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ÉCONOMIE MONDIALE 1990 : de l'euphorie à la crainte

Tiers Monde : la rechute pour cause de pétrole ?

Plus d'un milliard d'êtres humains vivent avec un revenu annuel inférieur à 370 dollars, c'est-à-dire au-dessous du seuil dit de pauvreté. Telle est la réalité constatée par la Banque mondiale en 1990 dans son Rapport sur le développement dans le monde.

Malgré les bons résultats économiques enregistrés par de nombreux pays dans la décennie de 1980, la pauvreté n'a pas régressé. C'est l'Asie du Sud qui détient le record, avec près de la moitié de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté ; la majorité des pauvres vivent dans les zones rurales (77 p. 100 en Inde, 80 p. 100 au Kenya), et l'agriculture reste leur principale source de revenu. Toutefois, la pauvreté urbaine progresse, surtout dans les bidonvilles d'Amérique latine, au Venezuela, au Mexique et au Brésil.

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La démographie pèse lourd dans toutes les régions du Sud où règne la pauvreté : elle absorbe généralement, et au-delà, les gains de la croissance économique.

La Banque mondiale souligne la position particulièrement défavorisée des femmes, qui « se heurtent à toutes sortes d'obstacles d'ordre culturel, social, juridique et économique, que les hommes, même quand ils sont pauvres, ne connaissent pas ». Le taux d'alphabétisation des femmes en Asie du Sud ne représente, par exemple, que la moitié de celui des hommes ; dans les zones rurales du Pakistan, 20 p. 100 seulement des filles vont à l'école primaire. Enfin, la Banque mondiale rappelle l'interdépendance économique entre Nord et Sud et met en garde contre « le danger que représente la persistance d'un faible taux d'épargne, qui ralentirait le taux de croissance du monde industriel d'environ 0,5 p. 100 et alourdirait la charge de la dette en maintenant des taux d'intérêt élevés ».

Sur ce plan aussi, l'année 1990 n'avait pourtant pas trop mal commencé. Le rapport annuel de l'O.C.D.E. révélait en effet que la dette globale du Tiers Monde avait cessé de croître. Atteignant un total de 1 322 milliards de dollars, elle semblait appelée à revenir, selon l'O.C.D.E., à son niveau de 1987. En outre, les pays en développement avaient reçu des concours financiers en lente progression, ce qui contrastait avec la chute brutale que l'on avait constatée à cet égard dans la première moitié des années 1980.

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C'est l'aide publique qui était la première cause de ce léger redressement, à quoi s'ajoutait le fait que les crédits à l'exportation étaient redevenus positifs pour la première fois depuis 1985.

Mais l'inquiétude demeurait, du fait notamment de la persistance de taux d'intérêt élevés : le financement des investissements tant dans les pays industrialisés qu'en Europe de l'Est ne devait-il pas entraîner des besoins considérables en capitaux qui continueraient à pousser les taux d'intérêt à la hausse ? La charge des intérêts et dividendes supportée par les pays en développement serait donc amenée à s'alourdir.

Élément plus positif, le « plan Brady » constitue un progrès dans la stratégie internationale de la dette : il apporte un soutien officiel, tant moral que financier, aux opérations de réduction de la dette des pays à revenu intermédiaire lourdement endettés qui, notamment en Amérique latine, ont entrepris des efforts résolus dans ce domaine.

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Sur le continent sud-américain, en effet, les nouveaux présidents d'Argentine (Carlos Menem), du Brésil (Fernando Collor), du Pérou (Alberto Fujimori) se sont hardiment lancés dans des programmes d'assainissement rigoureux, parfois brutaux, de leurs économies nationales respectives. Restait à savoir si les conséquences sociales et politiques de ces programmes seraient durablement supportées par des populations déjà très pauvres et « travaillées » par des démagogues n'hésitant pas à recourir, comme au Pérou, au terrorisme le plus sanglant. On pouvait de même se demander si les risques grandissants pris par la Banque mondiale et le F.M.I., tant sur le plan strictement financier que sur le plan politique, n'étaient pas trop importants et ne portaient pas en germe des facteurs d'explosion ultérieure.

Mais il n'est pas douteux que l'année 1990 avait débuté sur une note plutôt positive en ce qui concerne la dette, comme l'avait bien montré, en juin, le sommet de Kuala Lumpur. Les quinze pays dits « à revenu intermédiaire » y avaient déclaré à cette occasion, par la bouche du ministre des Finances malaisien, qu'il n'était nullement dans leur intention de ne pas honorer leur dette.

Plusieurs pays, dont le Mexique, se sont félicités du plan Brady et de la restructuration de la dette qu'il a entraînée, en dépit de ses insuffisances et de ses imperfections : « Sans le plan Brady, nous serions aujourd'hui dans une situation beaucoup plus préoccupante », déclarait un important banquier mexicain, ajoutant : « Nous n'aurions pas réussi à ramener l'inflation de 160 à 20 p. 100, ni à maintenir la valeur du peso. Nous serions dans l'incertitude la plus complète et aucun investisseur étranger ne s'intéresserait au Mexique. »

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S'il est évident que le plan Brady n'a pas résolu le problème structurel de l'endettement, il a permis aux pays bénéficiaires de reprendre leur souffle, en allégeant un fardeau devenu impossible à supporter : selon l'Institut de finance international de Washington, la dette du Tiers Monde s'est vue ainsi réduite de plus de 50 milliards de dollars entre 1988 et 1990.

Lors du sommet des pays d'Afrique francophone, qui s'est tenu le 20 juin 1990 à La Baule, la France a également procédé à une nouvelle annulation d'une partie importante de la dette qui est la leur. Elle a incité les banques à ne pas se désintéresser de ces pays. Un marché des créances douteuses s'est développé, dont l'évolution est assez révélatrice du degré de confiance accordée aux États. C'est ainsi que la dette ivoirienne se négociait à 19 p. 100 de sa valeur à la fin de 1988, et n'en valait plus, en 1990, que 6 p. 100.

Dans le même temps, la dette du Niger s'était dépréciée de 54 à 39 p. 100, tandis que celle du Nigeria remontait de 21 à 29 p. 100. La valeur moyenne de la décote des titres de créance pour les quinze pays les plus lourdement endettés est tombée de 70 p. 100 environ en 1986 à moins de 40 p. 100 en 1990.

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La Banque mondiale créait dans le même temps un fonds de rachat de 100 millions de dollars, dont le Mozambique a été le premier bénéficiaire.

La discussion s'est néanmoins poursuivie au sein des institutions internationales. Annulations de dettes, dons, prêts, rachats de créances, quel était le meilleur moyen de faire face à ce difficile problème ? Les avis restaient partagés : l'annulation de dettes, si généreuse soit-elle dans son esprit, laisse une impression de malaise : « Elle peut être considérée comme une prime aux dictateurs et à la mauvaise gestion », commentait un responsable d'associations françaises pour le développement.

Mais comment traiter les mauvais payeurs ? Cette question est restée présente dans tous les débats du F.M.I. qui ont accompagné la décision, finalement prise par les sept grands pays industrialisés, d'augmenter de 50 p. 100 les ressources de cet organisme afin de lui permettre de répondre aux besoins des pays en difficulté financière ; le F.M.I. enregistrait une forte progression du montant des impayés, passé de 2 milliards de dollars en 1988 à plus de 4 milliards en 1990.

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Faut-il couper les vivres aux mauvais payeurs, au risque de les enfoncer dans leurs difficultés et de ne jamais rien récupérer des sommes dues, ou faut-il plutôt leur consentir de nouveaux prêts avantageux dans l'espoir de les aider à se redresser et à rembourser ? Tels sont les deux termes de l'alternative entre lesquels pays industrialisés et institutions internationales continuent de fluctuer en 1990 d'une manière très empirique. D'autant que le problème revêt une ampleur nouvelle du fait des besoins considérables en matière de développement rapide manifestés à leur tour par les anciens satellites de l'U.R.S.S. en Europe de l'Est, qui ont vu, dans un premier temps, la libéralisation nécessaire de leur économie et l'accroissement rapide de leurs échanges avec l'Ouest (environ 12 p. 100 par an) se traduire par une aggravation sensible de leur endettement, évaluée à 15 milliards de dollars en 1989. C'est ainsi que la dette globale des pays de l'Europe de l'Est a pu être estimée à 160 milliards de dollars environ en 1990.

De nouvelles menaces de dégradation

La Bulgarie a suspendu les remboursements de sa dette. Dans le cas de la Pologne, les seuls intérêts de sa dette absorbent près de 50 p. 100 des recettes de ses exportations. Même pour l'U.R.S.S., qui dispose pourtant de réserves d'or considérables, le problème devient préoccupant, la dette extérieure ayant presque doublé en quatre ans, sur la base de 30,5 milliards de dollars en 1986.

La Hongrie, l'un des pays relativement les plus avancés de l'ancien empire soviétique, se trouve de plus en plus directement confrontée aux problèmes classiques des pays en développement : service de la dette croissant et programme d'ajustement impopulaire.

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La solution passe par un développement équilibré des relations commerciales qui permette aux pays récemment libérés du joug communiste de se procurer les devises dont ils ont besoin. Mais cet effort n'ira pas non plus sans difficulté, car il implique que les pays occidentaux et le Japon facilitent l'accès des produits de l'Est sur leurs propres marchés par la suppression des restrictions commerciales existantes et, à plus long terme, en leur faisant une place dans le système de libre-échange ouest-européen. Cette exigence compliquait encore le déroulement des négociations commerciales du G.A.T.T., dites de l'Uruguay Round – et joua un rôle dans l'échec de celles-ci –, ainsi que les efforts pour parvenir au marché unique européen.

Il apparaît en effet que les pays pauvres non producteurs de pétrole sont les victimes potentielles de la nouvelle crise du Golfe. Ils souffriront à la fois d'une augmentation de leurs dépenses énergétiques, de la contraction de leurs propres exportations du fait du ralentissement de l'activité dans les pays industrialisés, et enfin du renchérissement du coût de l'argent.

Les deux premiers chocs pétroliers avaient précipité la crise de la dette ; le troisième, redoute-t-on, pourrait annuler les efforts accomplis les années précédentes pour alléger son poids. C'est ainsi que l'Inde, par exemple, déjà très endettée (avec des engagements qui ont doublé en cinq ans et atteignent 64 milliards de dollars en 1990), a vu ses difficultés de financement s'aggraver, d'autant plus qu'elle était grosse importatrice de pétrole irakien et koweïtien. Le Brésil lui-même en venait, au lendemain de la crise du Golfe, à suspendre le paiement des intérêts de sa dette jusqu'à ce qu'un accord soit trouvé dans le cadre du F.M.I.

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Les pays les plus pauvres, enfin, les trop fameux P.M.A., continuent à s'enfoncer dans leur misère et à se marginaliser. Ces quarante et un États, comptant quelque quatre cents millions d'habitants, ne parviennent guère à retenir l'attention des grandes puissances, elles-mêmes absorbées par des soucis plus immédiats : comme convenu en 1989 à l'initiative de la France, une conférence s'est tenue à Paris, sous l'égide de l'O.N.U., en septembre 1990, pour tenter d'apporter un début de solution aux difficultés de ces pays. En ouvrant cette réunion, le président de la République française devait notamment souhaiter qu'un nouvel effort fût accompli par les pays industrialisés, et appelait de ses vœux un plan de lutte contre les inégalités à l'échelle mondiale. Si la crise pétrolière de 1990 prenait l'ampleur d'un nouveau choc pétrolier, le Tiers Monde importateur et son milliard de pauvres en seraient en effet très durement frappés, ce qui ne manquerait pas de créer des déséquilibres lourds de menaces pour la paix.

C'est pourquoi la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (C.N.U.C.E.D.) a manifesté une vive inquiétude dans son rapport de 1990. Notant qu'avec un pétrole à 30 dollars le baril les pays en développement qui ne disposent pas de ressources en pétrole verraient leur facture annuelle d'importation s'alourdir de 26 milliards de dollars, la C.N.U.C.E.D. estime qu'au terme de la décennie de 1980 l'écart se creuse à nouveau non seulement entre les pays riches et les autres, mais aussi entre riches et pauvres au sein des pays en développement ; elle dénonce une dynamique économique négative due notamment à « la prédominance de la gestion de portefeuille et de la spéculation sur l'esprit d'entreprise » et propose, pour y remédier, l'institution d'une taxe sur les transactions spéculatives internationales. On imagine les difficultés soulevées par un tel projet, qui nécessiterait, pour aboutir, un large consensus entre les nations.

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Écrit par

  • : directeur de cabinet du président du Conseil économique et social.

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