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LA FONTAINE JEAN DE (1621-1695)

Un moraliste singulier

Longtemps négligée, l’importance des Contes dans l’œuvre du poète est aujourd’hui mieux connue. Ces récits, qui proposent, à travers des histoires convenues de cocuage, une célébration souriante des plaisirs de la sensualité, quand ils sont relevés par les condiments de l’inattendu, voire de l’interdit, sont le complément des Fables, qui malgré leur apparente naïveté, dressent un tableau particulièrement sombre des rapports sociaux. Dans les deux cas, la narration, qu’elle mette en scène des hommes ou des animaux, propose une réflexion sur les ressorts et la violence du désir (désir amoureux et sexuel dans un cas, désir de pouvoir dans l’autre), qui frappe d’autant plus le lecteur qu’elle s’est d’abord présentée sous la forme innocente d’une fiction fantaisiste.

Les deux œuvres, en outre, se présentent comme des collections de textes autonomes, qu’aucun discours surplombant n’encadre pour en livrer la clé d’interprétation unique. La marqueterie des différents recueils de Fables et de Contes laisse ainsi chaque lecteur déterminer quels fils secrets relient les récits entre eux, selon un cheminement herméneutique qui lui est propre. C’est la singularité et l’élégance d’un moraliste original qui, tout en reprenant un genre éminemment didactique, refuse d’adopter la posture pédante du maître d’école, ou celle, inquisitrice, du directeur de conscience. La fable et, dans une moindre mesure, le conte contribuent en effet, par la présentation infiniment recommencée des travers humains dans leur variété et leurs contradictions, à miner tout dogmatisme à la racine.

C’est pourquoi il est difficile de ranger l’œuvre du poète sous la bannière d’une unique école de pensée. L’éthique louvoyante et lucide de La Fontaine présente des affinités certaines avec le renouvellement de l’épicurisme, porté par Gassendi (dont il fréquente un disciple, Bernier, chez Mme de La Sablière). À une valorisation mesurée des plaisirs, essentiels à l’équilibre de l’individu, s’associe un regard critique sur la propension humaine à l’erreur – regard qui décourage par conséquent tout système doctrinaire.

Ses rapports avec la religion sont aussi délicats à cerner. À la fin de sa vie, le poète renie ses Contes, accentuant encore rétrospectivement leur aura sulfureuse. Mais l’hypothèse d’une existence licencieuse, avant une conversion tardive au seuil de la mort, doit être nuancée par le fait que toute sa vie, La Fontaine a fréquenté des milieux croyants. Il participe à l’édition du Recueil de poésies chrétiennes et diverses, en 1671, pour le compte des jansénistes de Port-Royal, et publie en 1673 le Poème de la Captivité de saintMalc, qui célèbre la chasteté d’un des premiers chrétiens. Si ses Fables ne mettent en scène que des dieux païens et une morale universelle, si ses Contes brocardent joyeusement les faiblesses des ecclésiastiques pour la chair et la bonne chère (satire conventionnelle, du reste), il est donc discutable d’en déduire le portrait d’un homme radicalement hostile au christianisme.

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Écrit par

  • : maître de conférences en littérature française, Sorbonne université

Classification

Pour citer cet article

Tiphaine ROLLAND. LA FONTAINE JEAN DE (1621-1695) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Jean de La Fontaine, H. Rigaud - crédits : Photo Josse/ Leemage/ Corbis/ Getty Images

Jean de La Fontaine, H. Rigaud

Les Animaux malades de la peste, gravure de Auguste Delierre - crédits : Liszt Collection/ Heritage Images/ Age Fotostock

Les Animaux malades de la peste, gravure de Auguste Delierre

<em>Le Loup et l’Agneau</em>, illustration de G.Doré - crédits :  AKG-Images

Le Loup et l’Agneau, illustration de G.Doré

Autres références

  • FABLES (J. de La Fontaine) - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 966 mots
    • 2 médias

    Jean de La Fontaine (1621-1695) a quarante-six ans quand, en mars 1668, Barbin, éditeur prestigieux de Boileau et de Racine, fait paraître les six premiers livres des Fables choisies et mises en vers par M. de La Fontaine. Elles sont précédées d'une Épître à Monseigneur le Dauphin...

  • APOLOGUE, genre littéraire

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    • 441 mots

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    « Fable », issu du latin fabula, est le terme que le théâtre utilise traditionnellement pour désigner l'histoire racontée – là où le grec, et la Poétique (env. 340 av. J.-C.) d'Aristote tout particulièrement, emploie le terme muthos. Selon Aristote, la fable est le plus important...

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  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIe s.

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    Héritier conjoint du cabaret et des salons, l’autre grand poète du règne personnel de Louis XIV, La Fontaine, conjoint dans la diversité de son œuvre l’inspiration antique et moderne, rimant alternativement la morale de la fable héritée d’Ésope et les grivoiseries du conte à l’italienne,...

Voir aussi