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ALTHUSSER LOUIS (1918-1990)

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Humanisme et/ou marxisme

Louis Althusser fait de l'anti-humanisme théorique une composante essentielle de la démarche marxiste et une condition sine qua non pour prendre en compte les hommes et les femmes réels. Inscrire tout Marx dans l'humanisme suppose que ce révolutionnaire n'aurait pas connu, lui, de révolutions dans son œuvre et dans sa vie : il aurait été humaniste par nature, du début jusqu'à la fin. Conséquence : si le marxisme dans ses multiples variantes a partie liée avec l'humanisme, le «  stalinisme » se définirait par son « culte de la personnalité » et ses atteintes à la dignité humaine. Il l'a certes été, mais sur le fond d'une donnée plus radicale : en ne révolutionnant pas les rapports sociaux dans leur ensemble « tridimensionnel », le stalinisme constitue en réalité un antimarxisme bien plus efficace que n'importe quel maccarthisme... C'est ce qui ne peut plus durer dans le Parti communiste et qui, de fait, n'a pas duré dans les pays de l'Est européen.

En revanche, si des problématiques enchevêtrées traversent Marx autant que le marxisme, l'humanisme existe dans certaines œuvres et expériences seulement : dans la problématique prémarxiste. Il s'agit là, en effet, de la dignité humaine refusée au prolétariat, ainsi interdit d'accomplir cette « essence humaine éternelle » qu'il partagerait avec la bourgeoisie, elle aussi victime à sa manière de la puissance de l'argent et de l'utilitarisme. Il n'y a pas ici de lutte des classes, mais des êtres humains confrontés à des objets inhumains. Les rapports économiques deviennent, dans l'humanisme, la pure retombée matérielle de l'esprit humain, l'espace finalement secondaire où la nature humaine se réalise ou se perd. Au capitalisme, figure laïque de l'enfer, succéderait le communisme, représentation messianique du Paradis retrouvé. Communisme où se réalisent la « communion » (jeune Marx) de l'homme avec l'homme et la fin de l'aliénation – selon une adéquation religieuse (car parfaite) entre l'être et le devenir, la morale et la politique, le désir et le réel. La fin programmatique de la lutte des classes s'identifie à la fin problématique de toute contradiction. La tragédie qu'est l'histoire humaine est censée déboucher sur la béatitude de la reconnaissance universelle.

Dès lors, deux figures historiques prennent racine. D'une part, des régimes politiques ont cru pouvoir décider par décret que tout, chez eux, était devenu clair, partisans et adversaires convenablement définis et rangés, au besoin dans des camps ou dans des hôpitaux psychiatriques. D'autre part la déception tourmentée de ceux qui, espérant trouver dans le socialisme le Paradis perdu, ont en réalité découvert des formations sociales en proie à de féroces contradictions. L'économisme des uns fait pendant à l'humanisme des autres et, dans les deux cas, l'« analyse concrète des situations concrètes » (Lénine) fait défaut. Car l'humanisme n'est pas une analyse ni une intervention sur des rapports sociaux économico-politico-idéologiques, mais sur des rapports humains « authentiques » ou « aliénés » se manifestant dans l'histoire comme autrefois Dieu. Y sont escamotés les rapports de production spécifiques, les luttes concrètes, les appareils répressifs et idéologiques d'État et les résistances qu'ils rencontrent, bref l'histoire réelle.

Dans cette histoire réelle, il y a des hommes et des femmes concrets, avec leurs stratégies, leurs fantasmes, leurs singularités, leurs tragédies et leurs joies : autant de dimensions dont le marxisme doit tenir compte si les rapports sociaux désignent bien un objet global, et si leur impact ne se cantonne ni dans la seule vie publique, ni dans la[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en sociologie, U.F.R. de sciences sociales à l'université de Paris-V, président de l'association Pratiques sociales
  • : professeur de philosophie

Classification

Pour citer cet article

Saül KARSZ et François MATHERON. ALTHUSSER LOUIS (1918-1990) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • BALIBAR ÉTIENNE (1942- )

    • Écrit par
    • 1 058 mots

    Étienne Balibar est une des plus grandes figures internationales de ce qu'on a parfois appelé « post-marxisme ». Après avoir connu très tôt la notoriété par sa contribution à l'ouvrage dirigé par Louis AlthusserLire le Capital (1965), qui permit à toute une génération d'apprendre...

  • CRITIQUE LITTÉRAIRE

    • Écrit par et
    • 12 918 mots
    • 4 médias
    ...s'inspirent, en Allemagne de Theodor W. Adorno et de l'école de Francfort, en Grande-Bretagne de Raymond Williams et du matérialisme culturel, en France de Louis Althusser et de sa conception de l'idéologie calquée sur le modèle de l'inconscient freudien. De même que le structuralisme génétique...
  • DIALECTIQUE

    • Écrit par et
    • 8 037 mots
    • 2 médias
    De là l'idée avancée par L. Althusser que « la contradiction est surdéterminée dans son principe » (Pour Marx) : elle n'est pas une cause simple mais un effet complexe. Au lieu de réduire son objet à un principe rationnel interne (dans un mouvement qui relève en dernière analyse de l'...
  • IDÉOLOGIE

    • Écrit par
    • 6 777 mots
    ...entrer dans le problème des rapports d'une science à son passé (idéologique), disons que l'idéologie comme système de représentations se distingue de la science en ce que la fonction pratico-sociale l'emporte en elle sur la fonction théorique (ou fonction de connaissance) » (L. Althusser, Pour Marx).
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