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KABYLES

Il se rencontre encore un peu partout dans le monde de ces minorités ethniques ou linguistiques qui, tantôt instinctivement, tantôt consciemment, se sont opposées à toutes les tentatives d'absorption et en ont triomphé finalement. Il semble même que l'univers hostile dont elles sont entourées contribue largement à durcir leur résistance et à leur forger une personnalité nettement dégagée, originale jusque dans les manifestations les plus simples. C'est le cas des Kabyles en Algérie. Reste du grand peuple berbère dont le domaine s'étendait de l'Égypte à l'Atlantique et de la Méditerranée à l'Afrique noire, ils forment un groupement humain bien distinct par le territoire (la Kabylie), un mode de vie propre, une langue, une littérature et des traditions communes. Autant d'éléments constitutifs d'une nationalité toujours en puissance, mais jamais pleinement réalisée, dont la connaissance est indispensable pour qui veut comprendre certains problèmes posés à l'Algérie. La rébellion des Kabyles au lendemain de l'indépendance et leurs réserves à l'égard du pouvoir central traduisent un malaise qui ne trouvera sa solution que dans la reconnaissance du fait kabyle. Alger s'est au contraire acharné à vouloir détruire la langue kabyle par une politique systématique d'arabisation. Or, après la disparition des institutions politiques de la Kabylie, l'essentiel de son originalité réside dans sa langue, sa littérature, sa poésie, instruments de résistance efficace dans le passé, aujourd'hui menacés par une instruction publique généralisée qui favorise les hégémonies linguistiques.

La Kabylie

Le nom de Kabylie est la forme européanisée de l'arabe ḳbayl (tribus). Il ne semble pas que les historiens et les géographes d'expression arabe s'en soient servi dans leur nomenclature pour désigner une région quelconque de la Berbérie au Moyen Âge. Cette dénomination a été introduite par des voyageurs européens. De nos jours encore, seuls en usent en Algérie les sujets s'exprimant en français. L'arabophone dira blad leḳbayl (pays des tribus), ḳbayl étant traité ici en véritable nom propre. Quant aux Kabyles eux-mêmes, ils emploient un terme appartenant au très ancien fonds berbère : tamourt, la terre, la terre natale, la patrie, le pays.

Ce tamourt n'a jamais connu de frontières bien définies. Il eût fallu pour cela qu'il se constituât en État, et les Kabyles ont été de tout temps farouchement opposés à une hégémonie politique qui eût rendu impossible à leurs yeux l'application d'un principe de gouvernement solidement ancré dans leurs mœurs : le contrôle direct et rigoureux d'un pouvoir central électif. Le rejet d'une autorité commune de quelque importance ne signifiait cependant pas absence de cohésion. Morcelée à l'intérieur, la Kabylie n'offrait pas moins l'image d'un bloc, agissant en tant que tel, solidaire certes de l'ensemble algérien qu'elle a incarné plus d'une fois, mais sans jamais cesser de s'en distinguer. Elle servait de refuge le plus sûr aux populations des plaines fuyant devant l'envahisseur, ensuite de base de résistance et de récupération quand la puissance de l'ennemi était émoussée et que sonnait l'heure de la libération. Dans ces conditions, suivant les vicissitudes politiques et militaires, elle s'accroissait et englobait de larges lambeaux de plaines, ou se réduisait aux seuls pitons d'où l'on pouvait narguer soit l'ennemi soit un pouvoir central trop éloigné et anonyme, parfois nominalement reconnu, mais rejeté en la personne de son administration.

Formation et évolution du bloc kabyle

La lecture des auteurs anciens montre, en effet, une Kabylie tantôt cernée et réduite à ses seules montagnes inaccessibles,[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris
  • : docteur d'État, professeur d'université

Classification

Pour citer cet article

M'Barek REDJALA et Bouziane SEMMOUD. KABYLES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Lounès Matoub - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Sygma/ Getty Images

Lounès Matoub

Autres références

  • AMROUCHE JEAN (1906-1962)

    • Écrit par Universalis
    • 338 mots

    Jean el-Mouhouv Amrouche est né à Ighil-Ali (Petite Kabylie). Peu de temps après sa naissance, sa famille, christianisée et francisée, émigre à Tunis. Après des études au collège Alaoui de cette ville, Jean Amrouche est reçu à l'École normale supérieure de Saint-Cloud ; il devient ensuite professeur...

  • AMROUCHE TAOS (1913-1976)

    • Écrit par Jacqueline ARNAUD
    • 1 190 mots

    Sœur de l'écrivain Jean Amrouche, Taos Amrouche appartient à la Petite Kabylie, par son père, à la Grande Kabylie, par sa mère. Mais les hasards de l'histoire qui voulut que ses parents, en échange d'une bonne instruction française, fussent amenés à adopter le christianisme, puis la nationalité...

  • BERBÈRES

    • Écrit par Salem CHAKER, Lionel GALAND, Paulette GALAND-PERNET
    • 7 639 mots
    ...(Tunisie, Libye, Égypte, Mauritanie) qui abritent des groupes berbérophones réduits, dont le poids social et politique est insignifiant. Le cas des Kabyles est frappant à cet égard : ils ont à la fois fourni une grande part des élites de l'Algérie indépendante et constitué une des principales forces...
  • IDIR (1949-2020)

    • Écrit par Patrick LABESSE
    • 971 mots

    Le chanteur et musicien kabyle Idir fut, dans les années 1970, le compositeur et interprète de « A Vava Inouva », le premier succès international maghrébin. Il a traversé les générations et au-delà de la communauté kabyle, rallié autour de lui un public arabophone et français. Le sociologue Pierre...

Voir aussi