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LIBIDO

Stratification sexuelle et archéologie de la sublimation

Qu'il s'agisse en l'occurrence d'une mutation profonde de la théorie, Freud en témoigne par le ton d'exaltation teintée d'humour sur lequel il en fait confidence à Fliess, le surlendemain de sa découverte : « Cela advint le 12 novembre 1897, le soleil se trouvait dans l'angle oriental, Mercure et Vénus étaient en conjonction » – l'horoscope de Michel Ange (d'après Vasari), auquel nous renvoie une note des éditeurs de la correspondance, prenant ici tout son relief de la rencontre avec la déesse de l'amour du messager des dieux. « Après les terribles affres de ces dernières semaines, un nouveau morceau de connaissance (ein neues Stück Erkenntnis]s'est trouvé mis au monde. » En vérité, « non pas entièrement nouveau », poursuit Freud, cet élément de connaissance « à maintes reprises s'était déjà manifesté et éclipsé mais, cette fois, il s'est gardé et a vu la lumière ».

Au départ est énoncée une hypothèse : « Je t'adresse l'explication suivante de l'étiologie des psychonévroses, écrit Freud le 20 mai 1896. C'est le fruit de laborieuses réflexions, mais qui demande à être confirmé par des analyses individuelles. Il convient de distinguer quatre épisodes de vie : Ia, jusqu'à 4 ans, pré-conscient ; Ib, jusqu'à 8 ans, infantile ; A, II, jusqu'à 14 ans, prépuberté ; B, III, jusqu'à x ans, maturité. A et B (de 8 à 10 ans, de 13 à 17 ans environ) sont des époques de transition au cours desquelles le refoulement se produit en général. » En deçà de la critique de l'« événement traumatique » (cf. la théorie de la cure cathartique) et de la constitution de la notion de fantasme, il y a donc retour à un ancrage temporel de l'étiologie. Mais la perspective prise sur le passé est tout autre. Il ne s'agit plus, en l'occurrence, d'envisager la tension, issue d'une énergie non liquidée, mais des vicissitudes d'organisations stratifiées. « Tu sais, écrit Freud le 6 décembre 1896, que [...] je pars de l'hypothèse que notre mécanisme psychique s'est établi par un processus de stratification[Schichtung] : les matériaux présents sous forme de traces mnémoniques se trouvent de temps en temps remaniés suivant les circonstances nouvelles. Ce qu'il y a d'essentiellement neuf dans ma théorie, c'est l'idée que la mémoire est présente non pas une seule mais plusieurs fois et qu'elle se compose de diverses sortes de signes[Zeichen]. Dans mon étude sur l'aphasie (1892), j'ai soutenu l'idée d'un semblable aménagement des voies venant de la périphérie. » Ainsi distinguera-t-on entre cinq registres, correspondant, d'une part, à une couche de perception non inscrite, et, d'autre part, à quatre types d'inscription relatifs à un enregistrement incapable de devenir conscient, à l'inconscient, au préconscient et au conscient.

Ainsi se trouve approfondie la notion de ces « groupes de représentations » évoqués en 1894 à propos de la névrose d'angoisse, et avec lesquels la tension endogène (somatique) prend contact, de manière à « susciter de la libido psychique ». Dans la perspective d'une stratification, les « groupes », notion vague encore, se déterminent comme des types d'enregistrement de signes. Mais corrélativement se produit, dans la conception de la libido, un tournant décisif. D'un côté, sur le versant organique, les sources de l'excitation se stratifient génétiquement dans leur inhérence à des « zones » corporelles ; de l'autre côté, du « contact » de ces sources diversifiées avec la diversité génétiquement ordonnée des couches de signes surgissent des types spécifiques d'organisations psychiques libidinales, et de la synthèse théorique de ces deux hypothèses de reconstruction[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Pierre KAUFMANN. LIBIDO [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Jupiter, Antiope et Amour, H. Aachen - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Jupiter, Antiope et Amour, H. Aachen

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