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FELLINI FEDERICO (1920-1993)

Le tournant de « La Dolce Vita »

La Dolce Vita, F. Fellini - crédits : Hulton Archive/ Moviepix/ Getty Images

La Dolce Vita, F. Fellini

Grâce à La Dolce Vita (qui obtint la palme d'or au festival de Cannes), Fellini liquide une partie de ses comptes avec son propre passé. À travers une « radiographie » de la société romaine, exécutée sans complaisance mais sans dégoût, on assiste à la première grande « méditation » du cinéaste sur la fuite du temps, la réalité inéluctable de la mort (l'attaque cardiaque du père), la peur d'un avenir opaque (le suicide d'Alain Cuny : Fellini appartient à une génération pour laquelle la menace atomique a été très concrète entre 1945 et 1952), et la réduction de la religion à sa propre symbolique « publicitaire ». C'est aussi le premier film où Fellini, qui trouve en Marcello Mastroianni un incomparable interprète, utilise un des protagonistes comme son double évident. (Il fondera Huit et demi sur le « réemploi » de Mastroianni et s'accordera dans d'autres films la facilité de parler directement au public par l'entremise d'un commentateur, compère et chroniqueur.) C'est enfin avec la Dolce Vita que Fellini opte pour cette structure en « molécules longues » – continuité narrative étale et lâche, épisodes reliés par les personnages plus que par les situations – qui va désormais être sa constante stylistique, à quelques variantes près.

Le succès du film relève du scandale, et cela dès la séquence d'ouverture : une statue du Christ « promenée » en hélicoptère provoque les cris de stupeur de jeunes Romaines qui se font bronzer sur leurs terrasses. L'obsession érotique, incarnée tour à tour par la « Suédoise », archétype de la « femme libre » que Mastroianni poursuit jusqu'au Vatican, par la nymphomanie suggérée d'un autre personnage (Anouk Aimée) et par le strip-tease d'une riche bourgeoise, parut à l'époque assez « explosive » pour qu'on oubliât qu'elle résumait et accomplissait plusieurs années de maturation du cinéma italien, plus « pervers » à l'époque que bien d'autres.

Comme presque tous les grands représentants de la culture italienne de ce siècle, Fellini est contraint de jouer au plus fin avec l'hégémonie du catholicisme, puissance omniprésente et d'ailleurs elle-même porteuse de valeurs contradictoires. Officiellement, La Dolce Vita déclenche l'ire du Vatican : Pietro Germi rendra un hommage amusé à Fellini sur ce point dans Signori e Signore (1966). Mais, en 1962, son sketch de Boccace '70 (« La Tentation du docteur Antonio »), constitue tout à la fois pour Fellini une riposte à l'hypocrisie régnante et une autocritique.

Avec Huit et demi (1963), Fellini assume (et donc extériorise plus directement) certaines de ses hantises : le spectacle, ce n'est plus la Rome de la jet set ; c'est le cinéma lui-même. On perçoit, dans ce film volontairement « débridé », l'angoisse du quadragénaire dont la relation aux femmes, ouvertement marquée par l'Œdipe, est à la fois « coupable » et boulimique, traversée de fantasmes, hantée par la peur de l'échec (et, plus sympathiquement, le désir de ne pas se conduire en mufle). En outre, le final débouche, un petit matin de fin du monde, sur la vision cosmique de tous les personnages traditionnels de l'univers fellinien rassemblés comme jamais avant (et sans doute jamais depuis). Dès cette époque, en effet, Fellini utilise constamment les mêmes « silhouettes » pour les nombreux seconds et troisièmes rôles dont ses films sont émaillés.

En 1965, Fellini est frappé d'une attaque cardiaque (il subira une autre attaque en 1993). Cette crise l'empêche de réaliser Le Voyage de Giuseppe Mastorna, « voyage au pays des morts », qui devait peut-être équilibrer dans son esprit son premier film en couleurs, Giulietta degli Spiriti, réalisé la[...]

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Pour citer cet article

Gérard LEGRAND. FELLINI FEDERICO (1920-1993) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>La Strada</it>, de Federico Fellini - crédits : Ponti-De Laurentiis Cinematografica/ Collection privée

La Strada, de Federico Fellini

La Dolce Vita, F. Fellini - crédits : Hulton Archive/ Moviepix/ Getty Images

La Dolce Vita, F. Fellini

Autres références

  • HUIT ET DEMI, film de Federico Fellini

    • Écrit par Michel CHION
    • 1 073 mots

    Federico Fellini (1920-1993) a commencé en tant que cinéaste-chroniqueur, montrant des portraits attachants de la province italienne Les Vitelloni (I Vitelloni, 1953). Ensuite, le succès mondial de La Strada, 1954, mélodrame inoubliable, en fit une vedette que l'on rattacha au courant peu défini...

  • HUIT ET DEMI (F. Fellini), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 185 mots

    « 8 1/2 est un film aussi important pour la carrière de Fellini que pour notre cinéma », écrivait Alberto Moravia à la sortie du film. Avec Huit et demi (Otto e mezzo), en effet, Federico Fellini (1920-1993), qui collabora autrefois avec Roberto Rossellini, rompt définitivement avec le néo-réalisme...

  • TUTTO FELLINI (expositions)

    • Écrit par Jean A. GILI
    • 1 028 mots
    • 1 média

    À partir de l'automne de 2009, un grand nombre de manifestations et de publications rassemblées sous le titre Tutto Fellini ! ont permis de porter un regard renouvelé sur l'œuvre du cinéaste italien. Ainsi, l'exposition présentée au Jeu de Paume, Fellini, la Grande Parade (20...

  • BRAZIL, film de Terry Gilliam

    • Écrit par Laurent JULLIER
    • 949 mots
    Brazil a failli s'appeler 1984 1/2, un titre qui le plaçait sous les auspices d'Orwell et de Fellini. À 1984 (publié en 1949), il emprunte en effet le cadre narratif d'une société écrasante aux citoyens sous haute surveillance permanente, et avec Huit et demi (Otto e mezzo, 1962)...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    Federico Fellini, assistant et scénariste de Rossellini, est un poète, un peintre baroque et un visionnaire. Il se soucie moins de témoigner de la réalité, sociale ou politique. Il porte un univers qu'il doit impérieusement exprimer. Ce qu'il voit n'est que le miroir de ses songes. Ses personnages sont...
  • EKBERG ANITA (1931-2015)

    • Écrit par Universalis
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    • 1 média

    Actrice italienne d’origine suédoise, Anita Ekberg devint un sex-symbol international grâce à son interprétation d’une star de cinéma américaine à la plastique sculpturale dans le film de Federico Fellini, La Dolce Vita (1960). On garde en mémoire la scène nocturne où elle se baigne dans...

  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
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    ...qui ne tourne pas au complexe ? le désir de dominer et d'être dominé qui ne tourne pas au sadomasochisme ? C'est le monde de Huit et demi (1962), où Fellini, sous le prétexte du conte mental, présente directement ce que ses films réalistes indiquaient par allusions. Le petit journaliste aux prises avec...
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