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SOCIOLOGIE DE L'ART

Sociologie des œuvres

La sociologie des œuvres d'art constitue la dimension à la fois la plus attendue et la plus controversée de la nouvelle sociologie de l'art. Celle-ci n'accorde plus un privilège de principe aux œuvres sélectionnées par l'histoire de l'art : ce qui ne signifie pas qu'elle nie leur importance, ni les différences de qualité artistique, mais qu'elle s'intéresse également aux processus dont elles sont l'occasion, la cause ou la résultante.

Une première approche consiste à relativiser les frontières de l'art : soit géographiques, dans une interrogation anthropologique sur la notion même d'esthétique et ses intersections avec des fonctions utilitaires, symboliques ou religieuses ; soit hiérarchiques, entre « grand art » et « arts mineurs », « art d'élite » et « art de masse », « beaux-arts » et « arts populaires » ; soit ontologiques, entre « art » et « non-art » – pratiques culturelles, ready-mades, dessins d'aliénés, d'autodidactes ou d'enfants, voire d'animaux...

Une autre approche, interprétative, consiste à rapporter une œuvre à son contexte, comme l'a fait Michel Foucault à propos des Ménines de Velázquez (Les Mots et les choses : une archéologie des sciences humaines, 1966). Mais, outre la rareté des œuvres qui se prêtent aussi bien à l'interprétation, se pose alors la question de la spécificité de l'approche sociologique. Elle ne réside guère que dans ses méthodes : soit par la prise en compte des stratifications sociales, plutôt que dans la référence à une « société » dans son ensemble, c'est-à-dire à une culture (stratification mise en évidence par Pierre Bourdieu, à propos de L'Éducation sentimentale de Flaubert dans « L'Invention de la vie d'artiste », article paru dans les Actes de la recherche en sciences sociales en 1975) ; soit par la taille du corpus, seule capable de donner libre cours à la comparaison, cette méthode spécifique des sciences sociales. Ainsi, lorsque Tzvetan Todorov retrace la généalogie de l'individualisation et de la sécularisation dans la représentation picturale (Éloge de l'individu. Essai sur la peinture flamande de la Renaissance, 2000), ou lorsque Nathalie Heinich décrit les structures de l'identité féminine dans plusieurs centaines d'œuvres de fiction (États de femme. L'identité féminine dans la fiction occidentale, 1996), il s'agit d'analyser collectivement les œuvres, en dégageant les caractères communs à une multiplicité de productions, plutôt que de les interpréter une par une.

Parallèlement à la relativisation des valeurs et à l'interprétation des significations s'ouvre une troisième voie : celle d'une approche « pragmatique », analysant non pas ce qui fait, ce que valent ou ce que signifient les œuvres d'art, mais ce qu'elles font, en situation. Facteurs de transformations, elles possèdent en effet des propriétés (plastiques, musicales, littéraires) qui agissent : sur les émotions de ceux qui les reçoivent, en les « touchant », en les « bouleversant », en les « impressionnant » ; sur leurs catégories cognitives, en entérinant des découpages mentaux et, parfois, en les brouillant ; sur leurs systèmes de valeurs, en les mettant à l'épreuve des objets de jugement ; sur l'espace des possibles perceptifs, en programmant les expériences sensorielles, les cadres perceptifs et les catégories évaluatives qui permettront de les assimiler (Nathalie Heinich, Le Triple Jeu de l'art contemporain, 1998).

Ces questions font l'objet de maints débats parmi les sociologues de l'art, dans une discipline en pleine évolution, qui oblige à des choix rigoureux engageant des principes propres à la sociologie tout entière. Beaucoup de chemin a donc[...]

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Pour citer cet article

Nathalie HEINICH. SOCIOLOGIE DE L'ART [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Theodor Adorno, 1935 - crédits : I. Mayer-Gehrken/ T. W. Adorno Archiv, Frankfurt a.M.

Theodor Adorno, 1935

Walter Benjamin - crédits : AKG-images

Walter Benjamin

Autres références

  • ANTAL FREDERICK (1887-1954)

    • Écrit par Nicos HADJINICOLAOU
    • 758 mots

    Fils de la bourgeoisie aisée de Budapest, Frederick Antal est à la fois le premier en date et le plus important historien d'art marxiste, et on peut le considérer comme le fondateur d'une histoire de l'art matérialiste libérée de tout esprit spéculatif. Cet homme, qui a participé activement, en...

  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Architecture et société

    • Écrit par Antoine PICON
    • 5 782 mots

    À côté des impératifs esthétiques et techniques, les problèmes d'usage occupent une place importante au sein de la discipline architecturale. Constitutive de l'espace urbain, présente en des points névralgiques du territoire qu'elle contribue à structurer, l'architecture possède une portée sociale...

  • ART (Aspects culturels) - L'objet culturel

    • Écrit par Jean-Louis FERRIER
    • 6 295 mots
    • 6 médias
    ...difficulté pour l'œil de saisir qu'entre la réalité et lui il n'y a pas de cas où la société ne se glisse, avec ses croyances, son savoir, son idéologie. Ce qui est fondamental, qu'on admet pour la littérature et aussi pour les sciences, mais qui reste à imposer pour les arts plastiques, c'est la primauté...
  • ART (Aspects culturels) - La consommation culturelle

    • Écrit par Pierre BOURDIEU
    • 4 058 mots
    • 2 médias
    ...l'origine sociale n'étant jamais aussi forte, toutes choses étant égales par ailleurs, qu'en matière de « culture libre » ou de culture d'avant-garde. À la hiérarchie socialement reconnue des arts et, à l'intérieur de chacun d'eux, des genres, des écoles ou des époques, correspond la hiérarchie sociale...
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Voir aussi