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ART (Aspects culturels) Le marché de l'art

Il n'existe pas un, mais plusieurs marchés de l'art. La distinction majeure se situe entre le marché des œuvres « classiques », au sens de « classées », intégrées dans le patrimoine historique, et le marché des œuvres actuelles. Le modèle de référence pour l'ensemble de ces marchés est celui de la constitution de la valeur du chef-d'œuvre ancien, caractérisé par son excellence artistique et sa rareté extrême. Le marché dont dépendent, au moins partiellement, la reconnaissance sociale des créateurs et leurs moyens d'existence est le marché de l'art contemporain. L'un et l'autre traversent, depuis les années 1970, une crise qui appelle une intervention accrue des pouvoirs publics.

Définition sociale et valeur économique de l'œuvre d'art

La définition sociale de l'art sur laquelle nous vivons est un héritage du xixe siècle. L'œuvre, produit du travail indivisible du créateur, est définie par son unicité, son originalité et sa gratuité. Cette définition, contestée mais dominante, est le produit d'une histoire au cours de laquelle l'art est devenu autonome, en se différenciant de l'artisanat et de l'industrie. La première étape de ce long processus d'affranchissement se situe en Italie, à la fin du xve siècle : les activités du peintre, du sculpteur et de l'architecte, considérées comme radicalement distinctes des métiers manuels, ont accédé alors à la dignité d'arts « libéraux ». L'artiste n'est plus un artisan, mais un créateur. La seconde étape coïncide avec la première révolution industrielle : à la division du travail, à la production en série, aux valeurs d'utilité, l'œuvre d'art s'oppose comme le produit unique du travail indivisible d'un créateur unique et elle appelle une perception pure et désintéressée. Cette définition sociale se traduit, juridiquement, par la notion d'originalité et, économiquement, par la notion de rareté. Il semble qu'en dernière analyse le droit soit mis au service du maintien de la rareté et que la rareté soit, comme l'affirmait Marcel Duchamp, l'ultime « certificat artistique » (article 1er du décret du 10 juin 1967 définissant les œuvres originales).

Unique, irremplaçable, et néanmoins aliénable, bien de jouissance quasi indestructible car le regard qui la contemple ne l'altère pas, bien stérile comme l'or et se situant, comme lui, dans la catégorie des placements de refuge ou de spéculation, l'œuvre d'art est le type idéal du bien rare à offre rigide dont la valeur est déterminée par la demande. De Ricardo à Marx, en passant par Stuart Mill, les économistes ont reconnu le statut économique particulier de l'œuvre d'art, en relation étroite avec le caractère unique de l'œuvre. Son prix n'a pas d'autre limite que celle du désir et du pouvoir d'achat des acquéreurs potentiels. Il s'agit, dans l'acception marxiste du terme, d'un prix de monopole (Karl Marx, Le Capital, liv. III, t. iii, pp. 25 et 158, Éd. sociales, Paris, 1960).

Même si les économistes modernes sont parvenus à démontrer que la situation de monopole est rarement pure de tout élément de concurrence (cf. en particulier E. H. Chamberlin, The Theory of Monopolistic Competition, Harvard Univ. Press, 1927 [trad. franç., P.U.F., 1953] et J. Robinson, Economics of Imperfect Competition, Londres, 1933), on peut dire qu'aucun des secteurs du marché artistique, fût-ce celui des « chromos », n'échappe à la fascination de la différence qui est au principe de la rareté et du monopole économique d'une part, de la valorisation de l'auteur dans la compétition artistique d'autre part.

Les déterminants extraéconomiques de la demande des biens artistiques rares relèvent de l'interprétation[...]

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Écrit par

  • : directrice de recherche émérite au CNRS
  • : professeur de sociologie de l'art à l'université de Marne-la-Vallée, ancien élève de l'École normale supérieure de Cachan et de l'Institut d'études politiques de Paris, professeur agrégé de sciences sociales, membre de l'Institut universitaire de France

Classification

Pour citer cet article

Raymonde MOULIN et Alain QUEMIN. ART (Aspects culturels) - Le marché de l'art [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>The Big Family n<sup>o</sup>1</it>, Zhang Xiaogang - crédits : Daniel Berehulak/ Getty Images News/ AFP

The Big Family no1, Zhang Xiaogang

<it>Canyon</it> de M. Mayer à la Foire internationale d'art de Bâle, 2007 - crédits : Fabrice Coffrini/ AFP

Canyon de M. Mayer à la Foire internationale d'art de Bâle, 2007

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE DE L'ART

    • Écrit par Brigitte DERLON, Monique JEUDY-BALLINI
    • 3 610 mots
    • 1 média

    L’anthropologie de l’art désigne le domaine, au sein de l’anthropologie sociale et culturelle, qui se consacre principalement à l’étude des expressions plastiques et picturales. L’architecture, la danse, la musique, la littérature, le théâtre et le cinéma n’y sont abordés que marginalement,...

  • ART (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 282 mots

    Les liens qui ont longtemps uni l’art et la religion se sont-ils distendus au fil de l’histoire ? L’art s’est-il émancipé de la religion pour devenir une activité culturelle autonome ? Alain (1868-1951) se serait-il trompé en affirmant que « l’art et la religion ne sont pas deux choses,...

  • FINS DE L'ART (esthétique)

    • Écrit par Danièle COHN
    • 2 835 mots

    L'idée des fins de l'art a depuis plus d'un siècle et demi laissé la place à celle d'une fin de l'art. Or, à regarder l'art contemporain, il apparaît que la fin de l'art est aujourd'hui un motif exsangue, et la question de ses fins une urgence. Pourquoi, comment en est-on arrivé là ?

  • ŒUVRE D'ART

    • Écrit par Mikel DUFRENNE
    • 7 938 mots

    La réflexion du philosophe est sans cesse sollicitée par la notion d'œuvre. Nous vivons dans un monde peuplé des produits de l'homo faber. Mais la théologie s'interroge : ce monde et l'homme ne sont-ils pas eux-mêmes les produits d'une démiurgie transcendante ? Et l'homme anxieux d'un...

  • STRUCTURE & ART

    • Écrit par Hubert DAMISCH
    • 2 874 mots

    La métaphore architecturale occupe une place relativement insoupçonnée dans l'archéologie de la pensée structurale qu'elle aura fournie de modèles le plus souvent mécanistes, fondés sur la distinction, héritée de Viollet-le-Duc, entre la structure et la forme. La notion d'ordre, telle que l'impose la...

  • TECHNIQUE ET ART

    • Écrit par Marc LE BOT
    • 5 572 mots
    • 1 média

    La distinction entre art et technique n'est pas une donnée de nature. C'est un fait social : fait qui a valeur institutionnelle et dont l'événement dans l'histoire des idées est d'ailleurs relativement récent. C'est dire qu'on ne saurait non plus considérer cette distinction comme un pur fait de connaissance...

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par Jean-François POIRIER
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • ACADÉMISME

    • Écrit par Gerald M. ACKERMAN
    • 3 543 mots
    • 2 médias

    Le terme « académisme » se rapporte aux attitudes et principes enseignés dans des écoles d'art dûment organisées, habituellement appelées académies de peinture, ainsi qu'aux œuvres d'art et jugements critiques, produits conformément à ces principes par des académiciens, c'est-à-dire...

  • ALCHIMIE

    • Écrit par René ALLEAU, Universalis
    • 13 642 mots
    • 2 médias
    ...phénomènes perçus par nos sens et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que le « beau est la splendeur du vrai » et que les structures « imaginales » existent éminemment puisqu'elles...
  • ARCHAÏQUE MENTALITÉ

    • Écrit par Jean CAZENEUVE
    • 7 048 mots
    ...le succès correspond peut-être à un besoin accru encore par les progrès de la pensée positive et pour ainsi dire en réaction contre elle. D'autre part, on peut trouver dans la vie artistique, sous toutes ses formes, la recherche d'une harmonie entre le subjectif et l'objectif, en même temps qu'un retour...
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