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LAMARCK JEAN-BAPTISTE DE MONET chevalier DE (1744-1829)

La destinée du lamarckisme

Le courant transformiste prélamarckien

Bien que cette idée d'une histoire de la vie sur la Terre ne fût pas nouvelle, elle n'avait pu s'exprimer devant le poids de la pensée fixiste qui affirmait que les espèces étaient des entités immuables depuis leur création. En Europe, pourtant, dès la fin du xviiie siècle, des auteurs anglais tels qu'Erasmus Darwin, les Italiens Antonio Fortis et Giuseppe Gautieri, les Français Jean-Claude de la Métherie et Eugène Patrin, et le Suisse Jean-André De Luc avaient déjà essayé d'expliquer comment la transformation de la surface de la Terre au cours des temps géologiques avait entraîné des processus d'adaptation et de changement du monde vivant. Plusieurs d'entre eux avaient avancé l'hypothèse que les modifications climatiques avaient obligé les êtres vivants à changer leurs habitudes de vie. Le principe de l'hérédité des caractères acquis, communément admis, permettait de cumuler les variations adaptatives responsables de la formation de nouvelles espèces. Lamarck avait donc résumé le débat contemporain dans un système cohérent et montré comment l'hypothèse transformiste pouvait expliquer tous les phénomènes biologiques – de la distribution géographique des plantes et des animaux et leur classification, à la formation des instincts et l'apparition de l'intelligence et de la culture humaines.

Lamarck avant le lamarckisme

Ignorées et méprisées souvent par la science officielle, en raison de leurs présupposés et de leurs implications matérialistes, les idées de Lamarck, qui définiront ce que l'on appellera bien plus tard le lamarckisme, se sont diffusées progressivement en Europe lors des premières décennies du xixe siècle. Des résumés, souvent critiques, des doctrines de Lamarck étaient disponibles dans différents dictionnaires, articles et ouvrages de vulgarisation. En Angleterre, Charles Lyell, dans ses Principles of Geology (1832), critiqua dans les moindres détails les thèses lamarckiennes et déclencha l'un des premiers débats sur la question de la permanence ou de la transformation des espèces. Par ailleurs, les naturalistes de cette époque continuaient à utiliser le principe de l'hérédité des caractères acquis, pour la plupart sans aucune implication transformiste. Dans le même temps, pour des raisons de prudence politique, peu de personnes osaient se ranger publiquement du côté de Lamarck. Les prises de position autour de Lamarck se focalisaient sur le caractère finaliste des processus biologiques et sur le rôle de la « volonté » dans les processus d'adaptation animale, en dépit du fait que Lamarck considérait la « volonté » comme un phénomène purement physico-chimique et niait l'existence d'un « plan » ou d'un « dessin » dans l'ordre naturel, qu'il considérait comme régi par un déterminisme physique absolu.

On oublie parfois que l'Origine des espèces (1859) du naturaliste anglais Charles Robert Darwin avait été lu par des naturalistes qui connaissaient Lamarck, ou au moins les interprétations finalistes de sa théorie. En France comme en Italie, en Russie, en Allemagne et en Angleterre, les premiers « darwiniens » avaient souvent exprimé leur sympathie pour Lamarck avant d'être séduits par Darwin. Pour des raisons philosophiques, théologiques ou épistémologiques, certains naturalistes ne pouvaient cependant accepter la vision antifinaliste de la nature vivante qui inspirait entièrement l'ouvrage de Darwin. En particulier, ils s'opposaient à l'idée du caractère non nécessairement adaptatif des variations individuelles sélectionnées dans la lutte pour l'existence, qui donnait un rôle important au hasard dans la production de nouvelles espèces. D'autres auteurs – et parmi eux, au regret de Darwin, Alfred Russell Wallace, crédité du titre de codécouvreur[...]

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Écrit par

  • : ancien professeur à la faculté des sciences de Paris, ancien directeur du laboratoire de génétique évolutive et de biométrie du C.N.R.S.
  • : professeur des Universités, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Charles BOCQUET et Pietro CORSI. LAMARCK JEAN-BAPTISTE DE MONET chevalier DE (1744-1829) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck - crédits : AKG-images

Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck

Autres références

  • LAMARCK (J.-B. de) - (repères chronologiques)

    • Écrit par Pascal DURIS
    • 460 mots

    1744 Naissance, le 1er août, de Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de La Marck (dit Lamarck) à Bazentin-le-Petit (Somme).

    1778 Lamarck publie la Flore française. Cet ouvrage sera réimprimé en 1795 puis remanié en 1805 par A.-P. de Candolle qui en publiera une dernière édition augmentée...

  • PHILOSOPHIE ZOOLOGIQUE (J.-B. de Monet de Lamarck)

    • Écrit par Pascal DURIS
    • 231 mots
    • 1 média

    Fondateur de la paléontologie des invertébrés, le naturaliste français Jean-Baptiste de Monet de Lamarck (1744-1829) se convainc que les êtres vivant actuellement sur Terre dérivent de formes plus anciennes par une transformation lente et irréversible. En se répandant à la surface du globe, les...

  • HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES (J.-B. de Monet de Lamarck)

    • Écrit par Laurent LOISON
    • 1 393 mots
    • 1 média

    En 1815 paraissait le premier des sept volumes d’une des œuvres majeures du zoologiste français Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet, chevalier de Lamarck (1744-1829) : l’Histoire naturelle des animaux sans vertèbres. Celle-ci constitue la première synthèse de grande ampleur concernant...

  • BIOLOGIE - L'être vivant

    • Écrit par Universalis, Andrée TÉTRY
    • 5 069 mots
    • 1 média

    Le terme « biologie » (β́ιος, vie, et λ́ογος, science) désigne la science qui étudie les êtres vivants, la vie. Il est utilisé, pour la première fois par le médecin allemand Gottfried R. Treviranus (1776-1832), dans Biologie oder Philosophie der lebendenNatur (Biologie ou Philosophie...

  • CLASSIFICATION DU VIVANT

    • Écrit par Pascal DURIS, Pascal TASSY
    • 7 201 mots
    • 6 médias
    Autour de 1800, le rejet de la chronologie biblique, qui attribuait 6 000 ans d'âge à la Terre, prépare un changement de paradigme dontJean-Baptiste Lamarck est l'artisan. Élève de Buffon, Lamarck est d'abord comme lui convaincu que les espèces sont filles de la nature et que « leur existence...
  • DISCOKERYX XIEZHI

    • Écrit par Bastien MENNECART
    • 1 130 mots
    • 2 médias
    ...ont proposé différents scénarios pour expliquer les causes d’une telle étrangeté anatomique. Dans son ouvrage Philosophie zoologique publié en 1809, Jean-Baptiste de Monet de Lamarck propose la première théorie de l’évolution, dite du transformisme. Prenant l’exemple de la girafe, Lamarck postule...
  • ESPÈCE, biologie

    • Écrit par Jean GAYON
    • 4 774 mots
    • 6 médias
    ...biologique a résulté de la théorie de l'évolution. À première vue, cela aurait pu être fatal à une vision réaliste de l'espèce biologique. Darwin, comme Lamarck (1744-1829) avant lui, ont en effet adopté une position nominaliste sur la question de l'espèce, considérant qu'en toute rigueur les espèces n'existent...
  • Afficher les 14 références

Voir aussi