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SOCIOLOGIE La démarche sociologique

On parle de démarche en sociologie pour indiquer non pas une suite balisée d'opérations répertoriées par la littérature méthodologique (observations conduisant à des questions, puis recueil de données, choix d'un cadre théorique, hypothèses, vérification, discussion des théories alternatives...), mais plutôt une façon de voir, un regard et une écoute, bref une posture qui se distingue par le point de vue pris sur les choses. Cette posture est un préalable fondamental qui est très inégalement accessible, d'une part, en fonction des époques et de l'état des savoirs, et, d'autre part, en fonction de la position occupée dans la société : pour observer le réel, il faut d'abord pouvoir prendre du recul par rapport aux routines et aux évidences de la vie ordinaire, ce qui suppose d'avoir fait l'expérience de leur contingence, de leur relativité historique. Une telle disposition sociologique, loin d'être un apanage de corporation, est présente chez plusieurs individus souvent en porte à faux, par exemple chez un romancier comme Marcel Proust lorsqu'il décrit les différences entre groupes sociaux dans les formes de sociabilité ou dans les manières de s'exprimer, et lorsqu'il montre les effets sur les individus de l'ascension ou du déclin de ces groupes.

La démarche du sociologue combine cette sensibilité aux différences avec une visée de scientificité. Sans vouloir enfermer la science sociale dans un ensemble de propositions définissant sa nature ultime, on peut, sur deux points au moins, se prononcer à coup sûr : elle pratique selon des procédures publiques et contrôlables d'analyse, de démonstration et de vérification, et elle dispose d'un domaine d'objets qui lui est propre. On doit pouvoir la distinguer de genres tels que la philosophie sociale, le prophétisme sociopolitique (ou religieux), l'essayisme, le reportage, la représentation statistique brute, dans la mesure où elle se défie autant des généralités vagues, sans contenu défini et testable, que de simples comptes rendus visant à décrire le réel, mais sans portée générale. Le souci de rigueur – faut-il le préciser ? – n'est pas incompatible avec ce que Charles Wright Mills appelait « l'imagination sociologique », le refus des sentiers battus et l'exploration d'objets et de problèmes nouveaux.

Sociologie et rationalité

Contre ceux qui s'empressent de mettre en avant le fossé entre les sciences de la nature et les sciences de l'homme, il faut soutenir que celles-ci, quelle que puisse être la façon de penser leur (incontestable) spécificité, relèvent d'un régime commun de rationalité. La sociologie est située, selon Max Weber, du côté des « sciences généralisantes » : elle s'occupe de lois, de types, s'appuie sur la validité du raisonnement statistique, etc. L'accord semble large aujourd'hui pour reconnaître le caractère constructif de la science : loin de dériver de sensations, d'impressions, qui ont certes pu jouer un rôle dans l'observation de récurrences remarquables et dans l'apparition de questions, l'activité scientifique consiste dans l'effort pour soumettre un ordre de phénomènes à une architecture de propositions générales qui contient à la fois une représentation des objets et un programme de recherche suggérant des hypothèses, des procédures d'observation, des comparaisons. On voit mal comment la sociologie pourrait se dispenser de mettre en évidence des régularités, et ce en un triple sens : comme données observables (par exemple, décroissance de la part de la consommation alimentaire avec le revenu), comme lois (variations réglées entre le niveau de revenus et la composition du budget) et comme invariant formel qui permet de rapporter une grande diversité de phénomènes à une même logique (le goût bourgeois). Le travail de généralisation, en sociologie comme en d'autres[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au C.N.R.S.

Classification

Pour citer cet article

Louis PINTO. SOCIOLOGIE - La démarche sociologique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ACCULTURATION

    • Écrit par Roger BASTIDE
    • 8 306 mots
    • 1 média
    En même temps que l'anthropologie culturelle établissait la série ordonnée de ces concepts, depuis le conflit jusqu'à l'assimilation,la sociologie nord-américaine (qui est partie du relationnisme allemand et n'a découvert Durkheim que bien après) établissait à son tour une série de concepts qui...
  • ACTION COLLECTIVE

    • Écrit par Éric LETONTURIER
    • 1 466 mots

    On entend par ce terme, propre à la sociologie des minorités, des mouvements sociaux et des organisations, toutes les formes d'actions organisées et entreprises par un ensemble d'individus en vue d'atteindre des objectifs communs et d'en partager les profits. C'est autour de la question des motivations,...

  • ACTION RATIONNELLE

    • Écrit par Michel LALLEMENT
    • 2 646 mots
    • 1 média

    Les théories sociologiques ne convergent pas, loin s'en faut, lorsqu'il est question de rendre intelligibles les comportements individuels. D'inspiration psychologique, certaines estiment que les hommes demeurent avant tout les jouets de leurs passions. Dans un registre tout différent, d'autres analysent...

  • ADMINISTRATION - La science administrative

    • Écrit par Jacques CHEVALLIER, Danièle LOCHAK
    • 3 208 mots
    Le courant sociologique. Deux branches de la sociologie ont été plus particulièrement conduites à s'intéresser aux phénomènes administratifs. D'abord la sociologie politique, dans la mesure où l'existence et le fonctionnement de l'administration publique comportent une dimension politique...
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Voir aussi