- 1. Une situation plutôt favorable
- 2. La nouvelle crise pétrolière
- 3. L'anémie des grandes monnaies
- 4. Commerce international : le dernier round de l'Uruguay ?
- 5. Le risque d'un Pearl Harbour industriel
- 6. Matières premières : l'atonie persistante
- 7. Tiers Monde : la rechute pour cause de pétrole ?
- 8. Le triomphe modeste du moins mauvais des mondes
ÉCONOMIE MONDIALE 1990 : de l'euphorie à la crainte
L'anémie des grandes monnaies
La stabilisation des relations monétaires internationales s'est poursuivie en 1990. Certes, elle a fait montre également de sa fragilité et de ses faiblesses persistantes ; mais, grâce à la concertation entre banques centrales et entre gouvernements des principales puissances monétaires, ces dernières ont pu conserver une relative maîtrise du système, qui ne s'est pas démentie sous l'effet de la crise moyen-orientale et a résisté à la déprime qui s'est ensuivie. Cette maîtrise explique que, pour la première fois sans doute depuis le début des années 1970, les fluctuations des parités se sont prêtées de nouveau, dans une certaine mesure, à une prévision fondée sur l'évolution des taux d'inflation et des balances courantes : c'est dire qu'elles obéissent à des facteurs plus rationnels.
Jusque-là, les mouvements des principales monnaies étaient plus erratiques, souvent paradoxaux, reflétant moins l'état réel des économies respectives que des phénomènes spéculatifs à court terme souvent irrationnels ou auxquels, tout au moins, n'était donnée qu'une explication a posteriori : ainsi des monnaies s'inscrivaient-elles en hausse dans des pays où le taux d'inflation était élevé et le déficit extérieur important, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie, l'Espagne et la Suède, et inversement (Japon, Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Suisse). Le yen est resté la seule exception majeure à ce réalignement des taux de change sur les données fondamentales de l'économie, en connaissant une baisse importante au cours du premier semestre de 1990, malgré l'excédent toujours massif du commerce extérieur nippon et la très bonne tenue des prix.
Ainsi, tandis qu'une meilleure lisibilité se faisait jour dans le panorama des taux de change, certains phénomènes aberrants n'en persistaient pas moins ; ils traduisaient les aléas inhérents à un système de change qui n'en était plus un depuis l'écroulement, en 1971, du dispositif conçu à Bretton Woods à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
C'est ainsi que, après s'être fortement redressée comme le commandait l'excellente santé de l'économie japonaise, la valeur du yen était inférieure de 20 p. 100 à son cours maximal atteint à la fin de 1988. Ce recul était sensible à l'égard de toutes les monnaies, mais plus prononcé encore vis-à-vis du deutsche Mark et des autres monnaies du système monétaire européen ; la Banque du Japon et plusieurs grandes banques centrales ont pourtant multiplié leurs interventions pour soutenir le yen au cours du printemps de 1990, le Japon voyant ainsi ses réserves de devises baisser de près de 20 milliards de dollars au cours du premier semestre (elles avaient déjà diminué de 25 milliards en 1989).
Cet effort des autorités japonaises, et notamment de la banque centrale, ne réussissait pas, toutefois, à dissiper totalement le soupçon des autres puissances industrielles quant à la bonne foi de leur partenaire asiatique, accusé de trouver dans cette manipulation monétaire un moyen d'améliorer sa compétitivité et de renforcer son agressivité commerciale. Le problème prenait une telle importance que, pour la première fois, le fameux Groupe des sept pays dits les plus riches, réuni à Bercy le 15 mars pour la rencontre habituelle de printemps, faisait allusion explicitement dans son communiqué final à la nécessité de stabiliser le cours du yen. De fait, cette prise de position, qui laissa sceptiques les commentateurs du lendemain, ne fut pas sans effet et illustra, une fois de plus, les progrès de la concertation internationale, en réussissant à ramener un peu de calme sur le cours du yen dans les mois suivants. Celui-ci restait toutefois plutôt faible, ce qui laissait planer un doute sur les arrière-pensées des autorités nippones, longtemps réfractaires à la demande que leur adressaient les autres pays de relever leurs taux d'intérêt. Mais, en septembre, sans doute inquiet des conséquences que pouvait entraîner pour l'économie japonaise la nouvelle crise pétrolière, Tōkyō n'hésitait plus à relever ses taux d'intérêt, et le yen retrouvait une vigueur certaine.
Les fluctuations des autres monnaies, moins sensibles, ont obéi à des raisons plus objectives et plus explicites : le deutsche Mark s'est d'abord raffermi sous l'effet de l'engouement instantané et quelque peu excessif suscité par les perspectives que semblait ouvrir l'unification et par les écarts de taux d'intérêt vis-à-vis des États-Unis, dont la monnaie avait parallèlement tendance à s'affaiblir.
L'unification allemande
Le formidable besoin de capitaux ressenti par l'Allemagne pour assurer le développement de sa partie orientale libérée du communisme ainsi que les tensions inflationnistes qui paraissaient devoir inéluctablement en découler ont exercé des influences contradictoires sur l'attitude des marchés à l'égard du mark. Pour les uns, l'Allemagne serait obligée de relever considérablement ses taux pour drainer la masse de capitaux qui lui seraient nécessaires : les placements en marks ne pourraient donc manquer d'être rémunérateurs ; pour les autres, les pressions inflationnistes deviendraient menaçantes et affaibliraient la monnaie.
L'économie allemande absorberait-elle aisément l'unification, ou éprouverait-elle plus de difficultés qu'on ne l'imaginait ? Telle était la question ; la réponse nuancée qu'elle appelait s'est retrouvée dans la tenue qui fut par la suite celle du mark : ni trop fort, ni trop affaibli, l'union monétaire entre les deux Allemagnes s'étant effectuée dans les meilleures conditions possibles le 1er juillet, sur la base de 1 pour 1,8 en moyenne. Nul doute que le renforcement du S.M.E. n'y ait aidé, le franc fort, assis sur une politique économique rigoureuse, ayant contribué à faire de l'Europe un pôle de stabilité.
De leur côté, les autorités italiennes avaient décidé, au début de l'année, d'inscrire la lire dans le cadre des obligations acceptées par les monnaies de base du S.M.E., après une légère dévaluation de 3 p. 100 vis-à-vis de l'écu. La monnaie italienne devait se situer par la suite parmi les monnaies européennes les plus fortes, grâce, il est vrai, à l'artifice constitué par un taux d'intérêt particulièrement élevé, comme la peseta espagnole.
La livre sterling, elle aussi, se trouvait confortée, dans les premiers mois de 1990, par la perspective que laissaient enfin entrevoir les autorités britanniques de rejoindre l'Europe monétaire, alors que la dégradation profonde de l'économie anglaise avait entraîné le sterling dans une chute que ne parvenaient pas à enrayer les taux d'intérêt de crise pratiqués sur le marché de Londres.
Dans l'ensemble, les marchés des changes faisaient preuve, à la veille de l'été, d'un calme relatif, malgré la forte instabilité qui affectait les marchés mondiaux de titres.
Les interrogations subsistaient en milieu d'année quant à l'évolution prévisible du yen et du dollar. L'inquiétude était plus grande pour le second que pour le premier, même si une certaine solidarité semblait les entraîner tous deux à la baisse. En effet, avec un taux de croissance de sa production redevenu très dynamique, le Japon ne semblait guère vulnérable sur le plan de sa monnaie, même si l'augmentation du prix du pétrole – porté, à la fin de juillet, à 20 dollars le baril – pouvait lui paraître préjudiciable et ramenait effectivement le yen à son niveau le plus bas depuis dix-huit mois.
Le dollar, quant à lui, était exposé au contrecoup des scandales financiers frappant les organismes d'épargne américains. Les faillites atteignaient des sommes colossales, estimées à 500 milliards de dollars ; par ailleurs, la volonté du président Bush de voir baisser les taux d'intérêt pour ne pas laisser trop s'engourdir l'activité économique et voir le pays sombrer dans une crise du crédit jouait aussi dans le sens d'une baisse du billet vert qui, à la fin de juillet, retombait à son niveau le plus bas depuis deux ans et demi, à 5,39 F, malgré une demande toujours aussi forte pour cette monnaie de par le monde.
Le problème des taux d'intérêt tend effectivement à devenir l'un des plus délicats qu'ont à traiter les ministres des Finances et les gouverneurs de banque centrale : tandis que certains se posent, non sans quelque angoisse, la question de savoir s'il convient de baisser ou non leur taux (les États-Unis surtout, mais aussi l'Espagne et la France), d'autres, tels les Japonais, ne cèdent que de mauvaise grâce aux pressions visant à les leur faire relever.
Les Allemands, de leur côté, s'efforcent de maintenir un équilibre délicat entre la force congénitale de leur monnaie et la crise d'anémie contagieuse que risque d'infliger à cette dernière son introduction en Allemagne de l'Est. L'opération paraissait, du moins dans sa première étape, devoir s'opérer sans dérapage. Karl Otto Pöhl, président de la Banque fédérale d'Allemagne, pouvait dès la mi-juillet se féliciter de 1'« étonnante douceur » avec laquelle l'unité monétaire R.F.A.-R.D.A. s'était effectuée et réaffirmer que cette union ne serait pas cause d'inflation ; il soulignait la sagesse des Allemands de l'Est qui ne se pressaient pas de consommer les quelque 25 milliards de marks ouest-allemands transférés à leur profit.
Les perspectives apparaissaient, au total, plutôt favorables, en milieu d'année, à une baisse prudente des taux d'intérêt, ou tout au moins à leur stabilité – la décision courageuse du président Bush de recourir à l'augmentation des impôts plutôt qu'à l'emprunt pour résorber en partie le déficit américain venant opportunément appuyer cette tendance. La question restait de savoir si les pressions inflationnistes toujours latentes dans l'économie mondiale tendaient elles-mêmes à s'apaiser ou restaient menaçantes : le relèvement du prix du pétrole constituait, à cet égard, un élément plutôt inquiétant.
Dans ce contexte, la France réussissait une belle performance en plaçant sa monnaie parmi les plus fortes et en rapprochant sensiblement son taux d'intérêt et son taux d'inflation de ceux de l'Allemagne fédérale. Le Monde titrait à la fin d'avril 1990 : « Le Franc vraiment très fort », en faisant valoir qu'il était notamment soutenu par la faible progression des prix, l'amélioration du commerce extérieur, le sérieux de la politique économique du gouvernement, la modération des hausses de salaires. Des capitaux étrangers venaient s'investir en France en quantité importante et y chercher une sécurité que ce pays paraissait désormais en mesure de leur assurer.
L'amélioration du climat, sensible sur les marchés monétaires, se traduisait également par la disgrâce qui semblait devoir frapper l'or durablement, après la légère remontée de son prix constatée à la fin de 1989 et le coup de fièvre passager qui le portait même à 425 dollars en février 1990. Celui-ci en effet retrouvait, en juin 1990, son niveau le plus bas depuis quatre ans, à 353 dollars l'once.
Il faut dire que, sur ce point aussi, la déconfiture soviétique a joué un rôle, contraignant Moscou à vendre quelque 250 tonnes de son stock, estimé à 2 500 tonnes, pour se procurer des devises et payer les importations nécessaires aux besoins de subsistance élémentaires des Soviétiques. Cette crise de l'économie soviétique ne paraissant guère devoir être résolue à brève échéance, les marchés pouvaient à bon droit anticiper sur les ventes futures auxquelles l'U.R.S.S. serait contrainte pour longtemps encore.
La chute du prix du pétrole avait aussi pesé dans le même sens, en contraignant plusieurs pays producteurs du Moyen-Orient à vendre de l'or pour compenser la baisse de leurs recettes pétrolières.
Ce recul du prix de l'or – encore accentué par l'atonie du marché américain de la bijouterie, le plus important du monde –, commençait à avoir des répercussions sur l'activité des mines d'Afrique du Sud auxquelles le gouvernement devait accorder des subventions et dont la production connaissait un début de ralentissement.
Le risque d'un nouveau krach boursier
Telle était la situation en 1990 lorsque intervint, le 2 août, l'annexion du Koweit par l'Irak. Cet acte de guerre provoquait aussitôt une envolée du prix du baril de pétrole ainsi qu'une hausse du prix de l'or. Mais le dollar ne joua pas, du moins dans les premières semaines, son rôle habituel de valeur refuge, il continua au contraire à s'affaiblir, tandis que le yen reflétait la traditionnelle vulnérabilité de l'économie japonaise aux crises pétrolières.
Les États-Unis, dont la dépendance à l'égard du pétrole s'était sensiblement accrue depuis plusieurs années, au point de devenir les premiers importateurs du monde, se trouvaient ainsi particulièrement exposés.
Mais, contrairement à ce qui s'était passé lors des premiers chocs pétroliers, les détenteurs de capitaux et les cambistes firent preuve, durant l'été de 1990, de sang-froid et de réflexion. Après un accès de fièvre très momentané, les marchés des changes restèrent sur la réserve, ne parvenant pas à tirer toutes les conclusions d'un événement aussi brutal qui survenait dans un monde déjà par lui-même très nouveau : l'U.R.S.S. condamnait le coup de force de Bagdad dans les mêmes termes que les États-Unis, ce qui constituait un élément pour le moins inédit et rassurant.
Les premiers chocs pétroliers étaient intervenus, en outre dans une conjoncture déjà marquée par une forte inflation, une active spéculation financière, un grand désordre monétaire. Tel n'était pas le cas cette fois, puisque l'économie américaine donnait des signes répétés d'essoufflement, tandis que la concertation internationale avait montré son aptitude, depuis plusieurs années, sinon à maîtriser du moins à minorer les aléas des marchés monétaires.
Enfin, le dollar restait affecté, aux yeux des opérateurs, par les discussions budgétaires délicates en cours à Washington entre la Maison-Blanche et le Congrès, l'ampleur croissante du désastre financier subi par les caisses d'épargne, la fragilité de nombreuses banques, le ralentissement de l'économie et la reprise du chômage. Nouvel élément d'inquiétude : le poids économique et financier de l'opération militaire dite « bouclier du désert » au Moyen-Orient. La chute des cours des valeurs mobilières à Wall Street comme à Tōkyō, et finalement sur toutes les grandes places mondiales, traduisait l'inquiétude des milieux économiques et suscitait chez certains d'entre eux la crainte d'un nouveau krach boursier.
En fait, les marchés des changes dissimulaient mal leur nervosité et leur anxiété. L'inquiétude suscitée par la fragilité de plusieurs banques américaines contribuait à entretenir ce climat et à affaiblir le dollar.
En attendant d'y voir plus clair sur la situation dans le Golfe, et, si possible, sur l'état de l'économie américaine, les opérateurs délaissaient le dollar et achetaient en masse quelques valeurs qui leur paraissaient limiter les risques : à la fin d'août, le franc suisse atteignait son plus haut niveau historique vis-à-vis du dollar, et la livre sterling franchissait le seuil, jugé satisfaisant pour l'adhésion de la livre au S.M.E., des 3 deutsche Mark.
Les cours de l'or, poussés par la crise du Moyen-Orient au-dessus de 400 dollars l'once, semblaient néanmoins devoir plafonner, malgré de vives fluctuations enregistrées d'une semaine à l'autre.
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Écrit par
- Régis PARANQUE : directeur de cabinet du président du Conseil économique et social.
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