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POLLOCK JACKSON (1912-1956)

Figure/fond

C'est en 1942 que la stature de Pollock commence à émerger : à la suggestion de Piet Mondrian (avec qui il a plus en commun qu'on n'a longtemps voulu le croire), Peggy Guggenheim l'inclut dans une exposition de groupe à « Art of this Century », la galerie qu'elle vient d'ouvrir. La fluidité cursive de l'œuvre qu'il présente, Stenographic Figure, pourrait faire croire que Pollock va immédiatement déboucher sur l'investissement gestuel de la surface que magnifient ses œuvres les plus accomplies. Mais le retour à des compositions beaucoup plus centrées, comme Guardians of the Secret, She-Wolf, Pasiphaë ou Male and Female (1943), fortement inspirées de ses lectures surréalistes, montre, comme cela avait été le cas pour Mondrian, qu'il lui fallait d'abord résoudre la question de la figure, de l'inscription de la figure sur un fond – au fondement de toute l'esthétique picturale depuis l'Antiquité – avant de pouvoir s'en libérer. Ce travail de déconstruction commence avec le gigantesque Mural (tableau de plus de six mètres de large), réalisé la même année pour l'appartement new-yorkais de Peggy Guggenheim. Conçu comme une longue arabesque, comme une série de courbes s'enroulant de manière plus ou moins régulière autour d'invisibles accents verticaux – selon la méthode de Benton –, l'œuvre préfigure l'espace all-over des œuvres de 1948-1949, qui constitue l'une des inventions majeures de Pollock (remplissage indifférencié de la surface). La déconstruction se poursuit avec Gothic (1944), où un système de demi-arcs de cercle qui s'épaulent mutuellement envahit peu à peu la surface, étirant le tableau vers le haut.

Là encore, Pollock dut sentir qu'un danger de joliesse décorative guettait son travail dès lors qu'il s'abandonnait au charme de l'arabesque avant d'avoir résolu dans sa technique picturale même le problème de l'opposition figure/fond. Les toiles de 1945 et du début de 1946 (The Water Bull, The Blue Unconscious), beaucoup plus angulaires, aux zones colorées beaucoup plus larges, reprennent l'opposition cubiste entre couleur et dessin que l'art de Miró avait magnifiée : tout se passe comme si Pollock avait eu besoin, avant d'aborder de nouveau l'arabesque, de s'assurer de sa capacité à structurer un espace par les moyens figuratifs mis en œuvre par ses aînés. De fait, au sens où les éléments qui les constituent sont malgré leurs contours équivoques des plans colorés fortement silhouettés, ces toiles sont bien les dernières œuvres « figuratives » de Pollock avant la série de tableaux en noir et blanc de 1951.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard

Classification

Pour citer cet article

Yve-Alain BOIS. POLLOCK JACKSON (1912-1956) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

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Voir aussi