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NOSTALGIE

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Un concept philosophique

On connaît l'image romantique du voyageur à la recherche d'une terre d'accueil ; et l'on sait déjà que le mirage du port s'évanouira au fur et à mesure que le voyageur s'en approchera. Rappelons à ce propos l'importance des cycles musicaux de Schubert, qui, sur les poèmes de Wilhelm Müller dans le Voyage d'hiver, condamnera le voyageur à l'errance sans fin sur la ritournelle répétitive d'un violoneux. La marche ne s'arrête jamais et son but semble se perdre dans un perpétuel ailleurs, à moins qu'il ne soit déjà perdu dans un passé révolu. Telle s'énonce la problématique romantique de la nostalgie, si bien exaltée par un nouveau genre de « littérature éthique » que préparaient déjà de longue date des penseurs tels que Kant, Jacobi et Hegel.

C'est le philosophe de Königsberg qui le premier dépasse la seule question du retour pour interroger le lieu même de l'aspiration dans ce qu'il présente de psychologiquement illusoire et, par conséquent, décevant : « Les Suisses ainsi que les Westphaliens et les Poméraniens de certaines régions, à ce que m'a raconté un général expérimenté, sont saisis du mal du pays[Heimweh], surtout quand on les transplante dans d'autres contrées ; c'est par le retour des images de l'insouciance et de la vie de bon voisinage, du temps de leur jeunesse, l'effet de la nostalgie[Sehnsucht]pour les lieux où ils ont connu les joies de l'existence ; revenus plus tard chez eux, ils sont très déçus[getauscht]dans leur attente, et se trouvent ainsi guéris ; sans doute pensent-ils que tout s'est transformé ; mais, en fait, c'est qu'ils n'ont pu y ramener leur jeunesse... » Kant révèle donc l'aspect trompeur de la croyance en un temps passé de la jeunesse caractérisé principalement par l'insouciance, entendue comme la mise à l'écart des contraintes de la réalité ; et, plutôt que d'insister sur l'aspect héraclitéen d'une telle situation qui va contre le souhait des retrouvailles, il réinterroge les transformations psychiques du sujet lui-même dont ce dernier ne se doutait pas. Or, du principe de réalité rendu manifeste dans la déception à la persistance du souhait fantasmatique, la question se déplace qui nous fait douter de cette aspiration à retrouver un état de bonheur perdu, dans la mesure où la réalité (Wirklichkeit) de celui-ci se voit dorénavant remise en cause.

Une réponse à cet ébranlement de la certitude du bonheur originel prend forme, dès lors, chez Jacobi, qui, dans la même orientation de pensée que Kant et Fichte, affirme les limites de la raison devant le sentiment d'infinitude absolue qu'elle ne pourra jamais résoudre. Aussi bien, la nostalgie, qui tend vers l'éternité de l'objet au sens où celui-ci, pour Jacobi, garantirait la valeur et la pérennité de l'identité du sujet, posséderait-elle déjà cet objet même par les seules douleur et tension qui animent son mouvement. Mais la doctrine du philosophe s'oriente bientôt vers une sorte de subjectivisme religieux que la nostalgie contribuera précisément à circonscrire dans le sensible et le fini, ce à quoi ne cessera de s'opposer un penseur comme Hegel. Et c'est ce dernier qui semble le mieux exprimer tout à la fois la force et la douleur de l'âme emplie de nostalgie sous la figure de la «  conscience malheureuse », qui s'offre comme une conscience dédoublée. En effet, tendue vers l'aspiration d'un retour en soi-même, d'une « réconciliation » (Versöhnung) avec soi, la conscience pressent bien un objet, celui-là même qui lui accordera sa singularité ; mais cet objet, en tant qu'essence de l'au-delà inaccessible, ne cesse de s'enfuir à l'approche du geste qui veut le saisir et abandonne alors[...]

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Pour citer cet article

Marie-Claude LAMBOTTE. NOSTALGIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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<it>Mignon</it>, W. Schadow - crédits : AKG-images

Mignon, W. Schadow