PARAPHILIES ET TROUBLES PARAPHILIQUES

Les paraphilies sont des fantaisies imaginatives sexuellement excitantes, des désirs, des impulsions ou des comportements sexuels atypiques survenant de façon répétée et intense et impliquant des objets inanimés, la souffrance ou l’humiliation de soi-même ou de son partenaire, des personnes dont l’âge ou le statut rendent leur consentement impossible à obtenir ou l’acte contraire à leur volonté. Ils sont durables (au moins six mois selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux(ou DSM, pour Diagnostic and StatisticalManual of Mental Disorders) et peuvent entraîner une souffrance pour le sujet et pour son entourage.

Lorsque les comportements paraphiliques sont associés à une souffrance personnelle ou sont à l’origine de délits ou crimes sexuels, on les qualifie alors de troubles paraphiliques. Le diagnostic de paraphilie doit être soigneusement établi chez ces sujets. On évoquera ici successivement l'histoire du concept de paraphilie, initialement considérée comme une perversion sexuelle ; sa définition et ses différentes expressions cliniques ; les liens entre les paraphilies et les comportements sexuels délictueux en insistant sur les facteurs de risque de récidive ; puis les comorbidités psychiatriques associées. Différentes hypothèses physiopathologiques seront ensuite abordées ainsi que les traitements proposés pour lutter contre ces troubles.

Histoire du concept : de la notion de perversion à la paraphilie

Au cours de l'histoire, toute société humaine a toujours imposé ses propres limites aux comportements sexuels en définissant ceux considérés comme acceptables ou au contraire comme inacceptables (ou déviants), avec cependant des variations importantes selon les cultures. Ainsi, si toutes les sociétés définissent des comportements sexuels déviants, la notion même de déviance est sujette à des changements d'appréciation. Dans les sociétés au sein desquelles l’influence religieuse est prédominante, on observe davantage de condamnation morale de la sexualité et de ses déviances que dans les sociétés laïques, qui ont généralement une attitude plus libérale à l’égard de la sexualité. De multiples facteurs influencent la perception que chaque société peut avoir des comportements sexuels. Il s'agit en particulier du degré de consentement, de l'endroit où s'exercent ces pratiques, de l'âge des personnes impliquées, de la nature des actes sexuels, de la détresse ou du préjudice pouvant survenir au cours ou au décours d'un comportement sexuel, de la prévalence des différents types de comportements sexuels dans la société considérée et, enfin, de l'importance de l'aversion ressentie par les autres (partenaires sexuels ou non) à l'égard d’un comportement sexuel particulier.

Ce n'est cependant qu'à la fin du xixe siècle que les médecins et surtout les psychiatres commencent à décrire des perversions sexuelles, comme en témoignent notamment la publication en 1857 de l'Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs, du Français Ambroise Tardieu, puis celle, en 1886, de PsychopathiaSexualis de l’Allemand Richard von Krafft-Ebing, décrivant une série de comportements sexuels délictueux incluant des meurtres. Krafft-Ebing remaniera, à de multiples reprises, son ouvrage dont il publiera douze éditions successives. Le 13 janvier 1885, le Français Valentin Magnan fait à l'Académie de médecine une conférence intitulée « Des anomalies, des aberrations et des perversions sexuelles » qui, dans le contexte de la théorie de la dégénérescence, tente d'expliquer les déviances sexuelles. À cette époque, les psychiatres réalisent de nombreuses expertises judiciaires qui viennent enrichir l’analyse clinique des agresseurs sexuels. Leur rôle consiste, d'une part, à établir la responsabilité pénale du criminel et, d'autre part, à évaluer sa dangerosité potentielle (en particulier le risque de récidive) en vue d’une éventuelle sanction judiciaire. Une classification des perversions est ainsi progressivement établie.

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Toutefois, en dépit des efforts de médicalisation de ces comportements par les psychiatres cliniciens, ce sont surtout les psychanalystes qui les ont étudiés. La première théorie de Freud sur la sexualité constitue le socle des théories psychanalytiques sur la perversion sexuelle. Il l’expose dans Trois Essais sur la théorie sexuelle, ouvrage paru en 1905 et qu’il remaniera à plusieurs reprises au cours des deux décennies suivantes. Au cours du xxe siècle, de nombreux psychanalystes contribuent à l'évolution de la théorie freudienne (Robert Stoller, 1975 ; Otto Kernberg, 1991 ; Ismond Rosen, 1997, pour n'en citer que quelques-uns). Dans leur ouvrage Vocabulaire de la psychanalyse (1967),Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis avaient défini la perversion sexuelle comme « une déviation de l'instinct ou de la pulsion sexuel(le) par rapport à l’acte sexuel considéré comme normal défini comme coït visant à obtenir l’orgasme par pénétration génitale ». La perversion survient lorsque l’orgasme ou le plaisir sexuel est subordonné à un objet (ou partenaire) sexuel inhabituel : partenaire sexuel très jeune (pédophilie), très âgé (gérontophilie), voire décédé (nécrophilie) ; il peut aussi s’agir d’un animal (zoophilie), de vêtements, chaussures ou sous-vêtements féminins (fétichisme), la personne pouvant également revêtir des vêtements de l'autre sexe (travestisme)... En outre, c'est parfois la pratique sexuelle elle-même qui est l'objet de la perversion : exhibition des organes génitaux, voyeurisme, sadisme (jouissance liée à la souffrance du partenaire sexuel), masochisme (érotisation de sa propre souffrance), participation de tiers... Ces diverses pratiques peuvent constituer des sources exclusives de plaisir sexuel ou se trouver associées.

Pour Freud, les origines de la perversion s'expliquaient par la combinaison de facteurs biologiques et d’une anomalie du développement. Dans cette perspective développementale, l'enfant est considéré comme un « pervers polymorphe », ce qui signifie qu'il est capable de s'adonner à toutes les perversions sous forme de pulsions partielles. Ensuite, au cours de la maturation sexuelle, les processus de refoulement et de  sublimation conduiraient progressivement l'enfant vers une érotisation génitale qui sera alors privilégiée, voire exclusive. Selon la théorie freudienne, les perversions seraient la traduction de ces pulsions partielles, qui sont normalement destinées à rester inconscientes. C'est dans ce contexte que certains auteurs ont interprété les perversions comme la conséquence de la défaillance d’un  « surmoi » chargé d'inhiber les pulsions partielles qui seraient originaires du « ça » (réservoir des besoins pulsionnels).

Après avoir ainsi été écartées du champ du « péché », la délimitation des paraphilies en tant que perversions sexuelles a été contestée au sein du milieu médical après la Seconde Guerre mondiale. Dès le début du xxe siècle, Havelock Ellis au Royaume-Uni et Magnus Hirschfeld en Allemagne proposèrent une conception progressiste de la sexualité, en particulier de l'homosexualité, en insistant sur l’importance de la notion de consentement pour la criminalisation des comportements sexuels. En 1968, aux États-Unis, dans la deuxième version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM II), l'homosexualité a été classée dans les déviances sexuelles, puis a finalement été retirée du DSM en 1973.

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Écrit par

  • : professeure des Universités, professeure de psychiatrie et d'addictologie, université de Paris, CHU Cochin, INSERM U1266 - Institut de psychiatrie et de neurosciences de Paris, présidente de l'International association of women's mental health

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