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NATION La construction nationale

Lente découverte d'une double identité

Reste le dixième élément, dixième moment : celui de la prise de conscience d'une double identité, identité personnelle des individus et identité nationale de l'ensemble. C'est l'importante question du « Que suis-je ? », permanente chez tous les peuples « en construction nationale », et qui ne reçoit de solution, avec les soins de l'État et la volonté d'être de ces populations, qu'avec le temps. Les hommes des nations « faites » s'étonnent de cette question, la plus importante, cependant, dans le processus des « constructions nationales », car leur identité ne constitue, ni pour eux, ni pour leur nation, un problème. Il est intéressant de calculer combien de fois un Slovaque né au début de ce siècle, ou un Croate vivant entre 1890 et 1945, ou un Bosniaque d'avant l'annexion de 1878, ou certains groupes ethniques situés en Amérique latine ou en Afrique ont changé de nationalité. De plus, il n'est pas besoin de s'étendre sur le nombre considérable d'ethnies englobées dans les États afro-asiatiques. Tout cela est aggravé par la confusion de deux concepts, cependant bien différents : nationalité et citoyenneté. Psychologiquement, l'ambiguïté des appartenances successives complique encore la « discohérence » issue des divergences culturelles conduisant à des structures mentales parallèles et donc ne se rencontrant que dans l'infini humain, si l'on peut dire, mais dont chaque série représente une conscience. Le bilinguisme empirique, de fait, contribue à maintenir cette dis-cohérence et à compliquer la solution du « Que suis-je ? ». Il en va de même quant à l'identité nationale de nations non pas sans histoire – argument trop souvent repris –, mais sans histoire écrite et au sein de laquelle formes précoloniales, formes coloniales, formes indépendantes proclamées mais non encore vécues, interfèrent d'une manière discontinue : on ne récupère pas le passé – cette « récupération » qui est pourtant l'un des moteurs des indépendances –, comme on retrouve un trésor caché. Ce passé, en vue de l'identité nationale, est, pour les nations « en construction », à reconstruire. Toutes les vagues ont connu, et les nations « faites » connaissent, cette reconstruction historique, qui doit passer du discontinu de l'événement au continu de la culture globale, l'un des fondements de l'identité nationale.

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Bordeaux

Classification

Pour citer cet article

Émile SICARD. NATION - La construction nationale [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Julius Nyerere et l'indépendance du Tanganyika (1961) - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Julius Nyerere et l'indépendance du Tanganyika (1961)

Autres références

  • LA CRÉATION DES IDENTITÉS NATIONALES (A.-M. Thiesse)

    • Écrit par Pierre MILZA
    • 981 mots

    Que l'idée de nation et le sentiment identitaire qui s'y rattache soient non pas des faits « naturels » mais des constructions de l'esprit, apparues au début de l'ère industrielle, il est peu d'historiens aujourd'hui pour le nier. Les Français ne furent certainement ni les premiers ni les plus ardents...

  • AFRIQUE (conflits contemporains)

    • Écrit par René OTAYEK
    • 4 953 mots
    • 4 médias
    Le passage de l'État colonial à l'État postcolonial ne marque aucune rupture en la matière. Certes, l'heure est à la construction de la nation, objectif proclamé de ces mêmes élites qui héritent des rênes du pouvoir. La stigmatisation du tribalisme associée à la délégitimation des appartenances...
  • ALLEMAGNE (Géographie) - Géographie économique et régionale

    • Écrit par Guillaume LACQUEMENT
    • 12 044 mots
    • 9 médias
    ...Deutscher Reich de Bismarck (en 1871). Mais la conscience de former un peuple s'affirme précocement en dépit et au-delà du morcellement des États territoriaux. L'idée de nation se nourrit dès le Moyen Âge de la résurrection du passé germanique à travers les grandes chansons de geste du cycle de Siegfried et de...
  • ANDERSON BENEDICT (1936-2015)

    • Écrit par Universalis
    • 1 202 mots

    L’historien et politologue irlandais Benedict Anderson tient une place importante dans l’historiographie anglo-saxonne pour ses travaux sur les origines du nationalisme.

    Benedict Richard O’Gorman Anderson est né le 26 août 1936 à Kunming, dans le sud de la Chine, où son père occupe un poste au Bureau...

  • ARABISME

    • Écrit par Universalis, Maxime RODINSON
    • 5 530 mots
    • 6 médias
    Le nationalisme arabe s'est forgé une idéologie, comportant une théorie fondamentale de la nation – et de la nation arabe –, théorie constituée en fonction des aspirations spontanées et des problèmes politiques pratiques posés par la situation des peuples arabes. Aux théories européennes sur la nation,...
  • Afficher les 38 références