ÉCONOMIE MONDIALE 1994 : l'assainissement à mi-parcours

En 1994, la conjoncture est demeurée dynamique dans les pays anglo-saxons, en Chine et dans la plupart des pays d'Asie du Sud-Est, mais la vitalité a fait défaut ailleurs. La reprise amorcée en Europe occidentale n'a pas permis d'y résorber un important chômage, les pays d'Afrique ont souvent mal vécu leurs efforts d'ajustement structurels et les anciens pays communistes d'Europe n'ont fait qu'amorcer, dans les meilleurs des cas, le redressement attendu de la transition vers l'économie de marché.

Sauf en de rares pays, les règles du jeu économique ont été admises et mieux pratiquées : efforts de discipline budgétaire pour les pays industrialisés, recherche d'accords avec le Fonds monétaire international (F.M.I.) chez les nations en développement endettées, acceptation du système capitaliste dans les pays de l'Est, nonobstant le maintien ou le retour au pouvoir d'anciens dirigeants. L'ensemble des pays a bénéficié d'une croissance du commerce mondial évaluée à 7 p. 100, le double de celle de 1993.

Prévenir pour ne pas avoir à guérir

Des préoccupations nouvelles se sont manifestées en 1994 dans les pays industrialisés. Le fait d'être « sorti du tunnel », après la récession la plus accusée depuis cinquante ans, n'a pas provoqué d'euphorie. Un peu partout, la crainte d'un retour de l'inflation a habité les dirigeants, les empêchant de céder à la tentation d'une relance qui aurait effacé les traces des années difficiles. La leçon des années 1980 avait été bien apprise : le laxisme fiscal et monétaire ne pouvait constituer qu'une fuite en avant, désorganisant les circuits économiques et financiers, réduisant le pouvoir d'achat et appelant en fin de compte des correctifs bien plus sévères que la discipline requise pour s'en protéger. 1994 a été une année d'inflation faible et en baisse, marquée par des initiatives de prévention contre la hausse des prix. Dans ses Perspectives de l'économie mondiale, publiées en octobre, le F.M.I. affirmait que « la politique économique doit s'attacher dans l'immédiat à faire en sorte que la reprise prenne corps là où elle ne fait que s'amorcer et à éviter une surchauffe là où l'expansion est déjà à un stade bien avancé ». L'O.C.D.E. a été encore plus explicite : « Étant donné le retard qui caractérise les effets des mesures d'ajustement de la politique monétaire, lit-on dans la cinquante-sixième édition des Perspectives économiques, il est souvent nécessaire d'agir dès que la reprise est bien engagée, afin de réduire ces risques au minimum et d'assurer que l'expansion s'effectue à un rythme soutenable. » Pour atténuer l'amplitude des cycles économiques, il convient que la production réelle soit la plus proche possible de la production potentielle, c'est-à-dire celle qui est conforme à l'évolution à long terme.

Jusqu'au début des années 1980, le « pilotage » de l'économie consistait à adopter des mesures de relance lorsqu'il y avait tendance à une récession (une attitude dite « keynésienne »). En 1994, la préoccupation, sinon la démarche, a été à la fois inverse (freiner l'activité à l'approche de la saturation des capacités productives) et préventive.

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Le second souci majeur parmi les pays industrialisés, qui était intimement lié au précédent, a concerné la réduction du déséquilibre des finances publiques. La persistance du chômage à un niveau élevé a fini par en faire la finalité de la politique économique, la croissance et les prix n'étant plus que les modalités pour y parvenir. Dans un rapport intitulé Travail dans le monde, le Bureau international du travail a constaté en avril que l'emploi, dans l'ensemble de la planète, continuait de se dégrader. La situation en la matière est devenue la plus grave depuis la Grande Dépression des années 1930, et elle demeurera incertaine pendant de nombreuses années encore, en raison de la mondialisation de l'économie. L'augmentation de la productivité et la croissance de la population active (estimée à 43 millions de personnes supplémentaires par an) sont également citées dans ce document parmi les premières causes de ces difficultés. Pour les pays industrialisés (zone de l'O.C.D.E.), le taux de croissance est passé de 1,3 p. 100 en 1993 à 2,8 p. 100 en 1994, et celui du chômage de 7,9 p. 100 à 8,2 p. 100. Le fait que l'emploi ne réagisse qu'avec retard à l'amélioration de la conjoncture n'est guère pris en compte, cependant, par les principaux acteurs de la vie politique et sociale. En la circonstance, la thèse soutenue par la C.N.U.C.E.D. (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), dans son rapport publié en septembre, exprimait le scepticisme au sujet de l'ajustement structurel. Selon les auteurs, les politiques restrictives en vigueur étaient responsables du bas niveau d'activité, du niveau élevé du chômage et des tensions commerciales internationales. Ce qui était en cause, dans ce document, était le principe de l'économie de l'offre qui privilégie, depuis le début de la décennie, une promotion non inflationniste des moyens de production. Il convenait donc de revenir aux préceptes de l'économie de la demande en restaurant les interventions des pouvoirs publics en vue de la satisfaction des besoins des populations. Cette thèse, que n'aurait pas désavouée John Maynard Keynes, répondait aux aspirations des pays en développement dont la C.N.U.C.E.D. se fait généralement l'interprète.

Mais tout autre était l'attitude des principales organisations internationales. Le F.M.I. a estimé que « le plus pressant est de poursuivre l'assainissement des finances publiques, qui aura pour effet, à moyen terme, d'abaisser les taux d'intérêt, d'accroître la production potentielle en libérant les ressources pour le secteur privé et de permettre au secteur public de mieux faire face aux défis budgétaires à long terme tels que les futures récessions et le vieillissement de la population ».

La production potentielle étant celle qui peut être soutenue lorsque les taux d'utilisation de la capacité et de l'emploi sont normaux, le cycle économique exprime les fluctuations de la production réelle de part et d'autre de la production potentielle. Il s'agit, autrement dit, de la distinction entre la conjoncture et la tendance à long terme. L'orientation vers une faible inflation, que l'on constate actuellement, existera aussi longtemps que la courbe de la production réelle n'aura pas recoupé vers le haut la pente tendancielle. Au-delà, la production supplémentaire aura pour effet de créer une tendance inflationniste. L'O.C.D.E. a estimé qu'aux États-Unis la production effective a dépassé la production potentielle au cours de 1994. « Au Japon, en revanche, écrit-elle, la production effective est à l'heure actuelle sensiblement inférieure à la production potentielle, et l'écart devrait se creuser en 1995. » En Europe, les situations sont diverses. En Allemagne, la production effective n'a été que légèrement inférieure à la production potentielle en 1994. Mais la récession paraît avoir été plus prononcée, de ce point de vue, en France, au Royaume-Uni, en Espagne et dans les pays nordiques.

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Le maintien d'un faible niveau d'inflation dans des pays parmi les plus avancés dans le cycle économique, en particulier aux États-Unis, a toutefois inspiré à certains économistes des réserves au sujet d'une saturation, annoncée comme prochaine, des capacités. Celles-ci sont incorporées dans les statistiques sur la foi des déclarations des industriels, lesquels peuvent avoir sous-estimé le potentiel de leur appareil de production. Par ailleurs, les équipements nécessaires à l'accroissement des capacités sont, de façon croissante, de catégorie électronique, dont la disponibilité est plus rapide que pour les classiques équipements mécaniques. Enfin, la délocalisation des unités de production permet aux entreprises d'obtenir de l'étranger ce qu'elles ne peuvent plus fabriquer sur place.

Le cycle économique influence la croissance potentielle par le biais de la formation réelle de capital fixe. Selon les analystes du F.M.I., le ralentissement de cette dernière en 1993 a réduit, pour les sept grandes puissances industrialisées, la production potentielle de près de trois quarts de point de pourcentage en niveau et d'un tiers de point en croissance. Cette approche invite à nuancer l'idée, généralement admise, d'une symétrie entre l'intensité de la reprise, d'une part, et celle de la récession qui l'a précédée, de l'autre. C'est ainsi que le fléchissement de la production potentielle imputable à l'effet direct de la baisse de l'investissement aurait été d'environ 0,5 p. 100 aux États-Unis, un pays où la récession a été relativement modérée, de l'ordre de 1,5 p. 100 au Japon et de 1,75 p. 100 dans les cinq autres pays du G7, qui ont subi un ralentissement nettement plus important. Aux États-Unis, qui ont pratiquement effacé les effets de la récession, la baisse cyclique de l'investissement a déjà été dépassée et le redressement a été plus vigoureux que durant les précédentes reprises, ce qui semble avoir accru la croissance potentielle depuis 1991.

La réduction de l'offre de main-d'œuvre est un autre moyen par lequel le cycle économique peut influer sur l'évolution de la production potentielle. On a pu voir, en effet, dans de nombreux pays européens le chômage conjoncturel se transformer en chômage structurel : les chômeurs de longue durée, notamment, quittent par découragement le marché du travail, ou bien leurs compétences finissent par être frappées d'obsolescence, ce qui a un effet dissuasif sur les employeurs. Les analystes du F.M.I. ont déterminé que, si le taux de chômage des douze pays de l'Union européenne était resté égal à celui de 1973, l'emploi s'y serait situé en 1990 à un niveau de 7 p. 100 plus élevé, à pleine capacité. La production potentielle, toutes choses étant égales par ailleurs, aurait été plus élevée de 4,5 p. 100. À supposer que le stock de capital ait progressé selon la même pente, la production potentielle aurait été accrue de près de 7 p. 100. À déviation égale de la production réelle par rapport à celle-ci, la conjoncture aurait été plus vigoureuse, donc plus génératrice d'emplois. En revanche, on ne constate guère de signes d'une accélération continue de la productivité globale tendancielle à la suite de récessions, même si ces dernières tendent à faire disparaître les entreprises les plus faibles et incitent les autres à prendre des mesures qui accroissent l'efficacité.

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