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MÉTAPHORE

Deux extensions remarquables : Jakobson et Lacan

C'est en un sens une conception analogue que semble avoir Roman Jakobson, mais il donne au terme une extension qui d'un coup efface les frontières relativement restreintes à l'intérieur desquelles il demeurait maintenu. Tant que ces distinctions et définitions sont produites à l'intérieur de la rhétorique classique conçue comme art de persuader, leur extension demeure limitée. Si, en revanche, il s'agit d'utiliser les figures du discours comme moyens de décrire le fonctionnement du langage, la linguistique dispose de notions générales opérantes. Avec les formalistes russes, il revient surtout à Roman Jakobson, dans un article sur la prose de Pasternak (1935) et dans un texte de 1956 (Deux Aspects du langage et deux types d'aphasie), d'avoir développé la thèse selon laquelle tout sujet parlant accomplit, pour fabriquer une phrase, deux opérations : l'une de choix sémantique à l'intérieur du corpus qu'il connaît, l'autre de combinaison syntaxique des éléments choisis. Ce faisant, il y retrouve les deux procédures épinglées par la rhétorique classique sous les noms de métaphore et de métonymie. Étudiant les troubles pathologiques du langage, Jakobson distingue deux cas – et deux seulement – d'aphasie : ceux qui relèvent de la combinaison ou contiguïté (encodage), et ceux qui se rattachent à la sélection ou similarité (décodage), c'est-à-dire les deux opérations fondamentales « sous-jacentes au comportement verbal ». L'emploi des termes « métaphore » et « métonymie » est alors plus qu'analogique ; on a reproché à Jakobson de transporter dans le champ des signifiants (paradigme et syntagme) des notions établies à partir d'une considération des signifiés (métaphore et métonymie). Un tel reproche pourtant ne vaut que si l'on accepte une distinction à la fois stricte et étroite des deux concepts, distinction sur laquelle la linguistique a été amenée à revenir. On est, de fait, conduit à suivre Jakobson, et à faire de la métaphore et de la métonymie les combinaisons qui organisent toute forme de parole articulée.

Si l'on se rappelle la description par Freud du fonctionnement de l' inconscient, tant au niveau des processus primaires que de l'élaboration secondaire, on ne sera pas étonné de voir apparaître les termes de métaphore et métonymie dans le vocabulaire analytique. Freud met l'accent sur deux opérations langagières selon lesquelles est disposé le discours latent dans son rapport au discours manifeste : la condensation (Verdichtung) et le déplacement (Verschiebung). Tout thème inconscient a besoin pour émerger au niveau conscient d'un représentant, délégué qui soit supporte à lui seul un motif unique, soit unifie des représentations groupées, d'où le terme de condensation. Par ailleurs, un terme ne possède pas d'existence isolée, mais est pris à l'intérieur d'une combinaison de langage qui lie entre elles les entités successives ; cette liaison des mots les uns avec les autres à l'intérieur d'une chaîne associative recouvre pour une part ce que Freud nomme déplacement, qu'on peut traduire par le travail de dissimulation ou de « masquage » opéré sous l'action du refoulement. Sans l'existence de ces deux opérations, la technique de la libre association n'aurait aucune raison d'être. L'analyse n'ayant d'autre matériau que la parole, on conçoit que Lacan ait pu reprendre et préciser ces concepts en utilisant les termes de métonymie et de métaphore.

Dès l'instant où l'être humain accède à la parole, il est marqué d'une radicale et permanente inadéquation de soi à soi. Se prétendant usuellement maître du langage, le sujet se trouve de fait pris dans la chaîne des signifiants,[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé des lettres classiques, maître de conférences en littérature française à l'université de Paris-VII

Classification

Pour citer cet article

Jean-Yves POUILLOUX. MÉTAPHORE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias
    ... ne se rencontre qu'à partir de l'époque hellénistique dans le vocabulaire de la rhétorique pour désigner, du point de vue du créateur, une suite continue de métaphores par lesquelles celui-ci rend accessible un concept abstrait à l'imagination de son lecteur (Quintilien, Inst....
  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 454 mots
    Cette dernière lui préfère néanmoins les termes métaphore, que nous rencontrions pour commencer, et image. La linguistique et la théorie de la littérature, héritières dans une certaine mesure du romantisme, ont renouvelé l'intérêt pour ce que Tzvetan Todorov appelle « la décision d'interpréter...
  • ANTONOMASE, rhétorique

    • Écrit par Nicole QUENTIN-MAURER
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    Figure de style qui consiste à remplacer un nom commun par un nom propre (une Pénélope pour une épouse vertueuse ; une Mégère pour une femme violente, etc.) ou réciproquement (une Amazone ; une Harpie ; le Philosophe pour Aristote, etc.) ; c'est une synecdoque d'individu. L'antonomase comporte...

  • BLUMENBERG HANS (1920-1996)

    • Écrit par Jean GREISCH
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    Le philosophe allemand Hans Blumenberg est né le 13 juillet 1920 à Lübeck. Victime des lois raciales de Nuremberg, il est obligé d'interrompre ses études universitaires. D'abord inscrit comme étudiant en théologie à l'université jésuite de Francfort, il retourne comme simple ouvrier dans sa ville natale....

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