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VIOLLET-LE-DUC EUGÈNE EMMANUEL (1814-1879)

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Le gothique au service d’une régénérescence de l’architecture nationale

C’est après qu’il eut remporté, en 1844, le concours de la prestigieuse restauration de Notre-Dame de Paris avec son collègue Jean-Baptiste Lassus, que l’autorité d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc comme restaurateur est définitivement établie. L’immense chantier, qui débute l’année suivante et durera jusqu’en 1864, sera le lieu qui formera toute une génération d’architectes et d’artisans et la préparera au grand programme de restauration des monuments médiévaux lancé par la monarchie de Juillet et poursuivi avec vigueur par le second Empire. Mais, pour Viollet-le-Duc, cet apprentissage à l’ombre des cathédrales n’a pas seulement pour but de former des restaurateurs, il doit aussi régénérer l’architecture contemporaine.

Après 1840, Viollet-le-Duc se joint au bataillon néogothique, aux côtés de Lassus (ancien élève du rationaliste Henri Labrouste) ainsi que de l’entreprenant médiéviste Adolphe-Napoléon Didron. Dans une série d’articles décrivant en détail l’évolution structurale et constructive de l’architecture française tout au long du Moyen Âge, Viollet-le-Duc fait du gothique un modèle rationnel et national pour le xixe siècle français. À la suite d’une retentissante polémique sur l’usage moderne du gothique en 1846, il se déclare sans ambiguïté grand apôtre du néogothique et ennemi juré de l’École des beaux-arts et de l’Académie qui la dirige. La grande croisade pour réformer l’architecture de son siècle commence.

Il entreprend des constructions neuves, des maisons à loyer, de grandes demeures dont plusieurs châteaux et quelques églises paroissiales. Un peu sèche, l’architecture de ces ouvrages n’est pas très marquante. On mesure mieux son originalité dans certains petits monuments et ouvrages décoratifs, tel le tombeau du duc de Morny à Paris (1865-1866), celui du prince Woronzof à Odessa (1859) ou ses nombreux et imaginatifs dessins de gargouilles et mobiliers religieux pour ses restaurations. Dans ces œuvres, Viollet-le-Duc est capable d’exprimer une vitalité quasi démoniaque qui préfigure l’étrangeté de l’Art nouveau. Malheureusement, aucun des grands bâtiments civils qu’il projette ne seront réalisés, ni le palais des Facultés à Clermont-Ferrand, ni le Palais impérial à Alger, ni le nouvel Opéra à Paris. Il restera très amer par rapport à ces occasions manquées, souvent dues à la malveillance de certains de ses collègues.

Mais le véritable fer de lance de ses réformes reste son travail au sein des institutions patrimoniales de l’État. Grâce à son amitié avec le fin stratège qu’est Prosper Mérimée, Viollet-le-Duc profite du changement de régime en 1848 et de l’avènement du second Empire pour assurer sa mainmise sur celles-ci. En 1853, il est nommé à l’un des trois prestigieux postes d’inspecteur général du Service des édifices diocésains. Il contrôle ainsi les travaux dans vingt-six diocèses, dont ceux portant sur les cathédrales les plus remarquables de France. Il peut de la sorte sensibiliser au rationalisme gothique de jeunes architectes. En 1859, Viollet-le-Duc prétend avoir constitué « une petite armée d’artistes, élèves en 1846, maîtres consommés aujourd’hui, marchant unis et dirigeant les nouveaux venus d’après les mêmes principes ». Il ne conçoit plus le gothique comme un style mais comme une manière de faire et de penser, un « penchant naturel » ou même un « instinct » ancré dans l’esprit des Français, qui doit être ranimé.

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Écrit par

  • : architecte, professeur d'histoire de l'architecture à l'École d'architecture de l'université McGill, Montréal, Québec (Canada)

Classification

Pour citer cet article

Martin BRESSANI. VIOLLET-LE-DUC EUGÈNE EMMANUEL (1814-1879) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Médias

Basilique de Saint-Denis - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

Basilique de Saint-Denis

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Carcassonne

Château de Pierrefonds - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

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    ...ingénieurs redécouvrent les qualités des édifices gothiques dont la Renaissance s'était détournée pour n'admirer que les monuments antiques. Sa portée se précise par la suite dans l'œuvre d'Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, le principal théoricien du rationalisme, qui en fait le fondement du projet...
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