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ÉCONOMIE MONDIALE 1990 : de l'euphorie à la crainte

Matières premières : l'atonie persistante

Phénomène inquiétant pour les pays producteurs, appartenant généralement au Tiers Monde, la forte croissance retrouvée des années récentes n'a pas vraiment réussi à redresser les prix des grandes matières premières ; la situation n'a même cessé de se dégrader depuis 1986, connaissant en 1990 une relative stabilisation globale, encore que le pétrole ait joué un rôle déterminant dans ce sens, en s'adjugeant l'essentiel des hausses intervenues.

D'une manière générale, les conditions qui avaient maintenu la pression sur les cours des métaux en 1989 ont disparu : les grèves dans les mines de zinc du Pérou n'ont pas eu de suite et les approvisionnements sont redevenus faciles pour la quasi-totalité des non-ferreux, y compris pour les fournitures de qualité. Pourtant, les besoins en métaux, notamment des nouveaux pays industriels, restent importants, surtout pour leur métallurgie et leur industrie mécanique. Mais les perspectives de croissance de la consommation dans les pays riches sont jugées limitées depuis plusieurs années déjà. Le F.M.I. a calculé que la demande de métaux non ferreux continuait de progresser, mais moins vite que l'activité des industries utilisatrices. De leur côté, les compagnies minières considèrent que les cours sont de nouveau trop faibles pour justifier des investissements supplémentaires et l'exploitation de nouveaux gisements.

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Toutefois, au cours de l'été de 1990, et avant même ce qui a été improprement appelé le « troisième choc pétrolier » (lequel a débuté au mois d'août), des mouvements chaotiques se manifestaient sur les marchés des métaux non ferreux, pourtant traditionnellement calmes pendant cette période de l'année. C'est ainsi que, durant le mois de juillet, les flambées puis les baisses de cours se succèdent à un rythme accéléré, tandis que des grèves éclatent dans des mines de cuivre, de plomb, de zinc et de nickel. Le marché est d'autant plus sensible à ces mouvements sociaux que, dans l'ensemble, les stocks de métal disponibles se maintiennent encore à des niveaux très faibles. Comme un malheur n'arrive jamais seul, un éboulement survenu dans l'une des plus importantes mines du Chili (Al Teniente), premier producteur mondial de cuivre, a imposé la fermeture provisoire de celle-ci.

Les troubles socio-politiques du Pérou et les guérillas d'Afrique font également peser des menaces sur les productions de ces pays : la Zambie, cinquième producteur mondial de cuivre, connaît de sérieuses difficultés ; des troubles sociaux affectent même une mine d'Arizona. Au Canada, des mouvements revendicatifs apparaissent dans des mines de zinc et de plomb : ils s'apaisent finalement assez vite, et les cours fléchissent alors sensiblement à la fin de juillet.

En Nouvelle-Calédonie, une grève de plusieurs semaines paralyse la production de nickel, dont les cours font preuve d'une remarquable fermeté malgré des ventes spéculatives. Soucieux de leurs approvisionnements, les Japonais ne s'y trompent d'ailleurs pas et font leur entrée dans le capital de sociétés minières néo-calédoniennes, contribuant ainsi à consolider l'économie du territoire et à restaurer la confiance de celui-ci dans son avenir après les deux premières années, très encourageantes, d'application des accords Matignon, qui ont ramené calme et espérance sur l'archipel.

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Les incertitudes sur l'issue des négociations de l'Uruguay Round ont aussi pesé sur les marchés des matières premières où la rivalité Europe-Japon-États-Unis n'est pas non plus absente. C'est ainsi que les États-Unis appliquent des réglementations protectionnistes à l'importation et même à l'exportation de différents métaux : le Buy American Act de 1930 permet à Washington d'imposer des droits élevés sur tout métal jugé vital pour l'industrie américaine. Les Japonais, quant à eux, pratiquent des doubles prix qui ont pour effet de taxer les métaux étrangers afin de rendre artificiellement compétitive la production nationale. Le dumping est en outre monnaie courante ; c'est ainsi que, depuis dix ans, les pays de la Communauté européenne ont subi au moins vingt-trois attaques de la part des producteurs les plus divers : le nickel et le plomb de chasse soviétiques, le spath et la barytine chinois, les demi-produits de cuivre et d'aluminium yougoslaves, l'aluminium brésilien et égyptien ; en 1990, l'U.R.S.S. a doublé ses ventes de potasse à la C.E.E en divisant les prix par deux. La réputation de « passoire » que s'est faite l'Europe à l'égard des produits des pays tiers s'illustre également sur ce plan. Tant et si bien qu'enfin, pour la première fois de son histoire, la Communauté a consacré un Conseil des ministres à ce sujet le 6 juin 1990 et a affirmé sa volonté de ne plus se laisser faire, sans pour autant définir les mesures bien concrètes par lesquelles pourrait se manifester cette volonté.

La faiblesse des prix des matières premières n'a pas affecté que le secteur des métaux ; la morosité a dominé le marché du caoutchouc, malgré le « boom » de ses usages sanitaires, tels que les gants de chirurgie et les préservatifs. Matière première industrielle par excellence, le caoutchouc naturel a été affecté par les aléas de la conjoncture dans l'industrie automobile et plus particulièrement par les difficultés de l'industrie du pneumatique, illustrées par l'annonce de trois mille licenciements chez Michelin. La baisse du prix du caoutchouc s'est accélérée en juillet et n'a même pas été interrompue par l'invasion du Koweït par l'Irak. Tandis que la consommation se réduit, les pays producteurs, telles la Malaisie, l'Indonésie et la Thaïlande, trouvent intérêt à augmenter leur production pour accroître leurs recettes. Le caoutchouc serait-il l'une des rares matières premières que les pays du Tiers Monde ont intérêt à développer ? Certains d'entre eux, en tout cas, le croient, comme le Nigeria, qui a augmenté de 70 p. 100 sa production dans les deux dernières années, tandis que la Thaïlande et l'Inde annonçaient une fabrication record de gomme.

La déprime du cacao s'est désespérément poursuivie, continuant d'affaiblir l'économie ivoirienne, malgré une embellie au printemps ; la déception est notamment venue de la réduction des achats soviétiques, faisant l'effet d'une douche froide sur un marché qui manifestait quelques velléités de reprise largement provoquées d'ailleurs par les troubles politiques survenus en Côte-d'Ivoire ainsi que par des accidents climatiques. Le marché n'en restait pas moins encombré de fèves et les prix fluctuaient sur un niveau moyen toujours à la baisse. L'accord international expirait à la fin de septembre ; son renouvellement s'annonçait sous un jour plus qu'incertain.

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Même grisaille pour le café, dont on attendait pour 1990 une récolte en surproduction, notamment au Brésil, l'accord international se montrant toujours aussi inefficace et peu respecté en pareille circonstance : les deux grands producteurs que sont le Brésil et la Colombie cherchent surtout à augmenter leurs revenus par un développement anarchique de leur production. Derniers défenseurs de l'accord international, les Colombiens ont perdu leurs illusions et se sont résignés à une fuite en avant après avoir constaté que les États-Unis eux-mêmes ne faisaient aucun effort substantiel pour aider les paysans à abandonner la culture de la coca, tellement plus lucrative. Une amélioration des cours se faisait toutefois jour durant l'été, permettant d'espérer un redressement durable, d'autant que la consommation de café se développe très fortement dans les pays d'Europe de l'Est nouvellement libérés. C'est encore l'Afrique, grande productrice de café robusta, qui souffre le plus de cette concurrence et du marasme général. Si la France, en effet, importe d'Afrique encore plus de 50 p. 100 de son café, les autres pays consommateurs se tournent de plus en plus vers la production d'arabica sud-américaine, plus appréciée et de moins en moins chère.

Pourtant, les Nations unies préconisent une relance des productions de matières premières des pays africains pour leur permettre de recouvrer une meilleure santé économique ; leur rapport recommande aussi une privatisation des filières de production et de distribution. Or l'expérience montre que, par exemple, le démantèlement du Cacao Board, décidé quelques années plus tôt au Nigeria, a conduit à une situation totalement anarchique pour la filière cacao ; de même, au Brésil, la disparition de l'Institut brésilien du café n'a rien amélioré : la confusion règne entre des prix nationaux artificiellement maintenus et des cours mondiaux à la baisse.

Le rapport de l'O.N.U. est plus crédible lorsqu'il invite les pays africains à réduire de 50 p. 100 leurs dépenses militaires, ce qui économiserait environ 3,7 milliards de dollars par an, et à consacrer au moins 25 p. 100 de leurs dépenses publiques à l'agriculture. En contrepartie, il demande à la communauté internationale de consentir un nouvel effort financier à l'Afrique noire, estimant qu'il faudrait à celle-ci 27 milliards de dollars par an pour financer ses investissements indispensables ; les pays d'Afrique du Nord auraient besoin, quant à eux, de 10 milliards.

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Les marchés des céréales se sont également distingués par leur atonie, en raison notamment d'une augmentation de la récolte mondiale, des pays de l'Est et de l'U.R.S.S. en particulier, ainsi que de l'obstination des Américains à casser les prix, malgré les déclarations du secrétaire au Trésor, Nicholas Brady, affirmant le 30 mai à Paris sa volonté de « mettre en place une discipline efficace dans le secteur agricole, destinée à éliminer le système absurde d'aide à l'agriculture, de protection des importations et de subvention des exportations ». Mais, dans la réalité, la politique américaine restait tout autre.

Dans ses prévisions annuelles, la F.A.O. estimait que, pour la première fois depuis quatre ans, les récoltes de céréales devaient se situer, en 1990, à peu près au même niveau que la consommation si les conditions climatiques restaient favorables ; ainsi, la production mondiale de blé devait atteindre 558 millions de tonnes, en progression d'environ 3 p. 100 sur l'année précédente. La F.A.O. prévoyait néanmoins que « la reconstitution des stocks serait faible et que la situation alimentaire mondiale resterait précaire pendant au moins une autre année ». C'est notamment en Afrique que le drame de la famine continue de s'aggraver, sécheresse et guérillas conjuguant leurs effets pour rendre sans cesse plus difficile une situation déjà catastrophique.

Le sucre lui-même a connu une évolution décevante en 1990. Après avoir fait preuve d'une certaine fermeté durant le printemps, fondée sur des craintes de pénurie et la faiblesse des stocks, son prix s'affaissait dans le courant de l'année, à mesure que la récolte mondiale paraissait devoir se montrer finalement excédentaire pour la première fois depuis six ans. Aucun des facteurs de hausse retenus au printemps par les professionnels ne s'est concrétisé : Union soviétique, Chine, Inde n'ont effectué que des achats parcimonieux. Ainsi, les modestes perspectives de la demande, la forte augmentation de la production en Inde et même en Chine, au Brésil, à Cuba et dans la C.E.E. ont transformé les prévisions initiales de déficit en anticipations de surplus. L'U.R.S.S. et la Chine connaissent une grave crise de liquidités et ne se portent donc guère acheteurs sur les marchés internationaux, malgré des besoins souvent aigus.

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La tendance était tellement apathique sur le marché du sucre que, là encore, la crise du golfe Arabo-Persique n'a eu aucun impact sur les cours. Pourtant, l'annonce du boycottage du pétrole irakien et koweitien par la communauté internationale aurait pu provoquer une augmentation de la consommation d'alcool dans des pays comme le Brésil, dont une bonne moitié du parc automobile roule à l'éthanol (alcool fabriqué à partir du sucre de canne) ; de ce fait, le volume du sucre exportable par le Brésil aurait dû diminuer. Mais ce pays décida d'augmenter sa production en conséquence.

La faiblesse des achats mondiaux en 1990 s'est aussi manifestée sur d'autres denrées, telle la laine, dont le prix a baissé de près d'un tiers en deux ans. Les causes principales sont toujours les mêmes : augmentation de la production et réduction des achats des grands consommateurs comme l'U.R.S.S., la Chine (qui a réduit ses importations de laine de 80 p. 100, faute de moyens de paiement) et même le Japon. Sans doute faut-il également évoquer la douceur des derniers hivers parmi les causes propres à expliquer ce marasme de la laine, comme elle rend compte aussi pour partie de la sagesse des prix du pétrole jusqu'à la crise de l'été, et ce malgré la persistance d'une bonne activité industrielle dans le monde.

Au tableau des matières premières, l'année 1990 aura été marquée par l'apparition spectaculaire d'un métal peu connu, le rhodium, dont le cours s'est envolé de plus de 225 p 100 lors du seul premier semestre : utilisé dans l'industrie automobile pour la fabrication des pots catalytiques, ce métal connaît une vogue liée à la lutte contre les pollutions et à la prégnance des préoccupations écologiques. Produit surtout en Afrique du Sud, comme le diamant, qui connut aussi en 1990 un regain de la demande, le rhodium a fait l'objet d'une spéculation d'autant plus forte que son marché est étroit et que les quantités produites sont peu importantes (quelques tonnes), de même d'ailleurs que celles qu'utilise l'industrie – un gramme seulement par pot d'échappement , ce qui l'apparente à un métal précieux.

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Quant au pétrole lui-même, qui exerce une sorte de rôle directeur sur les marchés des matières premières, son prix était remonté au cours du premier semestre au bénéfice d'une meilleure entente entre les pays membres de l' O.P.E.P. et d'un rapprochement des points de vue entre les deux producteurs majeurs que sont le Koweït et l'Arabie Saoudite. Ces deux pays, proches l'un et l'autre des pays occidentaux par leurs orientations politiques et diplomatiques, s'opposaient depuis un peu plus d'un an sur la stratégie à mettre en œuvre en matière de prix du baril et, plus précisément, sur la répartition des quotas de production. Cette divergence de vues tendait à s'estomper lorsque le coup de force de l'Irak vint tout bouleverser et rendit caduques ces discussions.

Alors que les réunions de l'O.P.E.P. avaient déjà réussi, au cours du printemps, à rapprocher les points de vue et à porter le prix du baril aux alentours de 21 dollars, cet événement provoqua sur les marchés un bref instant de panique au lendemain duquel le prix du baril parut se stabiliser provisoirement autour de 25 dollars, tout en restant animé d'un mouvement de « yoyo ».

Puis une analyse plus sereine de la situation montra rapidement que les stocks étaient importants et que la production de l'Irak et du Koweït, sans être négligeable, n'était pas vitale pour les grands pays industrialisés, qu'il s'agisse des États-Unis, de l'Europe ou du Japon. Elle pouvait en effet être remplacée par une augmentation des fournitures de l'Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis et de l'Iran, pays avec lequel les grandes capitales venaient de renouer des relations diplomatiques normales.

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Outre les pays du Moyen-Orient, d'autres producteurs, tels que le Venezuela et le Mexique, décidèrent, dans ces conditions, d'augmenter leur production ; d'où de nouvelles tensions au sein de 1'O P E P., dont le président, de nationalité algérienne, Sadek Boussena, ne tarda pas à formuler une mise en garde envers les pays membres qui accepteraient de jouer contre la hausse du prix.

Il apparaissait par ailleurs que d'autres champs pétrolifères, notamment aux États-Unis et au Canada, pourraient retrouver à moyen terme une rentabilité d'exploitation si le prix du baril devait dépasser durablement 25 dollars. On estimait généralement, au lendemain du coup de force irakien, qu'un baril à 25 dollars n'aurait sans doute pour les économies industrialisées que des effets marginaux ; en revanche, à 35 ou 40 dollars, le monde industrialisé subirait une grave récession.

Mais ce sont, en toute hypothèse, les pays de l'Europe centrale qui seraient les plus affectés, car ils ont de gros besoins d'énergie pour reconstruire leur économie. Le problème était le même pour l'ensemble des pays pauvres non pétroliers, tels que le Maroc, le Brésil, l'Argentine et la plupart des pays africains, déjà très affaiblis et accablés par le poids de la dette. L'U.R.S.S., au contraire, voyait sa production revalorisée et pouvait espérer trouver dans la nouvelle crise du Moyen-Orient l'occasion inespérée de renflouer un peu ses ressources financières. Mais elle avait besoin de l'aide occidentale pour rénover un équipement obsolète qui rend difficile l'accroissement de sa production.

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Avant même la crise de l'été de 1990, Moscou avait annoncé à ses anciens satellites qu'à partir du 1er janvier 1991 ils devraient payer l'or noir soviétique au taux du marché mondial et en dollars ; c'était, en somme, le prix de la liberté. Voilà qui suffisait déjà à alourdir leur facture de 90 à 120 p. 100.

Si toutes les conséquences de l'événement étaient difficiles à tirer avec certitude dans l'immédiat, il n'en apparaissait pas moins alors que cette nouvelle crise sonnait vraisemblablement la fin d'une période durant laquelle le pétrole avait été relativement bon marché.

De même, la perspective d'une remontée progressive des prix du brut, favorable aux producteurs, mais supportable, voire relativement indolore pour les consommateurs, qui semblait s'esquisser depuis le début de l'année, après notamment la dernière conférence de l'O.P.E.P., paraissait bien compromise après cet été brûlant : le pétrole semblait revenu dans la zone des turbulences. L'accord auquel parvenaient les pays modérés de l'O.P.E.P., à la fin d'août, pour augmenter leur production marquait à n'en point douter un échec de l'Irak, mais ne pouvait ramener totalement le calme sur les marchés, tant l'incertitude restait grande quant à l'issue du conflit : l'hypothèse notamment selon laquelle les Irakiens pouvaient neutraliser durablement leurs puits et ceux du Koweit, voire détruire ceux d'Arabie Saoudite, en cas de conflit armé, entretenait une vive inquiétude sur les marchés et incitait à des stockages spéculatifs, poussant même sporadiquement le prix du baril à 35 puis 40 dollars, dès septembre.

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Écrit par

  • : directeur de cabinet du président du Conseil économique et social.

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