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FELLINI FEDERICO (1920-1993)

Permanences et remises en jeu

Dans son Satyricon (1969) Fellini déconcerte certains de ses admirateurs : un mélange de prudence et de sincérité lui fait présenter le film comme une évocation de notre décadence moderne, vue à travers le prisme de la décadence antique. Heureusement, cette préoccupation de moraliste cède de toutes parts à l'irruption d'un véritable souffle narratif, qui ruse avec les difficultés de l' adaptation. De son œuvre, Pétrone n'a laissé que des fragments, Fellini pose d'emblée son film comme une suite de fragments : il commence par une scène de dispute et d'insultes dont nous ignorons la cause, et se clôt avec le début (inachevé) d'une autre histoire. Le scénario utilise aussi L'Âne d'or d'Apulée, et Fellini ajoute des épisodes de son cru, comme le tremblement de terre.

À l'étrangeté radicale de l'Antiquité (qui fait qu'on peut voir à volonté dans le Satyricon une profonde compréhension ou une ignorance inéluctable du « génie du paganisme » à son déclin), Fellini fait succéder dans Roma (1972) le pari de montrer l'étrangeté de l'époque actuelle. Dans ce film alternent les souvenirs personnels de Fellini jeune homme et sa « promenade » dans la Rome d'aujourd'hui, où il interviewe par exemple Anna Magnani ; le cinéma égalise souverainement jadis et maintenant : c'est la même lumière qui y préside, lumière toute artificielle, qui ne cesse cependant d'être merveilleusement réelle (Fellini adore Rome, et il ne s'est probablement jamais livré davantage qu'en faisant dire à l'écrivain Gore Vidal, dans une scène qui semble une reprise apaisée de La Dolce Vita : « C'est l'endroit idéal pour attendre la fin du monde »). Le talent du cinéaste à manipuler aussi bien un acteur isolé qu'une foule se déploie dans le pseudo-objectivisme de Roma comme dans l'écriture « baroque » du Satyricon.

En effet, après que Fellini a payé son tribut à l'art du cirque (Les Clowns, 1970) tout en en évoquant lucidement l'agonie, Amarcord (1973) reprend et amplifie (précise aussi, sur le double plan politique et cinéphilique) la peinture des années de formation suggérée et transposée par I Vitelloni. Avec Casanova (1976), le cinéaste va tenter d'explorer un monde qui lui est au moins aussi étranger que la Rome antique, et cela à travers le truchement d'une œuvre littéraire plus « présente » que Pétrone. Si avec Prova d'orchestra (1978) il cède sans convaincre à la tentation d'un « prophétisme » à vagues implications symboliques, Fellini joue hardiment, dans La Cité des femmes (1980), sur un registre nouveau. L'intercession de Mastroianni ne doit pas égarer : pour la première fois dans l'œuvre de Fellini, la psychanalyse et le rêve qui en est le matériau sont portés directement à l'écran. La Cité des femmes est une « cure » à l'intérieur d'une vision onirique, signifiée comme telle durant tout le film. Cette remise en jeu (où l'on peut lire la résolution effective de l'Œdipe du visionnaire) sera suivie d'un autre coup d'éclat : alors que La Cité des femmes « bouclait une boucle », E la nave va (1983) se veut l'équivalent d'un de ces opéras que Fellini adore tant. Dans cette vision crépusculaire, il implique même l'histoire du cinéma tout entière, et non plus seulement celle du cinéma fellinien. Toutefois, cette apocalypse n'a rien de plus terrifiant que celle, miniature, dont réchapperont Ginger et Fred (1986) : Fellini parle de choses graves sur un ton mesuré et somme toute gratifiant.

Comment en serait-il autrement, dès lors que le faste visuel, inséparable de son image de marque, comble son narcissisme à coups de citations qui attestent la genèse « en gigogne » de l'œuvre[...]

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Pour citer cet article

Gérard LEGRAND. FELLINI FEDERICO (1920-1993) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>La Strada</it>, de Federico Fellini - crédits : Ponti-De Laurentiis Cinematografica/ Collection privée

La Strada, de Federico Fellini

La Dolce Vita, F. Fellini - crédits : Hulton Archive/ Moviepix/ Getty Images

La Dolce Vita, F. Fellini

Autres références

  • HUIT ET DEMI, film de Federico Fellini

    • Écrit par Michel CHION
    • 1 073 mots

    Federico Fellini (1920-1993) a commencé en tant que cinéaste-chroniqueur, montrant des portraits attachants de la province italienne Les Vitelloni (I Vitelloni, 1953). Ensuite, le succès mondial de La Strada, 1954, mélodrame inoubliable, en fit une vedette que l'on rattacha au courant peu défini...

  • HUIT ET DEMI (F. Fellini), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 185 mots

    « 8 1/2 est un film aussi important pour la carrière de Fellini que pour notre cinéma », écrivait Alberto Moravia à la sortie du film. Avec Huit et demi (Otto e mezzo), en effet, Federico Fellini (1920-1993), qui collabora autrefois avec Roberto Rossellini, rompt définitivement avec le néo-réalisme...

  • TUTTO FELLINI (expositions)

    • Écrit par Jean A. GILI
    • 1 028 mots
    • 1 média

    À partir de l'automne de 2009, un grand nombre de manifestations et de publications rassemblées sous le titre Tutto Fellini ! ont permis de porter un regard renouvelé sur l'œuvre du cinéaste italien. Ainsi, l'exposition présentée au Jeu de Paume, Fellini, la Grande Parade (20...

  • BRAZIL, film de Terry Gilliam

    • Écrit par Laurent JULLIER
    • 949 mots
    Brazil a failli s'appeler 1984 1/2, un titre qui le plaçait sous les auspices d'Orwell et de Fellini. À 1984 (publié en 1949), il emprunte en effet le cadre narratif d'une société écrasante aux citoyens sous haute surveillance permanente, et avec Huit et demi (Otto e mezzo, 1962)...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    Federico Fellini, assistant et scénariste de Rossellini, est un poète, un peintre baroque et un visionnaire. Il se soucie moins de témoigner de la réalité, sociale ou politique. Il porte un univers qu'il doit impérieusement exprimer. Ce qu'il voit n'est que le miroir de ses songes. Ses personnages sont...
  • EKBERG ANITA (1931-2015)

    • Écrit par Universalis
    • 327 mots
    • 1 média

    Actrice italienne d’origine suédoise, Anita Ekberg devint un sex-symbol international grâce à son interprétation d’une star de cinéma américaine à la plastique sculpturale dans le film de Federico Fellini, La Dolce Vita (1960). On garde en mémoire la scène nocturne où elle se baigne dans...

  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
    • 7 médias
    ...qui ne tourne pas au complexe ? le désir de dominer et d'être dominé qui ne tourne pas au sadomasochisme ? C'est le monde de Huit et demi (1962), où Fellini, sous le prétexte du conte mental, présente directement ce que ses films réalistes indiquaient par allusions. Le petit journaliste aux prises avec...
  • Afficher les 14 références

Voir aussi