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NOSTALGIE

Nostalgie et renoncement

« Ils ne sont pas heureux, ils souffrent de langueur[Sehnsucht]mais ils ne sont pas malades », affirme Freud dans la vingt-deuxième de ses Conférences à propos des individus qu'il estime capables de supporter une privation libidinale. Et la nostalgie, loin de se trouver réduite à un processus pathologique, offrirait peut-être, au contraire, matière à sublimer la privation dans l'expression que requiert nécessairement un sentiment trop intense. Dans le même sens s'inscrit encore la réinterprétation qu'opère Freud, dans Inhibition, symptôme, angoisse, de la situation originelle de la nostalgie à partir de celle où le nourrisson, dans l'incertitude du retour de la mère, se comporte comme s'il ne devait plus jamais la revoir. La mère s'efforce alors de développer la connaissance du nourrisson par des expériences rassurantes destinées à lui garantir son retour après les moments d'absence ; et Freud de conclure qu'« il [le nourrisson] peut alors ressentir quelque chose comme de la nostalgie, sans que celle-ci s'accompagne de désespoir ». On perçoit bien ici, encore une fois, cette fonction d'élaboration spécifique de la nostalgie qui, sur la voie qui mène du principe de plaisir au principe de réalité, reprend à son compte la réaction différée en liant la tension libidinale non investie à la représentation du retour et aux fantasmes qui la signifient.

Telle apparaît encore la différence entre le mode de résolution temporaire de la privation qui caractérise la nostalgie et celui qui, destiné à s'installer, est propre au travail de deuil, dans lequel la liaison à l'objet doit se défaire entièrement. Peut-être découvrirait-on là le lieu et la source de la douleur, poursuit Freud, dans « le caractère irréalisable de l' investissement de l'objet en nostalgie[Sehnsuchtsbesetzung des Objekts] » relativement au travail de deuil ; l'état nostalgique, par contre, impliquerait seulement un renoncement partiel à l'objet, soit parce que la création fantasmatique appellerait à la croyance en des retrouvailles possibles avec des satisfactions depuis longtemps abandonnées, soit parce qu'elle tendrait à déplacer ces satisfactions vers d'autres profits effectivement réalisables dans la société. Aussi bien, plutôt qu'à la perte de l'objet telle qu'elle est vécue dans le deuil, la nostalgie entraînerait-elle au renoncement pour un autre mode de satisfaction dont la plus grande complexité caractériserait le développement libidinal.

On retrouverait bien là cette interrogation sur la sublimation à propos de la nostalgie qui impliquerait non seulement qu'on déplace l'investissement d'un objet érotique vers un autre but, mais aussi qu'on transforme son mode de satisfaction en un mode nécessairement plus élaboré. En effet, « investir un objet en nostalgie », pour reprendre l'expression de Freud, demande qu'autour de l'objet soit encore investi une sorte de contexte, de « paysage », au sens romantique du terme, dont les expériences vécues, directement associées à l'objet, forment la trame. Or, si l'on poursuivait dans cette perspective freudienne de la sublimation, ne serait-il pas alors pertinent de remettre en cause le seul développement libidinal intéressant la nostalgie et de lui associer le développement du moi dans la mesure où ce dernier participerait au travail de maîtrise de la pulsion réprimée quant à son but ? Peut-être d'ailleurs Freud donne-t-il déjà la réponse en insistant sur la nostalgie par privation que le sujet éprouve sans pour autant qu'il tombe malade ; le moi apparaît bien, dans ce cas, comme l'instance psychique supérieure qui a su exploiter la pulsion libidinale, sinon vers un autre but, du moins vers un autre mode de jouissance dont les poètes romantiques[...]

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Pour citer cet article

Marie-Claude LAMBOTTE. NOSTALGIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Mignon</it>, W. Schadow - crédits : AKG-images

Mignon, W. Schadow

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