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SUBLIME, littérature

« Sublime » est d'abord un terme technique, emprunté par la théorie littéraire à la rhétorique, décalque du latin sublimis, qui traduit le grec hupsos : « élevé », « en hauteur ». Il qualifie donc le « style élevé », celui de la grande éloquence, qui vise à provoquer l'admiration de l'auditeur, et à le transporter. Mais le propre de cette notion est que, dès l'Antiquité, elle paraît problématique : la grande éloquence se confond-elle avec l'éloquence d'apparat ? Elle se caractériserait alors par la pompe, l'amplification, l'ornement – mais ces critères formels sont insuffisants, et chacun sent bien qu'ils peuvent même être suspects. Déjà, l'auteur de Du sublime (un traité grec du ier siècle, longtemps attribué à un rhéteur plus tardif, Longin) soulignait que « rien n'est grand qu'il soit grand de mépriser, comme richesses, honneurs, distinctions, tyrannies » ; le jugement sur l'art de parler ne peut se dissocier d'une appréciation morale sur ce dont on parle, et celui qui parle : « Le sublime est l'écho de la grandeur d'âme. » Sont donnés en exemples un orateur (Démosthène), mais aussi un homme d'État (Alexandre), ou un héros épique – Ajax, dont le silence aux Enfers (Odyssée, XI) offre la forme limite, paradoxale, d'une éloquence de la grande âme. On voit que la situation de parole de l'orateur n'est plus ici qu'un cas particulier, le traité abordant l'histoire (Hérodote), la poésie – Homère, Euripide, Pindare, Sophocle, mais aussi Sapho –, la mythologie (Hésiode) et même les textes sacrés des Juifs hellénistiques : le « Que la lumière soit » de la Genèse rend excellemment « la puissance du Dieu et sa dignité ».

Une poétique de l'enthousiasme

Redécouvert par les érudits italiens de la Renaissance, le Traité du sublime atteint un large public européen à partir de sa traduction française due à Nicolas Boileau et publiée à la suite de son Art poétique, en 1674. Le militant de la doctrine classique se faisait ainsi le relais d'une poétique de l'enthousiasme et, se refusant à son tour à identifier le sublime aux « grands mots », s'essayait à le définir : transcendant les hiérarchies de style et de genre, la « grandeur » vient ici de la « simplicité » (critère traditionnel du style bas) et d'une « petitesse énergique des paroles », dont Boileau, dans la Xe de ses Réflexions critiques (posthume), trouve des exemples contemporains chez Corneille. Définition encore trop étroite, puisqu'il ne craint pas, dans la XIe des Réflexions, d'annexer au sublime, en sens contraire, « l'abondance » de Racine, exprimée dans le récit de Théramène dans Phèdre, jugée par les modernes contraire à la vraisemblance. Bref, il faut préférer le sublime « qui a quelques défauts » au « médiocre parfait » (à la perfection dans un genre) ; c'est le signe d'une « rhétorique adulte » (Marc Fumaroli), qui ne s'embarrasse guère des préceptes d'école – d'une éloquence qui, selon le mot de Pascal, « se moque de l'éloquence ».

Avec la question de la moralité, l'attention se déplaçait du discours vers l'orateur, du logos vers l'éthos (le caractère, la personnalité). C'était prendre le risque d'un « misérabilisme oratoire » (comme on a pu le dire de la Doctrine chrétienne de saint Augustin, vers 400), qui, trop assuré de la vertu de l'orateur ou, dans le cas du prédicateur, de la valeur absolue de son enseignement, irait jusqu'à tenir pour rien la tekhnè, l'art, ne se fiant qu'à la « nature » (au génie) ou à la grâce. Mais sous couvert de mépriser la rhétorique, s'impose une éloquence du pathétique : fusion dans une même qualité d'âme de l'[...]

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Pour citer cet article

François TRÉMOLIÈRES. SUBLIME, littérature [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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