VIGNES ET VINS
La vigne a été domestiquée pour satisfaire les goûts et les besoins de l'homme. Le produit immédiat est le raisin, fruit très périssable ; les produits de garde, qui se conservent plusieurs années, sont préparés par le séchage (raisins secs) ou, après foulage, par la fermentation (vin) ou la concentration (marmelades) ; le produit refuge est l'alcool, qui se conserve des dizaines d'années et qui est obtenu à partir du vin ou des raisins secs.
Au début du xxie siècle, le vignoble mondial couvre près de 8 millions d'hectares produisant annuellement quelque 270 millions d'hectolitres de vin, 140 millions de quintaux de raisins de table et 10 millions de quintaux de raisins secs. Le vin est souvent le produit principal de la culture, mais il cède le pas au raisin et aux concentrés dans les pays de religion musulmane. Selon les techniques de transformations mises en jeu, on peut, à partir du raisin, obtenir une gamme extrêmement variée de produits, qui s'ajoute à la diversité des cépages et des crus.
Les vins de table se divisent en vins rouges, vins rosés et vins blancs ; ces derniers peuvent être plus ou moins liquoreux en fonction du taux de sucre qu'ils contiennent. Les vins mousseux sont produits par une deuxième fermentation soit en bouteilles (champagne, mousseux méthode champenoise), soit en cuves (mousseux produits en cuves closes). Les vins doux naturels (porto) et les vins de liqueur sont préparés par addition d'alcool au jus de raisin, avant, pendant ou après la fermentation alcoolique. Les mistelles et les vermouths, qui comprennent l'addition d'alcool et éventuellement de principes aromatiques, sont destinés exclusivement à la préparation d'apéritifs. Enfin, les vins spéciaux (xérès, madère) sont obtenus à partir de techniques de vinification très particulières.
Le raisin et le vin sont des milieux biologiques d'une grande complexité ; par conséquent, au cours de la vinification, de la conservation et du vieillissement, ils peuvent être le siège d'un grand nombre de transformations chimiques ou biologiques. L'intervention de l'œnologue consiste à placer le vin dans des conditions telles que les transformations utiles soient réalisées et que celles qui sont nuisibles soient évitées.
Appuyée sur un marché domestique puissant, la viticulture française a imposé son image au reste du monde. Depuis quelques décennies, cependant, elle se trouve prise en tenaille entre la réduction de la consommation nationale et la concurrence de plus en plus vive qu'exercent des productions étrangères de qualité : à ses frontières mêmes, au sein de l'Union européenne, mais aussi, et de façon remarquable, dans les deux Amériques, en Afrique australe, en Océanie... Portés par un marketing efficace, ces vins des « nouveaux mondes » alimentent un marché international en croissance rapide, accompagnant et développant de nouveaux rapports au vin, de nouvelles attentes, un nouvel imaginaire.
Le vignoble
Origine de la vigne
Les vignes à vin, de la famille des Vitacées, appartiennent au genre Vitis originaire, dans l'hémisphère boréal, d'une aire primitive qui a été fractionnée par la séparation des continents. Le tronc américain comprend quelques espèces uvifères dont une seule est cultivée, à petite échelle, dans l'est des États-Unis et au Canada : Vitis labrusca ou fox grape ; ses raisins, qui ont un fort goût de framboise, sont dits « foxés » ; les vins qui en résultent ne sont généralement pas appréciés en Europe. Les autres espèces américaines, particulièrement résistantes au phylloxéra, servent de porte-greffes : V. riparia, V. rupestris, V. berlandieri. De l'Europe au Tianshan [Tien-chan], le tronc eurasiatique n'est représenté que par une seule espèce, Vitis vinifera, alors qu'en Extrême-Orient il comprend notamment V. amurensis, dont les raisins sont cueillis sur les plantes sauvages des rives de l'Amour et de l'Oussouri, V. coignetiae, au Japon et à Sakhaline, et d'autres espèces, quelques-unes épineuses ; toutes sont sensibles au phylloxéra. Des espèces résistent au froid de l'hiver (V. riparia, V. labrusca, V. amurensis) ; d'autres sont adaptées aux climats sans hiver (V. caribaea).
Ce n'est qu'au xixe siècle que l'isolement des espèces fut interrompu par suite de l'invasion phylloxérique qui a détruit le vignoble français en un quart de siècle et qui n'a trouvé de remède que dans le greffage de V. vinifera sur les espèces américaines résistantes. Parallèlement, la résistance des vignes américaines aux maladies du feuillage a permis la création, par croisement avec V. vinifera, d'hybrides producteurs directs ; ceux-ci remplacèrent, notamment dans les régions exposées au froid de l'hiver et au mildiou, le vignoble traditionnel. L'étude des espèces, la sélection et la création par croisement de variétés porte-greffes et de producteurs directs, l'étude des caractères et des aptitudes des variétés ont fait l'objet de travaux considérables ; l'essentiel était acquis avant 1900.
Les cépages
Vitis vinifera, cultivée pour ses fruits succulents, d'où proviennent tous les meilleurs vins du monde, comprend plus de six mille variétés ou cépages, dont plusieurs centaines font l'objet d'une exploitation. Elles ont pour origine les restes de la flore tertiaire établis en peuplements naturels dans les forêts, sur les montagnes ou sur les rives des cours d'eau. La domestication de la vigne s'est faite par le prélèvement des boutures sur ces vignes sauvages et par la sélection des types qui se sont maintenus jusqu'à l'heure actuelle (pinot, riesling, kadarka, rkatsiteli, rosaki). D'autres cépages sont des clones obtenus à partir d'un seul pied issu de semis (alicante, bouschet, italia, müller-thurgau). Selon les aptitudes des cépages, on distingue les raisins de table (baies charnues ne giclant pas à la mastication et pouvant être prises avec les doigts sur des grappes lâches : alphonse-lavallée) et les raisins de cuve (baies juteuses donnant des moûts de bonne qualité : grenache) ; les raisins secs sont le plus souvent apyrènes. Le profil économique des raisins de cuve est déterminé par le degré alcoolique et l'acidité du vin (vins de table, de garde capables de vieillir, généreux ou de dessert, à distiller, etc.) et par la dégustation qui sépare, dans chaque catégorie, les vins fins (chardonnay) des vins ordinaires (ugni blanc) ou des vins communs et même grossiers (aramon, 18.315 S.V.). En France, le choix des cépages est réglementé, que ce soit pour la production des vins de coupage ou des vins de cru, bénéficiaires d'une appellation d'origine.
La création rapide d'un très grand nombre de plants, formés en groupes homogènes et dont les exemplaires, identiques pour chacun, réagissent uniformément, recourt au bouturage et au greffage. Les vignes greffées sont établies par le greffage sur place de plants racinés, si le climat est propice à la soudure en plein air, ou par la plantation de plants greffés et soudés obtenus en pépinière ou par des méthodes de forçage.
Importance du milieu naturel
Le climat est caractérisé, principalement, par la chaleur et la lumière reçues pendant la période de vie active de la vigne. D'une façon générale, le vignoble tend à quitter les situations septentrionales, dont les produits sont acides et peu sucrés, au profit des régions méridionales, adaptées à la production de vins généreux, alcooliques, sucrés et peu acides, où les gelées sont moins fréquentes et moins intenses. Toutefois, des couvertures de plastique avancent, dans les régions froides, la récolte des raisins de table précoces.
Lorsque le sol est profond, riche et frais comme dans les plaines et les vallées basses, les rendements sont élevés, mais la qualité du vin est faible ; les collines et les coteaux, de culture moins facile, produisent les meilleurs vins. Les caractéristiques du vin dépendent essentiellement des composants minéraux liés à l'origine géologique du sol et la définition des aires de production des vignobles typiques tient compte de cette donnée. Aux problèmes classiques, comme la chlorose qui se manifeste sur les sols calcaires, ou le salant observé dans les terres conquises sur les lagunes et dans les plaines d'estuaire du pourtour méditerranéen, s'ajoutent avec une fréquence croissante, à la suite de l'abandon des terrages et des amendements, les symptômes des carences minérales (bore, par exemple) et, par suite des apports répétés de soufre, une acidification excessive des sols naturellement acides (Roussillon) ; ces troubles sont corrigés par des amendements.
Entretien du vignoble
Les pratiques annuelles ont pour but l'obtention d'un produit déterminé. Le mode de conduite (taille, palissage, disposition des plantations) est soumis à deux tendances contradictoires ; comme les vins naturellement alcooliques ne peuvent être obtenus que sur des souches faibles, de plantations denses, produisant peu et conduites près du sol, la recherche de produits d'une qualité élevée est, au moins en partie, en opposition avec la rentabilité des exploitations qui repose sur la diminution des coûts et l'augmentation des rendements. C'est ainsi que l'adoption des instruments attelés au xixe siècle, puis la motorisation au xxe siècle ont exigé une diminution importante de la densité de plantation, ce qui a eu pour conséquence une augmentation de la vigueur des souches et une certaine altération de la qualité. L'augmentation du rendement par la taille longue, par la vulgarisation du système Guyot au xixe siècle et par les charges considérables adoptées dans les cultures « hautes et larges » a rendu nécessaire la correction artificielle des moûts. De telles pratiques ne se sont cependant pas généralisées en France (en partie du fait de la réglementation), même à l'occasion de l'introduction des machines à vendanger qui se sont révélées, finalement, adaptées au mode de conduite courant. Si certains vignobles ont été transformés complètement, comme celui de la Champagne dans lequel la densité de plantation est revenue la plupart du temps de 5 000 plants par hectare à moins de 1 000, d'autres n'ont subi que des modifications mineures, comme le vaste vignoble méditerranéen, ou sont restés fidèles au type traditionnel, comme le Médoc.
La mécanisation a permis de multiplier les labours, de mieux combattre l'enherbement et de développer les effets favorables des façons aratoires ; mais les labours profonds se sont montrés néfastes et le coût de l'équipement onéreux. Développé depuis 1960 environ, le désherbage chimique est assez bien connu pour que des exploitations entières aient abandonné les labours pour une « non-culture » qui n'a eu de conséquence fâcheuse ni pour la vigne ni pour le sol, et qui contribue à la survie des vignobles escarpés producteurs de bons vins ; d'autres exploitants se bornent à un désherbage partiel, sur la ligne.
Toujours utilisés avec modération dans l'ancien vignoble en raison de leurs effets défavorables à la qualité, les fumures se sont généralisées avec les engrais chimiques, en particulier les fumures azotées qui augmentent la vigueur des vignes ; elles ont pour conséquences une intensification de la pourriture et une altération de la qualité des vins. Une attitude plus rationnelle est souhaitable.
L'irrigation, dont les effets sont en rapport avec l'alimentation minérale, agit favorablement sur la croissance et sur le rendement, mais diminue la qualité. Elle n'est pas indispensable en France, où elle est réglementée pendant la maturation, sauf dans certaines situations locales.
Pathologie et parasitologie
Parmi les accidents, les gelées de printemps sont évitées par des procédés de réchauffement de l'atmosphère, efficaces mais coûteux. Les fortes gelées d'hiver requièrent la protection des souches en Europe centrale et en Russie. Quant à la grêle, l'incertitude des méthodes de lutte justifie l'assurance. À ces méfaits naturels s'ajoute la pollution industrielle qui est due notamment aux fumées d'usines (SO2 et HF) et aux poussières des cimenteries.
Parmi les maladies physiologiques, la coulure revêt plusieurs aspects : millerandage, chute des baies ; aggravée par la vigueur des rameaux, elle est combattue par le rognage et, parfois, par l'incision annulaire.
Dans les maladies à virus, la plus importante est le court-noué ; transmissible par le sol grâce à un nématode, il provoque des déformations, la coulure et le nanisme ; la lutte repose, d'une part, sur l'assainissement du sol par un long repos ou par la désinfection par un fumigant et, d'autre part, sur la sélection sanitaire conduite, notamment, dans les sols sableux qui ne communiquent pas la maladie. D'autres symptômes ont été attribués à diverses viroses (enroulement, marbrure, panachure, etc.), mais les conditions de leur propagation ne sont pas connues et on ne leur applique pas des méthodes de lutte particulières.
Des syndromes dénommés maladie de Pierce en Californie et flavescence dorée en Armagnac ont été attribués à des mycoplasmes transmis par les cicadelles, mais il est difficile de faire la part des dommages qui relève de la mycoplasmose et celle qui n'est que l'effet direct des insectes qui se nourrissent. Les insecticides sont des moyens de lutte efficaces.
La maladie bactérienne qui affecte la vigne n'existe qu'en France (départements charentais, Roussillon, Ardèche, Savoie), en Crète et en Afrique du Sud.
Les champignons parasites des feuilles sont responsables de dégâts considérables. Les principaux sont venus des États-Unis : oïdium (1845), mildiou (1878), black-rot (1885). Ils ont été combattus par des traitements chimiques appliqués sur le feuillage : soufre contre l'oïdium depuis 1847 ; bouillies cupriques contre le mildiou dès 1885, puis contre tous les autres champignons parasites dont les germes évoluent dans l'eau des pluies (black-rot, rougeot parasitaire) ; l'emploi de ces mixtures a été abandonné vers 1950 au profit des fongicides de synthèse (thiocarbamates, imides phtaliques notamment) qui sont employés seuls ou en mélanges organo-cupriques. L'anthracnose maculée, ou charbon, et l'excoriose, maladies des rameaux, ont entraîné des traitements d'hiver à l'arsénite de soude. Les appareils de traitement ont accompli des progrès, depuis la seringue primitive jusqu'aux appareils motorisés projetant un jet liquide, puis un brouillard avec peu de liquide, et aux engins tractés à canons oscillants et aux aéronefs ; la mécanisation complète des opérations permet des traitements rapprochés de quarante-huit heures au plus, ce qui est la condition du succès de la lutte dans les situations exposées.
Des champignons lignivores provoquent une maladie des tiges, l'esca ou apoplexie, qui entraîne la mort des souches ; ils sont combattus efficacement par l'application, pendant l'hiver, d'arsénite de soude sur les plaies occasionnées par la taille.
Enfin, la pourriture des grappes ou pourriture grise, provoquée par un champignon banal non inféodé à la vigne (Botrytis), est devenue, par suite des changements biochimiques apportés par les traitements pesticides et les fumures azotées, une cause majeure de diminution des récoltes. La lutte chimique, peu efficace, recourt aux imides, à la dichlofluanide, au benomyl ; mais, appelés à être appliqués sur les grappes pendant la maturation et peu avant la cueillette, les produits laissent des résidus dont certains ne sont pas sans effet sur les fermentations, la qualité du vin et la santé humaine.
De façon générale, les préoccupations croissantes en matière d'environnement amènent, depuis la fin du xxe siècle, à des évolutions des pratiques et des réglementations.
Parmi les parasites animaux, le plus important est le phylloxéra (Dactylosphaera vitifoliae). Originaire du centre et de l'est des États-Unis, cet insecte homoptère a envahi l'Europe par l'ouest à partir de 1863 ; progressant vers l'est, l'invasion est parvenue en Géorgie et en Asie jusqu'au méridien d'Ankara. Dans les territoires envahis, le greffage sur les vignes américaines résistantes a constitué la meilleure solution ; découverte en France, elle a permis de sauvegarder le patrimoine viticole mondial.
Il faut encore citer, parmi les ravageurs, les tordeuses de la grappe, les cicadelles, les thrips et les tétranyques dont la pullulation semble liée à des changements biochimiques comme dans le cas de la pourriture.
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Écrit par
- Michel BETTANE : directeur de la rédaction
- Jean BRANAS : professeur honoraire à l'École nationale supérieure agronomique de Montpellier
- Pascal RIBEREAU-GAYON : correspondant de l'Académie des sciences, professeur à l'université de Bordeaux-II, directeur de l'Institut d'œnologie de l'université de Bordeaux-II
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