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RAISON (notions de base)

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La rationalité moderne

Aussi étendu que soit leur génie, les Grecs ne croyaient guère à la rationalité du monde visible, ce monde que Platon dénommait le « monde sensible ». Pour lui, seul le ciel était réellement rationalisable, c’est-à-dire mathématisable, l’astronome étant le cousin germain du philosophe. Aristote, quant à lui, appelle « sublunaire » ce monde peu ordonné où on ne saurait identifier que des régularités fort approximatives. Telle est sans doute la principale raison qui empêcha les Grecs de passer de la spéculation à l’usage utilitariste de la connaissance qui caractérisera la modernité.

Tout change à la Renaissance, en particulier à partir de Galilée. Pour lui, « la Nature est écrite en langage mathématique », formule très ambitieuse si l’on prend en compte la minceur des connaissances alors acquises... Mais Galilée entend ainsi que toutela nature, que tous les phénomènes connus et inconnus pourront être mathématisés, c’est-à-dire inclus dans une loi, et que rien n’échappera à l’ambition calculatrice des hommes de science. Inventant de toutes pièces la physique moderne, première science expérimentale à voir le jour, Galilée devra se contenter pour sa part de formuler la loi de la chute des corps, celle de l’oscillation des pendules et de la trajectoire des boulets de canon. Mais, jamais, il ne douta de la capacité de la science à mettre en équations la totalité du réel.

À partir de Galilée va se poser la question nouvelle de l’expérimentation. Quand il fait rouler des boules le long de plans inclinés afin de déterminer le rapport entre le temps de chute et la vitesse de chute de ces objets, l’expérimentateur est bien conscient qu’il ne pourra jamais observer la totalité infinie des cas de figure possibles. Va ainsi devoir être affronté le délicat problème de l’« induction », autrement dit de la généralisation de ce qui a été mesuré, à partir du nombre réduit de cas observés, à la totalité des cas analogues. Les savants finiront par admettre qu’en réalité on ne « vérifie » pas à proprement parler une loi de la nature, on infère sa généralisation possible à partir des quelques cas ayant fait l’objet de l’expérimentation.

De même que le discours ne reçoit sa cohérence qu’en respectant quelques principes fondamentaux absolument indémontrables, l’édifice des sciences expérimentales ne se maintiendra qu’en acceptant ce qu’on dénomme le « postulat du déterminisme ». Pour généraliser à tous les cas possibles ce qui n’a été observé que sur un petit nombre de cas, une croyance est nécessaire, celle-là même que Socrate avait cru lire chez Anaxagore : la croyance en un ordre du monde, en une régularité des phénomènes naturels. Cette croyance n’a évidemment rien de gratuit ni d’arbitraire : elle est la condition de possibilité de l’exercice de la science. Néanmoins, après l’ébranlement provoqué par la découverte des postulats du discours par Aristote, la certitude selon laquelle la science repose elle aussi sur un postulat indémontrable va insensiblement ébranler l’édifice construit par la raison.

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  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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Philippe GRANAROLO. RAISON (notions de base) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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