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VUILLARD ÉDOUARD (1868-1940)

Les premières œuvres connues de Vuillard, après des académies qu'il signe « Vuillard, élève de M. Gérôme », datent des années héroïques, entre 1888 et 1890, où se forme le futur groupe des nabis. Son art, comme celui de Bonnard et de Roussel à la même époque, reste traditionnel et révèle l'attrait qu'exercent sur lui Chardin, les Hollandais, Corot. L'observation est fidèle et précise, la couleur discrète, la notation des tons subtile et franche. Nulle innovation, donc, mais un tempérament qui a le goût de la densité dans les objets, de la profondeur dans les êtres. Les autoportraits manifestent chez ce très jeune homme une vocation introspective qui ira s'approfondissant. Dès le début, l'art de Vuillard se définit par la qualité grave de sa sensibilité, par sa réserve, son équilibre.

L'expérience nabie

En 1890, brusquement, Vuillard passe du réalisme sobre de sa première période à un art profondément irréaliste, empruntant à Gauguin et à l'école de Pont-Aven le « synthétisme » de leurs aplats de couleurs, parfois cloisonnés de cernes épais. C'est l'année où Maurice Denis formule sa fameuse définition du tableau, « surface plane, recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Pendant quelques mois, en 1890 et 1891, la peinture de Vuillard est une illustration fidèle de cette théorie. On y retrouve aussi, dans le goût des arabesques compliquées, quelque chose du style décoratif fin de siècle ; et, dans la bizarrerie parfois cocasse de certaines compositions, dans l'acuité des silhouettes, quelque chose de l'expressionnisme de Lautrec. Il s'essaie même au pointillisme des néo-impressionnistes (Les Débardeurs, coll. part.). Toutes les avant-gardes du moment conjuguent ainsi leurs influences dans sa peinture, qui reflète assez complètement le milieu de La Revue blanche, fréquenté par Vuillard entre 1890 et 1900. Les mêmes outrances se retrouvent alors chez les autres membres du groupe des nabis. Cependant, même en pleine crise, Vuillard n'adopte que rarement dans toute sa véhémence le chromatisme de Gauguin (Le Liseur, coll. part.). La plupart des peintures de cette époque, à peu d'exceptions près, sont exécutées dans une gamme limitée, où dominent les gris, les blancs, les verts rompus (Au lit, 1891, Musée national d'art moderne, Paris). Il y a d'ailleurs un éclectisme indéniable dans cette brève période où alternent tableaux colorés et tableaux presque monochromes, compositions dépouillées (Les Deux Portes, coll. part.) et compositions encombrées : l'éclectisme d'une recherche insatisfaite. Quant aux sujets, en dehors de quelques scènes de théâtre à la Lautrec, ils sont presque tous empruntés à l'univers familier de Vuillard : l'atelier de couture de sa mère, le salon des Natanson où l'on joue du piano dans la pénombre (Misia au piano, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe), « la poésie des doux intérieurs, la beauté de la vie active et pensive » (G. Geffroy, 1893) : l'« intimisme » bourgeois, cher à la poésie symboliste.

Dès 1893, avec L'Atelier (Smith College Museum of Art, Northampton, Mass.), le goût de l'harmonie l'emporte sur l'étrangeté parfois grinçante des recherches précédentes. Celles-ci, pourtant, n'ont pas été inutiles ; Vuillard les assimile à son génie domestique et poétiquement réaliste. Les ressources décoratives de l'art nabi lui ont permis, en meublant l'espace de ses tableaux jusqu'à la saturation, de susciter une impression d'intimité chaleureuse et de plénitude. La touche redevient moelleuse ; le volume, les gradations du clair-obscur renaissent ; la peinture prend une qualité tactile, cotonneuse ou veloutée.

Jardins publics, É. Vuillard - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

Jardins publics, É. Vuillard

Dans les petits formats, très nombreux avant 1900, la multiplicité des détails s'accorde à une rigueur[...]

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Pour citer cet article

Pierre GEORGEL. VUILLARD ÉDOUARD (1868-1940) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Jardins publics, É. Vuillard - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

Jardins publics, É. Vuillard

<it>Femmes au jardin</it>, C. Monet - crédits : Hulton Fine Art Collection/ Getty Images

Femmes au jardin, C. Monet

Autres références

  • ÉDOUARD VUILLARD, PEINTRE DÉCORATEUR - (repères chronologiques)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 717 mots

    1892 Vuillard exécute sa première commande de panneaux décoratifs à Paris, six dessus-de-porte pour Paul Desmarais, un cousin de Thadée Natanson, directeur de la Revue blanche. L'année suivante, il réalise, pour le même commanditaire, un paravent, Les Couturières, où il emploie pour...

  • JARDINS PUBLICS (É. Vuillard)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 213 mots
    • 1 média

    La série de neuf panneaux qu'Édouard Vuillard (1868-1940) exécute en 1894 sur le thème des Jardins publics est son premier grand ensemble décoratif. Vuillard y met en pratique l'expérience accumulée tant dans son activité liée au théâtre (décors pour le théâtre de l'Œuvre fondé par Lugné-Poe)...

  • NABIS

    • Écrit par Antoine TERRASSE
    • 3 183 mots
    • 5 médias
    Par Lugné-Poe aussi qui partagea un moment un atelier avec Bonnard, Vuillard et Maurice Denis, les nabis étaient entrés en contact avec Paul Fort qui, en 1890, à dix-huit ans, venait de fonder le Théâtre d'art, destiné, selon les termes de Pierre Louÿs, à « contredire par une rivalité active et...
  • PONT-AVEN ÉCOLE DE

    • Écrit par Antoine TERRASSE
    • 1 006 mots
    • 1 média

    En mai 1886, à Paris, eut lieu la huitième et dernière exposition des impressionnistes : douze années s'étaient écoulées depuis leur première manifestation chez Nadar. Au sein du groupe, des divisions s'étaient opérées. Les uns, comme Monet, demeuraient attachés à une analyse fidèle de...

  • ROUSSEL KERR-XAVIER (1867-1944)

    • Écrit par Jean-Paul BOUILLON
    • 323 mots

    Au moment où il faisait ses études à Paris au lycée Condorcet, Roussel a connu Vuillard, Maurice Denis et Lugné-Poe. Après un passage à l'école des Beaux-Arts, il fréquente l'académie Julian où il retrouve les futurs nabis. Il participe tout naturellement à leur première exposition...

Voir aussi