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CUKOR GEORGE (1899-1983)

Les femmes au premier plan

Dans ce monde du spectacle qu'est le monde de Cukor, les rôles principaux sont donnés aux femmes. Elles en sont tout à la fois les héroïnes et les premières victimes (interprétées par Katharine Hepburn, Greta Garbo, Norma Shearer, Joan Crawford, Ingrid Bergman, Judy Holliday, Judy Garland, Ava Gardner, Anna Magnani, Marilyn Monroe, Anouk Aimée, ou Jacqueline Bisset et Candice Bergen). Ce sont des actrices, en ce qu'elles prêtent aux fictions, outre leur éclat, leur énergie qui peut être l'énergie du désespoir, et en ce qu'elles s'essayent à une liberté dont elles sont foncièrement dépossédées – le récit naissant d'elles et de leur situation de malaise. Ce sont des personnages de passage, qui n'ont de solution pour vivre que de passer d'un état à un autre : de l'anonymat à la renommée (le spectacle étant lieu prédisposé à ce genre d'entreprise), de la méconnaissance à la reconnaissance. Ce qui, d'ailleurs, explique aussi l'intérêt de Cukor pour les trajets initiatiques : apprentissages de signes dans Voyages avec ma tante (1973) ou nouvelles « infortunes de la vertu », sombres drames et coups de théâtre qui s'accumulent et par lesquels la société patriarcale victorienne fait payer à un innocent le prix de son orphelinat dans David Copperfield (1935) – adaptation à laquelle Cukor usant, en précurseur, de la profondeur de champ donne, malgré son prétexte désuet, un accent étonnamment moderne.

Femmes-objets, femmes-enfants, femmes-statues, femmes-étoiles, femmes-fleurs, femmes frigides, garçons manqués, nymphomanes, travesties, voyageuses ou exilées, Cukor filme des images de femmes et des femmes comme images, mais à l'instant d'une crise conçue comme moment révélateur. Cette crise est toujours une crise d'identité − comme le prouve encore l'affolant duo féminin de Riches et célèbres, son dernier film (Rich and Famous, 1981). C'est dire que ce qui obsède Cukor, c'est bien le problème de l'aliénation des femmes dans une société qui les enferme dans des images et ne les accepte que si elles s'y plient, les obligeant à se définir par rapport à ces images qui ne viennent pas d'elles mais des hommes et du pouvoir qu'ils incarnent. C'est dire aussi que le propos du cinéaste ne s'est nullement limité, comme on l'a souvent et rapidement dit, à célébrer la femme et à saisir l'instant fugitif, l'éclat qui témoigne du jeu des apparences et de la vérité, et que cette lumière si brillante n'exclut ni la tourmente ni la douleur.

<it>My Fair Lady</it>, de George Cukor - crédits : Warner Brothers, Inc./ Collection privée

My Fair Lady, de George Cukor

La solution laissée à ces personnages féminins pour trouver leur identité, c'est de devenir autres (comme l'indique clairement le film intitulé La Femme aux deux visages, 1941). Encore est-ce dans la plupart des récits parce qu'un homme leur offre cette chance ou ce désir, leur faisant miroiter tout à coup une autre vie, un autre sort, les mettant presque en demeure de s'en rendre capables. Amoureux ou pédagogues, parfois les deux – la fiction réclamant de leur part, et de la part du spectateur, la même patience –, les héros masculins sont les multiples figures, rejouées de film en film, d'un même complexe de Pygmalion qui est certainement pour Cukor métaphorique de son rôle de cinéaste. Ainsi voit-on ce personnage très exactement à l'œuvre autant dans My Fair Lady (1964), où il apparaît directement emprunté à la pièce de G. B. Shaw, que dans Une étoile est née, dans Comment l'esprit vient aux femmes (Born Yesterday, 1950), ou encore dans The Philadelphia Story ou Sylvia Scarlett. D'où l'importance et l'emprise du vêtement comme déguisement (par exemple, dans deux films aussi différents que Sylvia Scarlett et La Croisée des destins, 1955), d'où le recours à l'artifice, à la comédie,[...]

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Classification

Pour citer cet article

Jérôme PRIEUR. CUKOR GEORGE (1899-1983) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Le Roman de Marguerite Gautier</it>, G. Cukor - crédits : Metro-Goldwyn-Mayer Pictures/ Sunset Boulevard/ Corbis/ Getty Images

Le Roman de Marguerite Gautier, G. Cukor

<it>Hantise</it>, de George Cukor - crédits : Metro-Goldwyn-Mayer Inc./ Collection privée

Hantise, de George Cukor

<it>Indiscrétions</it>, de George Cukor - crédits : Metro-Goldwyn-Mayer Inc./ Collection privée

Indiscrétions, de George Cukor

Autres références

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ...Ford condense tout l'esprit du western dans La Chevauchée fantastique. Lubitsch anime Greta Garbo et la lance dans le tourbillon enivrant de Ninotchka. George Cukor, venu du théâtre, et qui s'est affirmé comme le plus sensible directeur de comédiens du cinéma américain – Sylvia Scarlett (1935)...
  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 5 126 mots
    • 18 médias
    ...de George Fitzmaurice, interprété par le très british Ronald Colman. C'est pourtant dans leur prolongement que se situent les grandes comédies de George Cukor, réputé être un immense directeur d'actrices : Dinner at Eight (1933), Sylvia Scarlett (1935), The Women (1939), ou encore The Philadelphia...
  • GORDON RUTH (1896-1985)

    • Écrit par André-Charles COHEN
    • 520 mots

    Né en 1896 à Quincy (Massachusetts), Ruth Gordon avait commencé sa carrière dans des films muets produits à Fort Lee (Camille, 1915 ; The Whirl of Life, ibid.). Elle la poursuivit à Broadway où, en 1937, elle donne une interprétation peu conventionnelle de Nora, héroïne de Maison de poupée...

  • HEPBURN KATHARINE (1907-2003)

    • Écrit par Alain GAREL
    • 797 mots
    • 2 médias
    ...Broadway. Pendant près de quatre ans, elle fait fonction de doublure, notamment d'Alla Nazimova, ou joue dans des tournées de répertoire estivales. Elle se fait enfin remarquer, en 1932, dans The Warrior's Husband ; ce qui lui vaut de signer un contrat avec R.K.O. et de tourner un premier film,...

Voir aussi