Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TROUS NOIRS

Singularités et trous de ver

On appelle « trou noir » non pas l'objet qui se trouve au fond du puits de gravité, mais toute la région d’espace-temps confinée à l'intérieur de l’horizon des événements. Qu'y a-t-il cependant au fond d'un trou noir ? Et quel est le sort ultime de la matière qui y tombe ? La théorie de la relativité générale prédit que dans les configurations les plus simples, par exemple un trou noir statique et sphérique, l'effondrement gravitationnel engendre un nœud qui « étrangle » l'espace-temps. La matière s'accumule irréversiblement et indéfiniment dans ce nœud.

En mathématiques, une valeur infinie apparaissant dans un continuum s'appelle une « singularité ». Mais l'idée de voir de la matière s'entasser dans un point infinitésimal constitue une absurdité pour les physiciens. C'est pourquoi ils étudient des scénarios plus plausibles. On peut supposer, par exemple, qu'au voisinage du nœud, la gravité devient répulsive et permet à la matière de rebondir plutôt que de se comprimer indéfiniment. Ce qui n’était encore dans les années 2000 que pure spéculation a pris plus de consistance avec les calculs effectués dans le cadre de la théorie de la gravitation quantique à boucles – une autre voie d'approche pour unifier la relativité générale et la mécanique quantique, différente de la théorie des cordes. Dans cette théorie, l'espace serait formé de grains minuscules, mais pas infiniment petits, en conséquence de quoi sa courbure ne pourrait pas devenir infiniment grande ; dans un trou noir sphérique, l'écrasement de la matière et de l'espace se heurterait à une valeur finie, quoique très élevée, de la courbure, et s'inverserait pour donner lieu à un rebond.

Quoi qu’il en soit, toutes les étoiles tournent sur elles-mêmes ; comment donc les trous noirs, du moins ceux qui se sont formés à partir d'étoiles effondrées, ne tourneraient-ils pas sur eux-mêmes ? De fait, la relativité générale calcule que l'intérieur d'un trou noir de Kerr n'est pas infiniment étranglé par une singularité ponctuelle, mais abrite une singularité en forme d'anneau couché dans son plan équatorial. Du coup, il existe des trajectoires au sein du trou noir qui peuvent éviter le « crash » soit en survolant l'anneau singulier et en ressortant de l’horizon des événements, soit en passant carrément au milieu en évitant le bord, pour déboucher sur un univers infini, mais interne au trou noir.

Schéma d’un trou de ver dans l’espace-temps - crédits : J.-P. Luminet

Schéma d’un trou de ver dans l’espace-temps

L'idée que le fond des trous noirs en rotation n'est pas bouché, mais ouvre des passages vers d’autres régions de l'Univers a engendré la notion fascinante de « trous de ver ». Ces distorsions extrêmes de l'espace-temps pourraient connecter des régions très lointaines de notre Univers, voire, selon d'autres théories, d'autres univers. Les sorties des trous de ver seraient des « fontaines blanches » d'où jaillirait l'énergie engloutie par les trous noirs. Des physiciens ont proposé que le big bang pourrait lui-même être une immense fontaine blanche, reliée à un trou noir colossal d'un autre univers qui aurait déversé une partie de sa matière-énergie dans le nôtre. Notre Univers alimenterait à son tour d'autres « big bang » et d’autres univers avec ses propres trous noirs. De trous noirs en fontaines blanches reliés par des trous de ver, on en viendrait ainsi à considérer des univers en cascade.

Sans aller jusque-là, l’hypothèse des trous de ver traversables fascine les physiciens et, davantage encore, les écrivains de science-fiction, dans la mesure où, du moins selon certains calculs, les trous de ver feraient office de « raccourcis », permettant de voyager d’un bout à l’autre de l’Univers en s’affranchissant des distances normalement impossibles[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, laboratoire d'astrophysique, Marseille

Classification

Pour citer cet article

Jean-Pierre LUMINET. TROUS NOIRS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Galaxie NGC 1277 - crédits : NASA/ ESA/ Andrew C. Fabian/ Remco C. E. van den Bosch (MPIA)

Galaxie NGC 1277

Puits gravitationnel créé par un trou noir - crédits : J.-P. Luminet

Puits gravitationnel créé par un trou noir

Formation de trous noirs stellaires et sursauts gamma - crédits : J.-P. Luminet

Formation de trous noirs stellaires et sursauts gamma

Autres références

  • PREMIÈRE IMAGE DU TROU NOIR DE NOTRE GALAXIE

    • Écrit par Jean-Pierre LUMINET
    • 1 695 mots
    • 2 médias

    Le 12 mai 2022, la collaboration du réseau international de radiotélescopes EHT (Event Horizon Telescope) a révélé au public l’image de Sagittarius A* (SgrA*), le trou noir supermassif situé au centre de notre Galaxie (la Voie lactée), à 27 000 années-lumière de la Terre. Avant cette date, son...

  • PREMIÈRE IMAGE TÉLESCOPIQUE D'UN TROU NOIR

    • Écrit par Jean-Pierre LUMINET
    • 1 009 mots
    • 1 média

    Prédits dans le cadre de la théorie de la relativité générale, les trous noirs sont certainement les objets les plus mystérieux du cosmos. En raison de leur nature même de pièges à matière et à lumière, ils ne sont pas directement observables. Si les effets indirects qu’ils induisent sur leur...

  • TROU NOIR DE MESSIER 87

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 363 mots
    • 1 média

    Deux cents ans après que Pierre-Simon de Laplace a imaginé l'existence d'étoiles si denses que la lumière ne peut s'en échapper, les astronomes de la N.A.S.A. présentent en 1994 des indices significatifs en faveur de la découverte d'un trou noir. Les observations de la galaxie elliptique...

  • TROU NOIR DE NGC 1365

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 363 mots
    • 1 média

    Grâce au télescope spatial NuSTAR (Nuclear Spectroscopic Telescope Array), une équipe internationale d'astronomes, conduite par Guido Risaliti, professeur à Florence (Italie), a observé la rotation extrêmement rapide du trou noir situé au centre de la galaxie NGC 1365. Ce trou noir, dont la masse...

  • ASTRE ou OBJET CÉLESTE

    • Écrit par Marc LACHIÈZE-REY
    • 1 244 mots

    Le nom d'« astre » s'applique à tout corps céleste. Pour l'astronome de l'Antiquité, il désignait l'une des quelques milliers d'étoiles suffisamment brillantes pour être visibles à l'œil nu ou l'une des sept planètes (du grec planêtes[asteres],...

  • ASTROPARTICULES

    • Écrit par Pierre BAREYRE
    • 2 125 mots
    • 1 média
    ...en évidence à haute énergie par les détecteurs au sol. Markarian 501 a présenté en 1997 des bouffées de forte intensité dans les domaines X et gamma. Les sources ont pour origine des phénomènes dans des galaxies dites à noyau actif où un trou noir central supermassif (1 milliard de masses solaires)...
  • CHANDRASEKHAR SUBRAHMANYAN (1910-1995)

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 1 022 mots
    ...l'effondrement dû aux forces gravitationnelles est le phénomène marquant de leur vieillesse. C'est ainsi qu'apparaissent naines blanches, étoiles à neutrons ou trous noirs, extraordinaires objets où les conditions physiques qui y règnent sont si extrêmes que les interactions fondamentales « habituelles » agissent...
  • EINSTEIN ET LA RELATIVITÉ GÉNÉRALE, LES CHEMINS DE L'ESPACE-TEMPS (J. Eisenstaedt)

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 961 mots

    Si les principes et les conséquences de la théorie de la relativité restreinte ont été souvent, et parfois de façon excellente, vulgarisés, la complexité mathématique de la théorie d'Einstein de la gravitation – appelée relativité générale – est telle qu'elle n'est appréciée que d'un petit nombre...

  • Afficher les 25 références

Voir aussi