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MAO ZEDONG ou MAO TSÉ-TOUNG (1893-1976)

L'activisme maoïste, entre traditions et agitation urbaine (1913-1920)

En revanche, il est grand lecteur d'histoire chinoise : chroniques dynastiques, mais aussi romans, où la politique et la guerre se résument aux faits et gestes de héros œuvrant pour la justice et la purification de l'Empire en harmonie avec le peuple, dont rien ne les sépare, pas même le pouvoir qu'ils exercent, puisque, aussi bien, ils partagent sa vie et ses valeurs. Leçon indélébile : l'action politique est, par nature, une activité ancrée dans un pouvoir qui n'a pas à se partager formellement, dès lors qu'il est au service du peuple et proche de lui. Ce qui compte, dans la communauté que forment les héros et les masses, est la communion qui les soude, non un quelconque système d'institutions ou de contrepoids. Remplaçons héros par avant-garde étudiante puis par Parti communiste, et nous obtenons la formule invariable de l'activisme maoïste aux stades successifs de son élaboration : supra-institutionnel, certes, au sens où la mobilisation doit l'emporter sur les fonctionnements étatiques, mais nullement antiétatique, pourvu que l'État et ceux qui le guident participent du mouvement de l'ensemble. Héros anti-Qing, rebelle contre le G.M.D. et contre les dirigeants du P.C., empereur pourfendeur du régime qu'il aura créé, Mao se campera toujours dans ce rôle du guide hors d'atteinte et de contrôle, dressé contre des formes du politique condamnées à ses yeux par leur aliénation, celle-ci étant conçue, dans sa jeunesse, par rapport au peuple puis par rapport à lui-même : sa poésie, dans laquelle il s'appropriera le monde sur le mode épique, révélera la force de cette évolution « égopolitique ».

Aussi la galerie des héros de sa jeunesse réunit-elle, à côté des rebelles et des brigands redresseurs de torts, les capitaines, les mandarins et les empereurs qui exercent sur lui cette fascination de pouvoir quelque chose sur l'histoire et du pouvoir sans limite justifié par l'action collective. De rares références occidentales s'y introduisent, mais son univers ne se modernisera jamais que superficiellement. Voici comment notre Hunanais s'enrôle en 1912 sous les bannières de la révolution. La chute des Qing le rend bientôt à Changsha et à ses lectures, qu'il doit cependant suspendre pour choisir un métier : l'école. Cette voie royale, modernisée à la fin des Qing, permet à nombre de jeunes Chinois et Chinoises de concilier le souci de leur émancipation personnelle avec celui du progrès national. Comme eux, Mao croit aussi que l'instauration de la République achève la révolution.

Après 1913, l'échec des révolutionnaires dissipe cette illusion. Dès 1913, Sun Yat-sen perd pied dans un pays qui se fragmente, faute d'élites modernes capables de relayer les structures de l'empire. À partir de 1916, le pouvoir éclate : l'anarchie des Seigneurs de la guerre durera jusqu'à la réunification du pays par Tchang Kaï-Chek en 1927-1928. L'année suivante (1917), Mao obtient un diplôme d'instituteur d'une école normale de Changsha, où il est entré en 1913. Durant ces quatre années, une pâte renouvelée a commencé de lever dans le pétrin des Seigneurs de la guerre. Le capitalisme s'affirme, surtout à Shanghai. À Canton, Sun Yat-sen assortit son projet de restauration nationale d'un plan de reconquête armée du pays. Les intellectuels, s'interrogeant sur les causes de l'échec, dénoncent le carcan des traditions : contre l'emprise du confucianisme, une révolution dans la culture doit ouvrir les portes de l'avenir. Ce bouillonnement prépare les manifestations qui accueilleront l'annonce, décevante pour la Chine, des décisions de la conférence de Versailles (4 mai 1919). Mao participe à ce mouvement du 4-Mai à Changsha puis, quittant pour la première fois sa province, découvre Pékin et Shanghai. Ses[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, directeur du Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine, E.H.E.S.S.-C.N.R.S.

Classification

Pour citer cet article

Yves CHEVRIER. MAO ZEDONG ou MAO TSÉ-TOUNG (1893-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Naissance de la République populaire de Chine, 1949 - crédits : The Image Bank

Naissance de la République populaire de Chine, 1949

Mao Zedong à Yan'an, 1938 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Mao Zedong à Yan'an, 1938

Révolution culturelle en Chine, 1966 - crédits : Pathé

Révolution culturelle en Chine, 1966

Autres références

  • AI QING [NGAI TS'ING] (1910-1996)

    • Écrit par Catherine VIGNAL
    • 2 092 mots
    ...par Zhou Enlai, parvient à traverser, sous un déguisement militaire, quarante-sept postes de contrôle du Guomindang pour atteindre la base de Yan'an. L'ascendant que Mao exerça sur lui fut irrésistible. Les poèmes qui le célèbrent nous le montrent bien. Quand Ai Qing voulut partir pour le front, Mao...
  • ARMÉE - Doctrines et tactiques

    • Écrit par Jean DELMAS
    • 8 017 mots
    • 3 médias
    Mais l'arme nucléaire ne serait-elle qu'un « tigre de papier » ? Oui, affirmait Mao Zedong, face à la guerre du peuple. Bien avant Hiroshima, l'homme de la Longue Marche et de Yan'an avait défini les principes de la guerre révolutionnaire en Chine, en en soulignant la spécificité, fonction de quatre...
  • ARMÉE ROUGE, Chine

    • Écrit par Michel HOANG
    • 1 016 mots
    • 4 médias

    « Le pouvoir est au bout du fusil » : quand Mao Zedong énonce, en novembre 1938, cette formule désormais célèbre, il parle en orfèvre. Il fait la guerre à Tchiang Kaï-chek depuis plus de dix ans. Il lui faudra encore combattre plus d'une décennie pour prendre le pouvoir en 1949. En guerre...

  • CENT FLEURS LES

    • Écrit par Michel HOANG
    • 944 mots

    C'est en mai 1956 que le président Mao Zedong énonce sa formule désormais célèbre : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent. » Ce slogan d'expression très classique fait référence aux « cent écoles », dénomination donnée par le philosophe taoïste Zhuangzi aux multiples...

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Voir aussi