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TACITE (55 env.-120)

La postérité de Tacite

Comment juger Tacite ? La postérité n'a cessé de trouver dans un auteur aussi complexe les leçons les plus nuancées. Bodin avait pour lui des préférences, et le considérait à juste titre comme le modèle des grands commis ; il s'est servi de cette œuvre pour combattre le machiavélisme ; mais Machiavel avait cité Tacite, et Juste Lipse, le plus illustre éditeur de l'historien, s'en souvint pour fonder ce qu'on a nommé le « tacitisme ». Le xvie et le xviie siècle, épris de raison d'État, avaient un faible pour Tibère. Napoléon, fort de sa compétence, s'est défié, comme le signale P. Grimal, d'un historien qui trahissait les arcana imperii (l'armée, l'argent, la délation, la dispensation des charges) ; Auguste aurait sans doute apprécié Tacite, lui aussi, en le trouvant un peu trop vrai... Après La Boétie, après Racine, après Hugo, beaucoup d'autres ont trouvé chez Tacite non pas la complaisance envers le pouvoir, mais la dénonciation de la tyrannie et de l'esprit de servitude.

Certains ont reçu de lui une autre leçon : pour un Thrasea, pour un Sénèque, et aussi pour Pétrone ou Tibère, l'absolu est en eux-mêmes, au-delà de la politique. Il est permis quelquefois de se retirer dans la mort, ou dans des jardins. Il est permis aussi, même quand la mort est dérisoire, d'avoir pitié de ceux qui meurent. Avant Barrès, ou Camus qui a repris ce mot, il est « solitaire, solidaire » ; avant Bernanos, il unit l'indignation et la pitié dans une récusation fondamentale de la politique livrée à elle-même et séparée de ses fins morales, et dans l'affirmation d'un humanisme qui rejette en même temps la mollesse et la barbarie. Grande affaire pour son temps, et pour le nôtre. À travers l'amertume ou le dévouement, au-delà de la résignation, telle est la forme que prend chez Tacite l'humanité créatrice qui unifie son œuvre et sa vie.

— Alain MICHEL

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Écrit par

  • : professeur de langue et littérature latines à l'université de Paris-IV-Sorbonne, administrateur de la Société des études latines

Classification

Pour citer cet article

Alain MICHEL. TACITE (55 env.-120) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DIALOGUE DES ORATEURS, Tacite - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 763 mots

    Le Dialogue des orateurs (Dialogus de Oratoribus, vers 105 apr. J.-C.), dont on considère aujourd'hui que l'auteur est très probablement Tacite (vers 55-vers 120), fait délibérément écho, à un siècle et demi de distance, au grand traité latin de Cicéron, le De Oratore : même sujet...

  • LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) - La littérature

    • Écrit par Pierre GRIMAL
    • 8 569 mots
    • 2 médias
    ...la poésie et la prose : la prose, c'est-à-dire l'éloquence ; la poésie, en fait la tragédie. Que vaut-il mieux pratiquer ? Le problème sera résumé par Tacite, dans le Dialogue des orateurs, à la fin du ier siècle après J.-C. : l'éloquence est l'arme des délateurs, elle est teintée de sang et ne donne...
  • ROME ET EMPIRE ROMAIN - Le Haut-Empire

    • Écrit par Yann LE BOHEC, Paul PETIT
    • 35 262 mots
    • 17 médias
    ...correspondance qui fait revivre toute la bonne société de son temps, ainsi qu'un Panégyrique de Trajan. Considérablement enrichi, il était entré au Sénat. Tacite appartenait au même milieu. Après avoir rédigé des Histoires consacrées à la crise de 68-69, il avait publié des Annales qui voulaient montrer...

Voir aussi