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BERGMAN INGMAR (1918-2007)

« Tout peintre se peint »

Quatre figures de cinéaste, contrastées et qui n'en font qu'une. Entre le jeune homme en colère de 1950, l'auteur de grands scénarios ambitieux de 1957, le maître du fantastique psychologique des années 1960, le vieux conteur d'histoires de désespoir ou de réconciliation, quoi de commun ? Une biographie, d'abord, toujours très proche des films. Cela devint évident à partir des Communiants, dont le héros, un prêtre qui doute, est évidemment inspiré par son père ; mais tout l'œuvre de Bergman, en gros et en détail, est gorgé de souvenirs d'enfance – presque toujours des émotions plutôt que des actions, comme on le voit dans ce comble de l'autofiction déguisée qu'est Fanny et Alexandre. Il ne cesse de retravailler un matériau brûlant : les parents, la famille, la foi en Dieu, l'amour d'une femme et l'impossibilité de s'y tenir, l'amour de l'art et l'angoisse de ne savoir être à sa hauteur, et par-dessus tout, la vocation du spectacle. Même dans les films où il n'a pas de représentant explicite, Bergman est là, avec ses angoisses et ses questions sans réponse. Le metteur en scène désabusé d'Après la répétition, c'est lui, mais le réalisateur un peu fumiste de La Prison, c'était aussi et déjà lui ; auteur de presque tous ses scénarios, il aurait pu dire de bien de ses personnages : « c'est moi ! »

Il y a donc des thèmes bergmaniens, de grandes questions de l'existence, qui ont touché et qui touchent, directement, si on accepte leur sérieux ; une certaine image de la mort – désespérée quoique ironique, comme cela apparaît dans son avant-dernier film, En présence d'un clown ; un credo hétérosexuel sans nuances (mais non sans états d'âme, comme on le voit dans De la vie des marionnettes) ; une interrogation sur l'au-delà, souvent fantastique (beaucoup de fantômes, beaucoup d'apparitions), et sur l'ici-bas, volontiers religieuse (Les Communiants) ; une dénonciation de l'oppression sociale (dans pratiquement tous les premiers films) ; et, ce qui a été moins souvent souligné, un goût prononcé pour le comique sous toutes ses formes, du grinçant (les comédies en noir et blanc) au burlesque (Toutes ses femmes). Il y a, c'est clair, un monde bergmanien, au sein duquel se tissent d'innombrables liens, d'un film et d'une époque à l'autre : à commencer par la reprise, encore et encore, des mêmes noms de famille (Åkerblom, Vergerus, Vogler) et des mêmes prénoms (qui sont, comme par hasard, ceux de ses parents et grands-parents), et ce que confirme le retour d'une troupe d'acteurs dont plusieurs furent ses amis, et dans les films ses alter ego. Ainsi, durant plus de vingt ans, de grands acteurs de théâtre comme Gunnar Björnstrand, Max von Sydow, Erland Josephsson furent de tous ses projets ; il montra la même fidélité avec les actrices, telles Eva Dahlbeck et Ingrid Thulin, sans parler de celles qui partagèrent son intimité, comme Harriet Andersson, Bibi Andersson et Liv Ullmann. On pourrait aussi noter la confiance absolue qu'il témoigna à son principal chef opérateur, Sven Nykvist. Autre fidélité : à partir de 1960, lors du tournage d'À travers le miroir, Bergman découvre l'île de Fårö, dont il sut aussitôt qu'elle était son lieu prédestiné. Le petit monde bergmanien, avec ses figures tutélaires et amies, avait trouvé, là, son cadre définitif. Le cinéaste s'identifia tellement à cette île qu'il s'y installa définitivement vers 1980, et y mourut, le 30 juillet 2007.

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Jacques AUMONT. BERGMAN INGMAR (1918-2007) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Le Septième Sceau</em>, I. Bergman - crédits : Mary Evans/ Aurimages

Le Septième Sceau, I. Bergman

Monika, I. Bergman - crédits : Prod DB/ AllPix/ Aurimages

Monika, I. Bergman

<em>Le Silence</em>, I. Bergman - crédits : Album/ AKG-images

Le Silence, I. Bergman

Autres références

  • LES FRAISES SAUVAGES, film de Ingmar Bergman

    • Écrit par Jacques AUMONT
    • 1 060 mots

    À trente-neuf ans, Ingmar Bergman passe pour un véritable bourreau de travail, écrivant ou réalisant près de deux films par an. Sa première réalisation, Crise (Kris), en 1946, est un hommage, déjà très personnel, au réalisme poétique, mais le jeune homme dévoré d'ambition, au talent précoce,...

  • LES FRAISES SAUVAGES (I. Bergman), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 204 mots

    D'une histoire simple – le vieux docteur Isaak Borg se rend en automobile de Stockholm à l'université de Lund pour fêter son jubilé –, Ingmar Bergman fait une plongée dans le passé et l'inconscient de son héros. Si Les Fraises sauvages confirme la « modernité » de Bergman,...

  • ANDERSSON BIBI (1935-2019)

    • Écrit par Colette MILON
    • 884 mots
    • 1 média

    Elle fut le sourire de Bergman, sa lumière vive. Apparue dans nombre de ses films et de ses réalisations pour la télévision, l’actrice suédoise est une figure indissociable de son œuvre. Née le 11 novembre 1935 à Stockholm, Berit Elisabeth Andersson, « Bibi », fille d’un homme d’affaires et d’une...

  • ANSPACH SÓLVEIG (1960-2015)

    • Écrit par Nicole GABRIEL
    • 694 mots
    • 1 média

    Sólveig Anspach est née le 8 décembre 1960 à Heimaey, dans l’archipel de Vestmann (Islande), d’une mère islandaise et d’un père juif viennois qui avait rejoint les États-Unis puis combattu en Europe sous l’uniforme américain. Cette citoyenne du monde grandit à Paris, fréquente l’école allemande, fait...

  • BERGMAN INGRID (1915-1982)

    • Écrit par Hubert HARDT
    • 981 mots
    • 4 médias
    ...Human Voice (1966) – transposition de Cocteau – de Ted Kotcheff, pleine d'humour dans Fleur de cactus (1969) de Gene Saks, c'est à Ingmar Bergman qu'elle devra l'accomplissement de sa force expressive. Sonate d'automne (1978) est le chef-d'œuvre de cet alliage de cruauté et...
  • CINÉMA ET OPÉRA

    • Écrit par Jean-Christophe FERRARI
    • 3 248 mots
    • 7 médias
    Avec la réussite artistique et commerciale de La Flûte enchantée d'Ingmar Bergman, l'année 1975 marque une étape importante de l'histoire de la représentation de l'opéra au cinéma. Avec ce film, tourné dans le Théâtre du château royal de Drottningholm, près de Stockholm, Bergman crée en effet une...
  • Afficher les 15 références

Voir aussi