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DIETRICH MARLENE (1901-1992)

Un personnage dédoublé

<it>Désir</it>, de Frank Borzage - crédits : Paramount Pictures Corporation/ Collection privée

Désir, de Frank Borzage

Dans X27, dans Shanghai Express, dans L'Impératrice rouge, le cinéaste s'emploie à magnifier la beauté de l'actrice, en recourant aux artifices de l'éclairage et du vêtement, en la fondant dans le décor, sans que la créature mythique cesse pour autant d'être une femme terrienne et charnelle. Dans La Femme et le pantin, d'après le roman de Pierre Louÿs, elle détruit moins ses deux amants qu'elle ne s'en prend à la vanité de leur code viril amoureux, tandis que dans Morocco, elle devient l'esclave d'un séduisant légionnaire au cœur dur. C'est dans Blonde Vénus que Sternberg touche au plus près l'opposition entre ses deux attitudes qui fonde le double personnage de Marlene. Pur objet de regard et de désir engoncé dans les costumes les plus inattendus – justifiant la description de la nouvelle Dietrich par Louise Brooks –, elle met le spectacle et la prostitution au service de l'amour conjugal et maternel. Sternberg joue merveilleusement de l'alternance entre la femme-décor et la femme d'intérieur dans des images qu'on croirait alors sortie d'un Heimat Film allemand. Pour lui, l'amour est à la fois une transformation de l'être aimé en objet de regard et l'acceptation du fait d'être statufié par le regard amoureux, pour la femme comme pour l'homme. « Ce qui est subversif dans la conception de Dietrich par Sternberg, écrit la critique féministe Molly Haskell, est qu'elle ne peut être enrôlée dans un camp idéologique-sexuel plutôt qu'un autre. Elle parodie les notions conventionnelles de l'autorité mâle et les règles du jeu sexuel sans détruire sa crédibilité en tant que femme. »

Marlene Dietrich et Billy Wilder - crédits : Paramount Pictures/ Album/ AKG-images

Marlene Dietrich et Billy Wilder

D'autres réalisateurs, après Sternberg, sauront magnifier le personnage de Marlene Dietrich sans l'affadir, comme Ernst Lubitsch (Angel [Ange], 1937), Billy Wilder (A Foreign Affair [La Scandaleuse de Berlin], 1948 ; Witness for Prosecution [Témoin à charge], 1957), Alfred Hitchcock (Stage Fright [Le Grand Alibi], 1950), Fritz Lang (Rancho Notorious [L'Ange des maudits], 1952). Son personnage ne cesse pourtant de devenir plus terrestre, jusqu'à la souillure physique (Destry Rides again [Femme ou démon], George Marshall, 1939) ou le corps à corps viril (Seven Sinners [La Maison des sept péchés], Tay Garnett, 1940). Marlene Dietrich perd en partie son originalité, rivalisant davantage avec d'autres femmes qu'avec la vanité masculine, lorsqu'elle incarne une entraîneuse ou une tenancière de saloon. Elle trouve son dernier rôle important dans Judgement at Nuremberg (Jugement à Nuremberg, Stanley Kramer, 1962). Dès 1937, elle avait refusé de revenir en Allemagne, malgré la demande pressante de Goebbels, avant de prendre la nationalité américaine et d'effectuer des tournées parmi les G.I.'s entre 1943 et 1945. Les Allemands ne le lui pardonneront qu'après 1960, à l'occasion d'un de ces tours de chant où Marlene devenait enfin son propre Pygmalion, et qu'elle allait poursuivre quelques années. Sa voix et son mythe illuminent le commentaire de The Black Fox : the True Story of Adolf Hitler (La Véritable Histoire d'Adolphe Hitler), montage de documents, qui remporte l'oscar du documentaire en 1962. Outre les documentaires qui lui sont consacrés, elle apparaît une dernière fois dans un film de fiction de David Hemmings en 1978, Just a Gigolo. Elle finit sa vie recluse et solitaire dans un appartement de l'avenue Montaigne à Paris. Elle s'éteint en 1992 et est inhumée à Berlin.

— Joël MAGNY

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. DIETRICH MARLENE (1901-1992) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Shanghai Express, J. von Sternberg - crédits : Eugene Robert Richee/ Moviepix/ Getty Images

Shanghai Express, J. von Sternberg

Marlene Dietrich dans «L'Ange bleu» - crédits : Ullstein Bild/ Getty Images

Marlene Dietrich dans «L'Ange bleu»

Josef von Sternberg et Marlene Dietrich - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Josef von Sternberg et Marlene Dietrich

Autres références

  • L'ANGE BLEU, film de Josef von Sternberg

    • Écrit par Michel MARIE
    • 984 mots

    Josef von Sternberg (1894-1969), de son vrai nom Jonas Sternberg, est un juif viennois d'origine modeste dont la famille émigre aux États-Unis dans sa petite enfance. Il débute à Hollywood en 1912 en exerçant toutes sortes de métiers : nettoyeur et vérificateur de copies de films, monteur,...

  • ARRANGEURS DE LA CHANSON FRANÇAISE

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    D’autres figures débutent avant-guerre. Avec son orchestre, Wal-Berg (né Voldemar Rosenberg, 1910-1994) accompagne à partir de 1933 Marlene Dietrich pour qui il compose et arrange la musique des chansons Assez et Moi j’m’ennuie, puis Danielle Darrieux, Jean Sablon ou Charles Trenet à ses débuts....
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  • ÉROTISME

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    • 19 774 mots
    • 7 médias
    Blonde Vénus... c'est un film de Marlene Dietrich. Mais Marlene elle-même, Greta Garbo, Viviane Romance, Rita Hayworth, Gina Lollobrigida, Sophia Loren, Marilyn Monroe, Brigitte Bardot sont des avatars de Vénus, à diverses proies attachée. Le metteur en scène n'a d'autre fonction que de mettre en valeur...

Voir aussi