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MANDARINS

Simone de Beauvoir - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Simone de Beauvoir

Depuis qu'en 1954 Simone de Beauvoir publia Les Mandarins, le mot, qui ne s'employait en français qu'avec deux sens : le propre, pour désigner les fonctionnaires lettrés de la Chine, le figuré, pour stigmatiser certains abus d'autorité commis en médecine par plus d'un grand patron, a vu son extension croître démesurément. Depuis mai 1968, tout enseignant, et même quiconque se distingue par son savoir, passe pour mandarin. Culture, mandarinat, humanisme excitent désormais un mépris convergent. Pour Voltaire, les mandarins représentaient la perfection de la sagesse. Aujourd'hui, le mandarin est l'ennemi public no 1. Par un amusant retour du bâton, Simone de Beauvoir se voit traitée de « mandarine concrète ». En cette fin de siècle, et peut-être de civilisation, il faut donc tenter d'élucider le sens de mandarin et celui du mandarinat.

Les mandarins vus par les jésuites, les marchands, les Lumières

Quand il arrive à Pékin, le jésuite Gaubil, fondateur de la sinologie, y voit « un monde infini, mais, à la réserve des mandarins, une ville remplie de gueux » (14 nov. 1722). La beauté du palais l'émerveille, où se passent les examens. Compilateur de mille deux cents pages sur La Cina, le père Daniello Bartoli admire que des soldats armés surveillent les candidats, garantissant ainsi le sérieux des concours ; il ajoute que, sitôt reçus, les docteurs s'aident mutuellement, se défendent et se promeuvent l'un l'autre, incarnant ainsi la seule noblesse digne d'estime : celle de l'âme et de l'esprit « qui est la partie de nous la plus divine ». Même enthousiasme, dès 1665, chez Nieuhoff le protestant : « Je m'assure, ô Princes, que si, à l'exemple des Chinois, vous étiez plus portés à tirer les créatures de la lie et de la poussière pour les faire instruire dans les belles-lettres [...] vous en tireriez des ministres pour vous servir pour le moins avec autant de prudence, de crainte, de vénération et de fidélité que ceux que vous tirez des maisons de vos premiers vassaux. » Cette idée d'un mandarinat « démocratique » gouvernera le siècle des Lumières. Dans le Voyage du monde de Descartes (1690) et chez Bayle, le mandarin propose de surcroît un modèle de vertueux athée ; chez Voltaire, un champion du déisme, de la tolérance, du dévouement au bien public. Ce que faisant, les Lumières ressassent un lieu commun déjà formulé par le jésuite portugais Magaillans, qui célébrait ces mandarins « mettant tout leur bonheur et leur fin dernière » à bien gouverner l'empire. Même ferveur chez Quesnay, ou chez Eustace Budgell, dont A Letter to Cleomenes (1731) entend démontrer que « le vrai mérite est en Chine la seule qualification pour un poste » et que l'Angleterre ne fit bonne figure en Europe qu'autant qu'elle s'inspirait, sans le savoir, des valeurs du mandarinat.

De fait, les examens du Civil Service et les concours français de recrutement furent institués à l'exemple des examens chinois.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV

Classification

Pour citer cet article

ETIEMBLE. MANDARINS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Simone de Beauvoir - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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Autres références

  • CONFUCIUS & CONFUCIANISME

    • Écrit par ETIEMBLE
    • 14 434 mots
    • 2 médias
    ...et politiques nouvelles. Reste qu'on choisit de préférence les fonctionnaires parmi les gens formés par le confucianisme. Ainsi prenait forme ce qui allait devenir le système des examens et lemandarinat, qui consacre ou suppose la compétence administrative de qui sait par cœur le canon confucéen.

Voir aussi