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KINDĪ AL- (IXe s.)

La série des falāsifa arabes commence par un penseur encyclopédique, imprégné de pensée grecque, mais aussi mêlé aux controverses religieuses. Il suffirait, pour faire révoquer en doute le jugement passager de Renan sur l'absence d'originalité de la philosophie arabe, de l'exemple de Kindī (et l'étude de ses successeurs irait d'ailleurs dans le même sens).

En fait, quand les œuvres des philosophes grecs furent traduites en arabe, elles tombèrent dans un milieu travaillé par des ferments vigoureux, et qui assimila selon sa nature propre les concepts et les problèmes qu'elles véhiculaient. Cela se vérifie avec Kindī, dans la mesure où l'on peut juger d'une œuvre très vaste par le peu qui en reste. Cela suffit toutefois pour attester que cet auteur ne dépare pas, dans son ordre, l'éclat du ier siècle ‘abbāsside, l'un des plus brillants de l'histoire universelle.

Un savant polyvalent

Abū Yūsuf Ya‘qūb b. Isḥaq al-Kindī, issu de la tribu sud-arabique de Kinda (d'où son nom de « philosophe des Arabes »), naît à Kūfa vers les premières années du ixe siècle de l'ère chrétienne (avant-dernière décennie du iie siècle de l'hégire) ; Kūfa avait été la première capitale ‘abbāsside. Il poursuit ses études à Baṣra, dont son père était gouverneur, puis à Bagdad, fondée en 762 par le deuxième calife ‘abbāsside, Manṣūr, qui en fit sa capitale. Ces trois villes étaient les plus prestigieuses de l'empire musulman du point de vue intellectuel. L'époque de Kindī est celle où la culture musulmane atteint un développement extraordinaire, préparé au siècle précédent. Le passage sous la domination arabe de peuples à riches traditions déterminait un brassage culturel et social fécond.

En 830, le calife al-Ma'mūn fonde le bayt al-ḥikma (maison de la sagesse), à la fois bibliothèque, académie, office de traductions, doté aussi d'un observatoire. Poursuivant un mouvement culturel commencé au siècle précédent un grand nombre de traducteurs, actifs, compétents, bien rétribués, font passer en syriaque et en arabe quantité de livres persans, indiens et surtout grecs : l'essentiel de la science et de la philosophie helléniques devient ainsi accessible aux Arabes. Parallèlement, au cours du iie siècle de l'hégire, cependant que la prose arabe prenait sa forme classique, la spéculation religieuse, aiguisée par les controverses avec les croyants d'autres religions et entre musulmans, s'était affinée, devenant plus ample et plus dialectique. Dans tous les domaines, ce temps bouillonne d'ardeur et de toutes les audaces. Kindī, à sa façon, l'illustre fort bien.

Le bio-bibliographe Ibn al-Nadīm, qui écrivait cent quinze ans environ après la mort de Kindī, lui consacre dans son Fihrist (« catalogue ») une notice où il lui attribue plus de deux cent soixante-dix ouvrages. Kindī, en effet, écrivit sur à peu près toutes les sciences, y compris l'astrologie (mais non l'alchimie, à laquelle il ne croyait pas) ; ceux de ses traités scientifiques qui nous sont parvenus concernent principalement l'astronomie, la météorologie, l'optique, la pharmacologie, et c'est surtout en tant que savant qu'il fut d'abord cité. Tout en adoptant les principes de la science grecque, Kindī poursuit en ces matières une réflexion personnelle et originale : il veut à la fois transmettre et compléter le travail des Anciens. Pour lui, les mathématiques sont, au même titre que la logique, des sciences propédeutiques à la philosophie. Dans ce dernier domaine, il composa des traités de logique, de morale, de noétique, de métaphysique. Il est malheureusement difficile de donner un exposé synthétique de sa pensée, à cause du caractère fragmentaire du corpus passé jusqu'à nous. On peut du moins en dessiner quelques[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

Classification

Pour citer cet article

Jean JOLIVET. KINDĪ AL- (IXe s.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALCHIMIE

    • Écrit par René ALLEAU, Universalis
    • 13 642 mots
    • 2 médias
    ...ne présente pas de rapports avec la sorcellerie. La source arabe la plus proche de cette tradition secrète est l'œuvre de Ya'kub ibn Ishāk ibn Sabbāh al-Kindi, le Liber de radiis stellicis, traité dans lequel le mouvement des étoiles et « la collision de leurs rayons » (Thorndyke) produisent, selon cet...
  • ISLAM (La civilisation islamique) - La philosophie

    • Écrit par Christian JAMBET, Jean JOLIVET
    • 8 975 mots
    ...Le premier de ces philosophes, arabe lui-même et de noble lignée comme cela est mentionné traditionnellement, est Abū Yūsuf Ya‘qūb b. Isḥāq al-Kindī, né vers la fin du iie/viiie siècle et mort après 256/870. Son œuvre abondante tant en philosophie qu'en sciences ne nous est parvenue que...
  • ISLAM (La civilisation islamique) - Les mathématiques et les autres sciences

    • Écrit par Georges C. ANAWATI, Universalis, Roshdi RASHED
    • 22 273 mots
    • 1 média
    Le même intérêt pour l'optique se retrouve par ailleurs chez le premier philosophe arabe, al-Kindī (m. en 873 environ), qui composa, en plus de son traité sur les miroirs ardents, plusieurs ouvrages dont le De aspectibus, connu par la traduction latine de Gérard de Crémone. En matière d'optique,...

Voir aussi