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MARGUERITE DE NAVARRE (1492-1549)

Conteuse et moraliste

L'œuvre maîtresse demeure toutefois ce recueil de contes inachevé : l'Heptaméron, publié après sa mort. Elle a voulu écrire un Décaméron français. Le temps lui a manqué pour le terminer. Boccace n'est pour elle qu'un modèle. Elle lui a pris un cadre sans le démarquer, pas plus qu'elle n'a plagié ses devanciers. L'œuvre est originale : elle vient le plus souvent des souvenirs, des expériences, ou de l'imagination de la princesse. On n'a pas assez souligné le réalisme du décor, des acteurs, des mœurs de la France du xvie siècle, sans parler du réalisme psychologique. Pour la première fois la nouvelle cesse d'être uniquement comique : le tragique y a sa place, et dès le début du recueil. Ces récits paraissent incolores, parfois assez secs. On n'oubliera pas que pour Marguerite l'intérêt moral et psychologique prime le narratif. Elle conte avec le souci du vrai et du bien plus qu'avec celui du beau. La technique est inférieure à la pensée : on voudrait à ces récits plus de couleur et de mouvement ; ils manquent d'art, certes : la princesse, ici encore, se préoccupe d'instruire plus que de plaire. Ils n'en présentent pas moins déjà certains caractères du classicisme.

On y voit trop souvent des contes libertins. Erreur grossière due au fait qu'on néglige les conversations qui les encadrent et mettent en scène la reine, sa mère, son second mari, ses familiers – dialogues où l'on discute la signification de l'histoire que l'on vient d'entendre et d'où se dégage une morale chrétienne et mondaine, entretiens qui préfigurent la vie de salon telle qu'on la connaîtra bientôt et qui livrent la pensée de leur auteur, toute de sagesse et de droiture. Marguerite s'y révèle une moraliste de qualité, et l'on peut voir en elle la première des romancières modernes.

On a beaucoup discuté de sa pensée religieuse. Catholique encore ? ou, déjà, protestante ? On la dirait aujourd'hui progressiste. Elle n'a suivi ni Luther ni Calvin. Elle a toujours pratiqué. Elle a condamné l'inconduite du clergé. Elle a discuté certains points de la doctrine : l'importance et la valeur des œuvres surtout. Mais elle n'a cessé d'affirmer le néant de l'homme, la grandeur de Dieu et l'immensité de l'amour qu'il porte à la créature. Elle a espéré une réforme pacifique, et s'est tenue hors des querelles sanglantes. Dans une cour dissolue, elle a donné l'exemple d'une intransigeante mais souriante vertu.

— Pierre JOURDA

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Écrit par

  • : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines de Montpellier

Classification

Pour citer cet article

Pierre JOURDA. MARGUERITE DE NAVARRE (1492-1549) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BRIÇONNET GUILLAUME (1472 env.-1534)

    • Écrit par Jean-Yves POUILLOUX
    • 436 mots

    Ecclésiastique qui se trouva jouer un rôle important dans les questions religieuses du début du xvie siècle (les relations entre le pouvoir royal et la papauté, les querelles autour de l'humanisme et de la Réforme), Guillaume Briçonnet, évêque de Lodève en 1504, abbé de Saint-Germain-des-Prés...

  • DES PÉRIERS BONAVENTURE (1510-1544)

    • Écrit par Jean-Yves POUILLOUX
    • 404 mots

    La vie de Bonaventure des Périers nous est mal connue. On sait qu'il passa quelque temps à Lyon, où il aida Étienne Dolet à composer ses Commentaires de la langue latine, puis qu'il fut admis dans le cercle de Marguerite de Navarre, comme conseiller, puis comme secrétaire de la reine....

  • LEFÈVRE D'ÉTAPLES JACQUES (1450 env.-1537)

    • Écrit par Jean-Yves POUILLOUX
    • 523 mots

    Philosophe, mathématicien et théologien, Lefèvre d'Étaples fut l'une des figures les plus fortes du début du xvie siècle. Après des études en France, en Italie et sans doute dans divers pays, il se fixe à Paris.

    Ses premiers ouvrages concernent la philosophie d'Aristote, qu'il...

  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.

    • Écrit par Frank LESTRINGANT
    • 6 760 mots
    • 3 médias
    Protectrice de Marot, qui est son valet de chambre, Marguerite de Navarre (1492-1549) est l’une des figures intellectuelles majeures du règne de François Ier, son frère cadet. Son œuvre est en relation directe avec son inquiétude religieuse. Ainsi en va-t-il de sa poésie spirituelle et de son...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi