
    • 1 média
    ...du xxe siècle. À cette époque, et notamment grâce aux expositions universelles qui l'ont consacrée Ville Lumière, Paris représentait le premier foyer culturel et intellectuel mondial. Les artistes étrangers ont été très nombreux à venir y chercher un esprit de liberté. Il s'agissait non...

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