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HABERMAS JÜRGEN (1929- )

Quelles structures normatives pour notre société ?

La Théorie de l'agir communicationnel (1981 ; trad. franç. 1987) exige une refondation communicationnelle de la rationalité. Dans cet ouvrage, Habermas s'est livré en même temps à une mise à jour impitoyable de la Théorie critique, en proposant de la délivrer du « ballast du matérialisme historique ». Ce tournant avait été préparé en 1976 par Après Marx (trad. franç. 1985). Ce recueil d'essais très construit énonçait un programme en quatre points : le rôle de la philosophie dans le marxisme et la question des structures normatives au plan supra-individuel ; la problématique de l'identité dans les sociétés industrielles et la question des structures normatives au plan individuel ; le débat avec les théories évolutionnistes de la société et enfin et surtout la problématique de la légitimation qui constitue, dans le prolongement de L'Espace public, le noyau central de la philosophie politique et sociale habermasrienne, précisément parce que la légitimité est pour elle la courroie de transmission entre le social et le politique.

La Théorie de l'agir communicationnel prétend reconstituer l'unité de la raison dissociée par la modernité. Habermas a défendu, parfois avec une partialité polémique, cette exigence de rationalité, notamment dans le contexte « post-moderne » ou « post-structuraliste » des années 1980, contre les « théories françaises » (Derrida, Foucault, Lyotard, Baudrillard...) dont la réception en Allemagne prit une ampleur massive au milieu des années 1980 (Le Discours philosophique de la modernité, 1985 ; trad. franç. 1988).

La Théorie de l'agir communicationnel vise à refonder la rationalité éthique et politique, dont la faillite se traduit par une crise de la publicité, des structures normatives et de la légitimité. Ce programme demeure problématique, vingt ans après son lancement, au vu des formes concrètes de communication qui se sont épanouies dans les années 1980 et 1990 avec la diffusion des nouvelles technologies. Il continue d'invoquer une communauté idéale de compréhension mais accorde toutefois de plus en plus d'intérêt à la réalité des interactions sociales (Droit et démocratie. Entre faits et normes, 1992, trad. franç. 1997). La réflexion d'Habermas sur le droit traduit cette préoccupation. Le droit constitue en effet l'instance de médiation entre le « monde vécu » et les systèmes sociaux obéissant à des codes indépendants les uns des autres. Il est la courroie de transmission susceptible d'endiguer l'éclatement social et politique. C'est donc sur ce terrain que la question de la normativité et celle de la légitimité doivent trouver leur solution objective : il faut que les destinataires des normes juridiques puissent en même temps se comprendre comme les auteurs rationnels de ces normes. Aussi Habermas s'est-il impliqué ces dernières années dans le débat sur la citoyenneté qui s'est développé, aux États-Unis puis en Europe, à partir de la Théorie de la Justice du libéral John Rawls et du mouvement néo-communautarien, représenté notamment par des théoriciens comme Michael Walzer ou Michael Sandel.

— Gérard RAULET

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Pour citer cet article

Gérard RAULET. HABERMAS JÜRGEN (1929- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • PARCOURS (J. Habermas) - Fiche de lecture

    • Écrit par Isabelle AUBERT
    • 1 060 mots

    Les deux tomes de Parcours,édités par Christian Bouchindhomme et parus chez Gallimard (2018), réunissent une trentaine de textes du philosophe allemand Jürgen Habermas publiés entre 1971 et 2017, à ce jour inédits en langue française ou devenus inaccessibles. En annexe, une bibliographie complète...

  • THÉORIE DE L'AGIR COMMUNICATIONNEL, Jürgen Habermas - Fiche de lecture

    • Écrit par Éric LETONTURIER
    • 1 134 mots

    Pièce maîtresse de la production du représentant le plus célèbre de la seconde génération de l'école de Francfort, Théorie de l'agir communicationnel (Theorie des Kommunikativen Handels) parachève le projet d'actualisation de la théorie critique qu'il avait entrepris dès 1963 dans...

  • BECK ULRICH (1944-2015)

    • Écrit par Mohamed NACHI
    • 1 606 mots
    Dans le sillage des grandes figures de la sociologie allemande contemporaine, notamment Jürgen Habermas – dont il est proche – et Niklas Luhmann, il est aujourd’hui, avec Axel Honneth, Hans Jonas et Claus Offe, parmi les auteurs qui ont marqué la pensée sociologique au cours des dernières décennies....
  • CAPITALISME - Sociologie

    • Écrit par Michel LALLEMENT
    • 3 521 mots
    • 2 médias
    ...bénéficiaires. Dans les années 1970, cette thèse du capitalisme monopoliste d'État fait écho à d'autres interprétations de nature socio-politique. En Allemagne, Jürgen Habermas (Raison et légitimité, 1973) explique ainsi que, dans la mesure où l'État sert d'amortisseur à la crise économique, cette dernière...
  • CITOYENNETÉ

    • Écrit par Dominique SCHNAPPER
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    ...européenne ? La citoyenneté européenne peut-elle n'être que l'élargissement à l'Europe de la citoyenneté nationale ou doit-elle être de nature différente ? C'est tout l'effort, mené en particulier par Jurgen Habermas (1990), pour penser une citoyenneté européenne, fondée sur l'adhésion à l'État de droit et...
  • DIALECTIQUE, notion de

    • Écrit par Marie GAUTIER
    • 1 610 mots
    ...modalités de co-construction d'arguments. La fondation de la raison, visée par la dialectique, peut engendrer une « raison communicationnelle », comme l'entend Jürgen Habermas dans sa Théorie de l'agir communicationnel (1981), et reposer sur une reconnaissance « entre nous », constituée en commun.
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Voir aussi