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VIKINGS

Le premier âge des Vikings

Les dates de 800 et de 930 délimitent approximativement le premier âge des Vikings, qui dura environ quatre générations. Ce fut un débordement inouï, sans nulle proportion avec la population de la Scandinavie. Successivement, puis presque simultanément, toutes les côtes septentrionales et occidentales de l'Europe et une bonne partie des côtes méditerranéennes furent abordées, sondées et ravagées. La quasi-totalité des grands fleuves furent remontés aussi haut qu'ils étaient navigables. Au-delà de l'Europe, les Suédois atteignirent le monde byzantin, le bassin de la mer Caspienne, l'Iran septentrional, peut-être le Turkestan ; les Norvégiens explorèrent les côtes marocaines et, dans le désert de l'Atlantique nord, découvrirent les îles Fær-Øer et l'Islande.

Méthodes et conséquences

Le monde chrétien, surpris, divisé, exploité avec une habileté presque diabolique, ne sut trouver aucune riposte appropriée. Il n'avait guère de flottes et pas d'armées permanentes, les fortifications n'avaient pas été renouvelées depuis le Bas-Empire et surtout il avait perdu l'habitude des guerres défensives. Les rares initiatives heureuses furent prises en Gaule par Charles le Chauve, qui eut l'idée de barrer les grands fleuves par des ponts fortifiés, mais ne trouva personne pour les garder, et en Angleterre par Alfred le Grand, qui obtint des résultats plus substantiels en créant une flotte et une défense territoriale appuyée sur une multitude de points forts (burhs). Le reste du temps, on essaya de dissuader les Vikings en monnayant leur départ ; ce danegeld (« tribut aux Danois »), était une mesure onéreuse qui incitait plutôt les pirates à renouveler leurs visites. Mais à la longue les ressources des pays attaqués s'épuisaient et les cadres administratifs capables de réunir ces tributs disparaissaient : il arrivait alors que les Vikings demandent des rétributions en terres plutôt qu'en numéraire ou en métal précieux. Ces différentes phases d'un engrenage désastreux ne se sont pas déroulées partout, ni sur le même rythme ; c'est dans les pays assaillis par les « armées » danoises qu'on les discerne le plus clairement.

La question des effectifs entraînés a fait l'objet de discussions véhémentes entre spécialistes. Il n'y a pas lieu de les croire très considérables : ils pouvaient compter de quelques centaines à deux ou trois milliers d'hommes, plus nombreux seulement dans le cas des « armées » séjournant longtemps outre-mer et nourries de renforts si leurs opérations se révélaient fructueuses. Leur extrême mobilité, sur mer comme sur terre, où les Vikings se muaient aisément en cavaliers, ainsi que le caractère imprévu de leur tactique, les rendaient plus redoutables que leur nombre.

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C'est assez vainement aussi que l'on s'est souvent demandé quelle fut la portée économique de ces expéditions. Dans leur principe, du moins chez les vrais Vikings (le cas des Varègues est tout autre), elles étaient uniquement prédatrices ou, surtout chez les Norvégiens, colonisatrices, mais nullement commerciales. Les échanges n'étaient qu'une manière de tirer meilleur parti du butin accumulé et des séjours dans des pays produisant des denrées appréciées des Nordiques, comme le vin. Jusque vers la fin du xe siècle, la monnaie obtenue était immédiatement convertie en lingots ou en anneaux. Le Viking n'a rien d'un commerçant né. Cependant tout un peuple de mercantis profite de la situation créée par les expéditions : Frisons, Scandinaves ou même Orientaux s'entendent à tirer de cette économie de proie d'immenses bénéfices et leurs opérations font naître de grands centres de traite. Ceux-ci périclitèrent quand, après le triomphe de la monnaie, s'établit un système d'échanges moins rudimentaire. Les principaux emporia sont Hedeby, aujourd'hui dans la banlieue de la ville allemande de Schleswig, Birka, dans une île du lac Mälar à l'ouest de Stockholm, Kaupang (ou Skiringssal), sur le fjord d'Oslo près de Larvik, tous en relations étroites avec les ports septentrionaux de l'empire franc, comme ceux de Dorestad (près d'Utrecht) et de Quantovic (près d'Étaples).

Les différents champs d'opérations

On distingue les différents champs d'opérations selon les nationalités dominantes, sans pourtant oublier que les Vikings sont souvent cosmopolites, que la « langue danoise » n'offre encore que peu de variations régionales et que la nationalité d'un « roi de la mer » ne préjuge pas de celle de ses troupes.

Les Norvégiens, qui opèrent volontiers par petits groupes, voire individuellement, se sont d'abord dirigés, au viiie siècle, vers les îles proches, Shetland et Orcades, et vers le nord de l'Écosse : dans ces pays qui rappelaient leur mère patrie, ils ont rapidement fondé des colonies agro-pastorales, submergeant les populations locales. De là, les uns ont poussé vers le sud-ouest, vers l'île de Man, vers l'Irlande surtout, où après de longues luttes ils fondèrent des établissements côtiers, ancêtres des principales villes d'aujourd'hui (Dublin, Waterford, Limerick). Au-delà, ils ont razzié les côtes de la Manche occidentale, du golfe de Gascogne, de la Galice et du Portugal, puis découvert vers 840 le détroit de Gibraltar et saccagé de loin en loin l'Andalousie, le Rif, voire la vallée inférieure du Rhône ou la côte toscane. Un autre rameau de l'expansion norvégienne se dirigea vers les domaines déserts de l'Atlantique nord, pour y chercher des terres de peuplement : dans les Fær-/Oer et en Islande, atteinte vers 860.

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Les Danois, dont l'organisation collective est bien plus forte, se sont intéressés presque uniquement à l'Angleterre et à la moitié septentrionale de l'empire carolingien. Opérant par « armées » de façon assez méthodique, ils ont été les adversaires les plus redoutables des États occidentaux. Chez eux seulement, le danegeld, à partir de 845, puis les cessions de territoire se pratiquent sur une grande échelle, après la conclusion de traités. Leurs premières opérations furent certainement liées à la menace politique que constituait pour le Danemark la conquête de la Saxe par Charlemagne. À partir du milieu du ixe siècle, les Danois se sont volontiers faits créateurs d'États. La plupart de leurs fondations furent éphémères, mais deux eurent une signification durable : le royaume d'York, né en 876, qui domina le nord-est de l' Angleterre (appelé plus tard Danelaw, « [pays de la] loi danoise ») et vécut un demi-siècle, et le duché de Normandie fondé à Rouen en 911 par Rollon, chef sans doute norvégien d'une troupe surtout danoise.

Les Suédois, avant tout mercenaires et trafiquants, s'engagèrent au début du ixe siècle sur la côte qui leur faisait face, en Finlande et en Courlande. Puis, aidés par des Finnois, ils découvrirent très vite le réseau des fleuves russes et ses immenses possibilités. Dès 839 ils atteignirent la mer d'Azov, dès 864 la mer Caspienne. Au-delà, ils sondent, sans résultats avantageux, les défenses de Constantinople (attaquée en 860 et 941) et de l'Iran. Mais surtout ils s'installent au passage dans le monde slave, louant leurs bras et faisant le commerce des esclaves, et ils en viennent vite à jouer un rôle déterminant, encore que ses modalités soient très discutées, dans le processus qui fait alors des cités fluviales russes le foyer de cristallisation de formations étatiques. Un Varègue suédois, Rurik, fixé à Kiev vers 882, est l'ancêtre de la principale dynastie russe du Moyen Âge.

Dans ce domaine, il n'est pas question de colonisation, tout au plus d'encadrement, et surtout d'aventure. La recherche de cette dernière poussera de nombreux Scandinaves, jusqu'au milieu du xie siècle, à servir comme mercenaires l'empereur de Constantinople (« garde varangienne »), qui les utilise aussi bien en Anatolie qu'en Sicile, et les divers princes russes. Les inscriptions runiques suédoises mentionnent souvent ceux qui sont partis chercher de l'or sur ce « chemin de l'Est ».

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Quand cette ruée sauvage s'achève, dans le second tiers du xe siècle, les résultats obtenus sont très inégaux. Des colonies nordiques ont été durablement implantées dans les îles atlantiques, devenues des annexes du monde scandinave, et à un moindre degré dans le Danelaw et en Normandie. Des courants d'échanges sont nés, de la mer d'Irlande à la Baltique et à travers l'espace russe. Mais l'étendue des dégâts subis par l'Occident, Allemagne exceptée, est effrayante, et le système politique élaboré par les Carolingiens est définitivement ruiné.

L'accalmie

Vers 930 et pour une cinquantaine d'années, l'immense effort scandinave se relâche. On enregistre fort peu de nouvelles entreprises et beaucoup de celles qui avaient paru réussir à la période précédente sont abandonnées. Les États danois du nord-est de l'Angleterre sont soumis les uns après les autres par les rois de la dynastie de Wessex. La Normandie surmonte à grand-peine une crise très grave qui s'est produite en 942. Mais les dépendances atlantiques se consolident, le peuplement de l'Islande se densifie et un embryon d'État, formaliste et peu efficace, s'y organise. La Russie kiévienne garde tout son dynamisme, en s'appuyant de plus en plus, il est vrai, sur le milieu slave.

Les raisons de cette pause sont multiples et encore mal connues. Le triomphe progressif de l'économie monétaire, les débuts de la conversion du Danemark au christianisme, la consolidation d'une nouvelle monarchie danoise autour de la dynastie de Jelling y ont eu respectivement leur part, et sans doute aussi un certain épuisement du monde scandinave.

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Caen

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