ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Le territoire et les hommes) Histoire des politiques économiques depuis 1945
Capitale | Washington |
Population |
334 914 895 habitants
(2023) |
Produit intérieur brut par habitant (PIB par hab.) |
82 769 $
(2023) |
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le prestige économique et démocratique des États-Unis est immense : leur autoperception, comme l’image qu’ils renvoient à l’extérieur, est celle d’un pays garant des libertés fondamentales, dont la liberté économique n’est pas des moindres. L’hégémonie américaine s’est donc construite sur cette base, nourrie, dans les premières décennies de l’après-guerre, des idéaux du « nouveau libéralisme progressiste » (C. Audard, 2009) – partagés de près ou de loin par les responsables politiques démocrates comme républicains –, qui confère à l’État un rôle social déterminant et en fait le moteur d’une transformation du capitalisme américain garantissant la justice sociale. Pour plus de simplicité, nous utiliserons le terme liberal pour désigner ce courant.
L’érosion de l’hégémonie économique américaine comme les fissures internes que représentent la perte de compétitivité, la désindustrialisation et les tensions sur la répartition des richesses se sont accentuées graduellement au cours des trois dernières décennies du xxe siècle. Diverses lectures peuvent être faites de cette évolution, comme cela sera exposé plus loin. Aucune explication n’est complète et toutes présentent à la fois le danger et l’intérêt des explications propres à la science économique, difficiles à détacher totalement d’une construction idéologique. Si ce trait peut susciter des débats féconds, il donne également à penser que les questions de l’histoire sont sans réponse. Pourtant, la nature même de l’économie est politique, et l’économie des États-Unis de 1945 à nos jours en est une illustration. Du consensus liberalinitial aux contradictions internes croissantes, les modifications successives des conditions économiques épousent les inflexions des choix politiques, et mettent au jour la tension inhérente à la société américaine, entre désir de justice et exaltation de l’effort individuel, entre aversion pour la concentration du pouvoir et conscience de l’importance du collectif.
Nous verrons donc comment les remises en question endogènes – telles que celle du modèle socio-économique d’après-guerre – et exogènes – telles que la transformation des marchés mondiaux induite par la globalisation – mettent en jeu non seulement des mécanismes économiques mais aussi des idées. Peu à peu, les certitudes se sont effacées et l’avènement d’un monde multipolaire engendré par la fin de la guerre froide et par l’émergence de nouvelles puissances économiques, notamment la Chine, a replacé les États-Unis à l’intérieur d’un vaste réseau mondial d’interdépendance au sein duquel ce pays n’est plus en position dominante.
Au cours des deux premières décennies du xxie siècle, qu’il s’agisse de la crise financière de 2008 ou de celle liée à la pandémie de Covid-19 en 2020, les modèles de croissance des grandes économies capitalistes et les conditions d’exercice de la démocratie ont été ébranlés ; les États-Unis n’ont pas fait exception, notamment durant le mandat, pour le moins mouvementé, du président Donald Trump.
Le parachèvement du New Dealet la consolidation de l’hégémonie
Bilan économique au sortir de la guerre
Conformément à la volonté du président Franklin D. Roosevelt, qui souhaitait que l’Amérique devînt le « grand arsenal de la démocratie », un effort de guerre massif est déployé à partir de 1941. La conversion de l’économie américaine en économie de guerre prend la forme d’une « économie mixte », où « l’État fédéral fortement interventionniste – le big government – collabore avec les grandes entreprises – le big business – et les syndicats les plus influents – le big labor », selon l’expression de l’historien André Kaspi. Parallèlement au creusement des déficits induits par l’engagement accru de l’État, l’économie américaine connaît une importante réduction du taux de chômage, de 15 % en 1940 à 1 % en 1944. Le succès de la production industrielle est égalé par celui de la production agricole. Au cours des années de guerre, la production en valeur double pour la première et triple pour la seconde. L’économie américaine est, par conséquent, définitivement sortie de la crise que le New Deal n’avait pas achevé d’éradiquer. À ce titre, les années de guerre illustrent de façon exemplaire les vertus d’une politique budgétaire expansionniste.
C’est d’abord à travers le contrôle des prix que le gouvernement tente de maîtriser l’inflation – dont le taux atteint 18 % entre 1941 et 1943 – puis, en second lieu, via le blocage des salaires. Le mécontentement des salariés atteint un point critique, avec un doublement du nombre de grèves en 1943 par rapport à l’année précédente, et encore un accroissement de celui-ci au cours des deux années suivantes. Les grèves sauvages qui ont lieu dans le secteur de la houille tout au long de 1943 constituent l’action ouvrière la plus importante de la période de guerre et se soldent à la fin de l’année par une mince victoire en termes de salaires. L’inflation élevée, due en grande partie à l’endettement croissant ainsi qu’à l’augmentation des dépenses de guerre, conduit donc l’État fédéral à ne pas favoriser un déblocage des salaires, contrecarrant ainsi les intérêts du big labor.
La vigueur du mouvement syndical au cours des années de guerre, conjuguée à l’influence croissante des grandes entreprises, peut elle aussi être interprétée comme un aboutissement du projet de société formulé par les new dealers, c’est-à-dire les membres de l’administration Roosevelt et les hauts responsables des agences fédérales qui contribuent activement à ce programme politique. Officiellement reconnu par le Wagner Act de 1935, le mouvement syndical enregistre une forte croissance du nombre de ses membres, qui passe de 10,5 millions en 1941 à 14,75 millions en 1945 – près d’un tiers des salariés du secteur industriel. Au cours de cette même période, les conditions matérielles s’améliorent considérablement pour les salariés syndiqués. Les salaires réels, corrigés de l’inflation, augmentent à un rythme continu, à hauteur de 27 % pour le secteur manufacturier. Les salariés obtiennent également un taux horaire plus élevé pour la rémunération des heures supplémentaires.
La réhabilitation de l’image des entreprises constitue une caractéristique de la période des années de guerre. Alors que les new dealers nourrissaient initialement une méfiance à l’égard des activités de l’entreprise, ils évoluent vers une relation de nature plus coopérative : la guerre inspire aux divers acteurs sociaux le sentiment d’un intérêt commun. De même, les entreprises portent un regard neuf sur l’action publique : les diverses formes d’intervention de l’État fédéral ne sont plus perçues comme des intrusions dans les mécanismes du marché mais comme un préalable au bon fonctionnement de ce dernier.
Les ressorts du rayonnement international d’après-guerre
Si les bases de l’hégémonie américaine sont jetées dès la fin de la Première Guerre mondiale, celle-ci est consolidée dans une large mesure par la création du système monétaire international dit « de Bretton Woods », du nom de la localité du New Hampshire où se tient la conférence monétaire et financière de l’Organisation des Nations unies en juillet 1944. Les quarante-quatre nations représentées cherchent un système souple qui garantirait la stabilité des taux de change, préviendrait les dévaluations compétitives, et permettrait d’opérer une rupture avec l’absence de coopération internationale et le protectionnisme de la décennie précédente, qui avaient amplifié les effets de la crise de 1929. Le système de Bretton Woods peut être vu comme le fruit d’un compromis entre des visions concurrentes de l’ordre monétaire d’après-guerre, principalement représentées par John Maynard Keynes, en qualité de conseiller auprès du Trésor britannique, et Harry Dexter White, adjoint au secrétaire du Trésor américain : tandis que les États-Unis donnaient la priorité à la stabilité monétaire, le Royaume-Uni souhaitait préserver l’autonomie des banques centrales afin de garantir leur réactivité. Le système monétaire international ainsi mis en place repose sur des taux de change fixes, ajustables par rapport au dollar en cas de « déséquilibres fondamentaux », le dollar étant lui-même convertible en or. Ce faisant, les accords de Bretton Woods donnent naissance à un régime monétaire international hégémonique : les États-Unis, émetteur de la monnaie ancre, en garantissent la qualité et jouent le rôle stabilisateur. Le statut de monnaie de réserve acquis par le dollar permet depuis lors aux États-Unis de s’endetter à faible coût. La conférence de Bretton Woods a en outre donné naissance à deux institutions, le Fonds monétaire international et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, cette dernière étant l’une des branches de la Banque mondiale. Le système monétaire de Bretton Woods entre pleinement en vigueur en 1958.
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Écrit par
- Ruxandra PAVELCHIEVICI : maître de conférences, université Côte d'Azur, Nice
Classification
Médias
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- ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE, droit et institutions
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