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NATION La construction nationale

Chercher à discerner, sur la base de l'observation des nations « en train de se faire » (selon l'expression des sociologues latino-américains), les caractéristiques, les éléments constituants – éventuellement les moments – de ces « constructions nationales », s'efforcer simultanément de remonter dans le temps, de vague en vague, jusqu'aux premières nations historiquement admises, afin de tenter d'en découvrir un modèle général, voire universel, fait apparaître plusieurs postulats. En premier lieu, si la nation est bien « construction », elle ne saurait être considérée comme un donné, une manière de groupement « naturel », qui serait à envisager, dans la pratique politique, comme une fin en soi : cela conduirait à justifier une quelconque déviation nationaliste, déformation du principe national. Ensuite, les coïncidences constantes que révèle l'apparition des nations interdisent de songer à une naissance plus ou moins fortuite de ce mode de groupement, et donc, comme on l'a plus ou moins envisagé lors de l'apparition des premières nations, antérieurement aux « vagues », la nation ne peut être le résultat de la seule volonté d'hommes providentiels agissant dans le cadre de frontières dites naturelles. Enfin, le fait que les nations naissent par vagues amène à penser que la dynamique de leur construction ressortit à deux formes, l'une externe, liée aux actions de pouvoirs politiques étrangers à la nation en construction, l'autre interne, liée aux forces nationalitaires elles-mêmes.

Julius Nyerere et l'indépendance du Tanganyika (1961) - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Julius Nyerere et l'indépendance du Tanganyika (1961)

Que l'on puisse parler de « vagues de constructions nationales » ne semble pas niable : la plus récente, et qui est encore en cours, est celle qui, au milieu du xxe siècle, s'est greffée sur le processus de « décolonisation », essentiellement afro-asiatique. Elle est précédée, au milieu du xixe siècle et au début du xxe, par ce que l'on a nommé « éveil » (ou « réveil ») des nationalités, phénomène qui a touché surtout l'Europe centrale et l'Europe orientale, ainsi que l'Italie. La première, au début du xixe siècle, voire à la fin du xviiie, est américaine (Amérique anglo-saxonne, mais principalement Amérique ibérique). On peut considérer ces données comme une réalité scientifiquement établie. Pour la période antérieure à ces trois vagues, il faudra probablement s'en tenir aux hypothèses, encore que certains éléments des constructions nationales des deux ou trois derniers siècles soient repérables dans des temps plus lointains, mais ne relèvent pas directement de l'analyse sociologique proprement dite.

Disparition des empires

Un premier élément (premier moment) de la construction nationale paraît être l'amenuisement progressif, jusqu'à leur dissolution finale, des empires. Dans les trois vagues envisagées et les précédant dans le temps, on retrouve des empires en déclin : empires français et britannique pour la troisième vague ; empires russe, austro-hongrois et ottoman pour la deuxième ; empires espagnol et portugais pour la première. Ces empires étaient construits sur le « privilégiement » à base raciale, religieuse ou politique selon le cas, d'une ethnie, celle du dominateur ou du colonisateur. Tel est le premier phénomène, la première constante.

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Bordeaux

Classification

Pour citer cet article

Émile SICARD. NATION - La construction nationale [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Julius Nyerere et l'indépendance du Tanganyika (1961) - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Julius Nyerere et l'indépendance du Tanganyika (1961)

Autres références

  • LA CRÉATION DES IDENTITÉS NATIONALES (A.-M. Thiesse)

    • Écrit par Pierre MILZA
    • 981 mots

    Que l'idée de nation et le sentiment identitaire qui s'y rattache soient non pas des faits « naturels » mais des constructions de l'esprit, apparues au début de l'ère industrielle, il est peu d'historiens aujourd'hui pour le nier. Les Français ne furent certainement ni les premiers ni les plus ardents...

  • AFRIQUE (conflits contemporains)

    • Écrit par René OTAYEK
    • 4 953 mots
    • 4 médias
    Le passage de l'État colonial à l'État postcolonial ne marque aucune rupture en la matière. Certes, l'heure est à la construction de la nation, objectif proclamé de ces mêmes élites qui héritent des rênes du pouvoir. La stigmatisation du tribalisme associée à la délégitimation des appartenances...
  • ALLEMAGNE (Géographie) - Géographie économique et régionale

    • Écrit par Guillaume LACQUEMENT
    • 12 044 mots
    • 9 médias
    ...Deutscher Reich de Bismarck (en 1871). Mais la conscience de former un peuple s'affirme précocement en dépit et au-delà du morcellement des États territoriaux. L'idée de nation se nourrit dès le Moyen Âge de la résurrection du passé germanique à travers les grandes chansons de geste du cycle de Siegfried et de...
  • ANDERSON BENEDICT (1936-2015)

    • Écrit par Universalis
    • 1 202 mots

    L’historien et politologue irlandais Benedict Anderson tient une place importante dans l’historiographie anglo-saxonne pour ses travaux sur les origines du nationalisme.

    Benedict Richard O’Gorman Anderson est né le 26 août 1936 à Kunming, dans le sud de la Chine, où son père occupe un poste au Bureau...

  • ARABISME

    • Écrit par Universalis, Maxime RODINSON
    • 5 530 mots
    • 6 médias
    Le nationalisme arabe s'est forgé une idéologie, comportant une théorie fondamentale de la nation – et de la nation arabe –, théorie constituée en fonction des aspirations spontanées et des problèmes politiques pratiques posés par la situation des peuples arabes. Aux théories européennes sur la nation,...
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