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PÉDAGOGIE Le statut

Restaurer la pédagogie

Il reste que, quoi qu'il en soit des idéaux, quoi qu'il en soit des dépendances multiformes de l'activité éducative, quoi qu'il en soit des lectures multivariées qu'en proposent, en ordre dispersé, les sciences humaines, une discipline est nécessaire qui permette d'articuler ensemble ce qui se dit et ce qui se fait dans le champ de l'éducation. Discipline qui ne peut consister en une « spécialité », mais renvoie au travail du « généraliste ».

Ce généraliste n'est sans doute pas d'abord l'intellectuel désireux de reconstituer le pédagogique en un corps de connaissances dont la cohérence satisferait l'esprit et alimenterait le débat d'idées sur l'éducation. Il s'agira plutôt du praticien, entendu au sens le plus large, dès lors qu'il est désireux ou sommé de se doter d'instruments utilisables pour interroger la pratique, la situer, en rendre compte et s'en assurer une plus grande intelligence.

Un projet de pédagogie générale s'inscrit, pour la période contemporaine, dans une triple fonction : susciter une attitude d'intellection critique ; faire percevoir comment cette attitude est, que cela se voie ou non, elle-même articulée à la circulation sociale des idées ; reconnaître enfin l'entreprise de normalisation pratique qu'exerce tout discours pédagogique, même contestataire.

Cette triple fonction de la pédagogie (intellection critique, circulation sociale des idées, prescription de normes) s'effectue aujourd'hui de manière polémique. La première de ces tâches prend l'allure d'une dénonciation des deux autres. L'évolution que nous avons tenté de décrire, depuis l'âge d'or pédagogique que fut un certain xixe siècle jusqu'à l'ère contemporaine marquée, selon l'expression de Paul Ricœur, par la pratique généralisée du soupçon, explique cette situation. Les consensus traditionnels ne jouent plus leur rôle, pas plus que les idéaux progressistes qui avaient pris, à partir des Lumières, le relais des idéaux religieux confondus par leurs institutions porteuses avec la révérence pour l'ordre immuable des choses. La croyance est désormais enracinée que les choses bougent, mais il n'est plus certain que ce mouvement soit un progrès, encore moins le Progrès. La pensée post-moderne (J.-F. Lyotard) se crée à travers une rupture de consensus et par une quête de « coups » bien joués plutôt que de vastes synthèses : tout discours pédagogique à vocation totalisante devient d'emblée suspect d'entretenir la méconnaissance.

Pourtant l'action éducative en cours, qui est à juger, et l'action éducative à engager, qui est à prescrire, ne souffrent pas que l'on suspende la pensée pédagogique à la seule recherche de la clairvoyance célébrée pour elle-même. D'une part, il y a de l'éducation, quoi que les penseurs en pensent. D'autre part, toute décision suppose de l'incertitude. L'action suppose un point aveugle. Un projet visant à modifier l'état des choses ne peut venir que de la persistance, quelque part, d'une opacité. Et c'est l'action elle-même qui, dans son propre cours, apportera à la recherche un nouvel éclairage (C. Delorme, 1982).

Le paradoxe de la pédagogie, en tant qu'elle est appelée par les nécessités de l'action d'éduquer, est bien d'avoir à cumuler une démarche de soupçon, qui interroge à distance et se donne le doute pour attitude motrice, et une démarche de conviction, qui prend parti au nom même de l'action et pratique l'adhésion.

En l'absence d'une impossible démarche totalisante autour d'une thématique communément acceptée et socialement plausible, deux solutions sont possibles pour un projet d'intelligence de l'action éducative dans[...]

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