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CHICAGO ÉCOLE DE, sociologie

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Les grandes enquêtes sur Chicago

L'union de la théorie écologique et de l'observation empirique de la grande ville put s'opérer à Chicago grâce à l'impulsion donnée aux sciences sociales par les fonds de la fondation Rockefeller à partir de 1923. Les administrateurs de celle-ci et les dirigeants de l'université partageaient la conviction que l'enseignement de ces disciplines restait trop individuel et livresque. Pour en faire de véritables sciences, il était nécessaire à leurs yeux de lancer des programmes collectifs de recherche, d'orienter les sciences sociales vers l'étude des problèmes sociaux et de durcir leurs méthodes empiriques. Burgess et Park surent profiter de cette conjoncture pour lancer une vaste série d'enquêtes sur Chicago et ses communautés locales : jusqu'en 1930 environ, ce fut un « âge d'or ». Placée sous la bannière d'un ouvrage-manifeste publié en 1925 (The City), la « sociologie urbaine » dont ils se réclamèrent quelque temps visait à analyser « l'habitat naturel de l'homme civilisé » – la grande ville. Ils caractérisaient celle-ci par la concurrence pour l'espace des activités et des groupes dans un cycle désorganisation-invasion-réorganisation et par l'affaiblissement des groupes primaires (famille, église, communauté locale) et du contrôle social que ceux-ci exerçaient. Cela entraînait à la fois des phénomènes pathologiques de désorganisation sociale, l'émergence d'un individu nouveau souffrant de conflits de normes mais libéré des rôles assignés, la reconstruction, enfin, de nouvelles institutions de contrôle social, cette fois à distance (l'opinion publique et la presse, l'association professionnelle). La figure de l'« homme marginal », détaché de son groupe d'origine sans être intégré à la culture dominante, fut une des constructions de Park les plus discutées, grâce à sa reprise par Everett V. Stonequist (1937).

Les groupes en concurrence pour l'espace étaient, pour la plupart, des colonies d'immigrants couramment décrites en termes de race ou d'ethnie. Avec les émeutes contre les noirs à Chicago (1919) et le racisme anti-japonais en Californie, la question des « relations entre races » donna lieu à des commandes à Park et à ses élèves. Ceux-ci récusaient la théorie biologique de l'inégalité des races qui prévalait alors, pour regarder les races comme le résultat d'une perception mutuelle entre des groupes dont les relations étaient donc susceptibles d'évoluer. Park appliqua à ces questions une théorie du cycle des interactions sociales, qui comprenait quatre phases : la concurrence, le conflit, l'ajustement et l'assimilation. Si l'assimilation était à ses yeux souhaitable et probable, certains de ses élèves, comme l'afro-américain Franklin Frazier (1894-1962) observaient plutôt un développement séparé des noirs et l'apparition d'une conscience de race.

La notion de désorganisation sociale permettait aussi de donner une explication aux phénomènes de criminalité et de délinquance. Les bandes de jeunes (ou gangs) étaient une réponse à la désorganisation (Frederic Thrasher, 1927) : le groupe offrait un substitut à ce que la société ne savait plus donner et, dans l'interaction avec d'autres groupes hostiles et avec la police, il se transformait en un gang doté d'une morale commune et d'un système de rôles sociaux. Le modèle urbain des zones concentriques de Burgess, et notamment sa « zone de transition » ou « de détérioration », offrait une explication écologique à la distribution spatiale des bandes de jeunes, mais aussi à celle de la criminalité organisée (John Landesco, 1929) ou de la délinquance juvénile (Clifford Shaw et autres, 1929). Des récits autobiographiques collectés auprès de voleurs[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Christian TOPALOV. CHICAGO ÉCOLE DE, sociologie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 30/08/2023

Autres références

  • LA TRADITION DE CHICAGO (J.-M. Chapoulie)

    • Écrit par
    • 1 086 mots

    Les recherches empiriques en sciences sociales et, plus précisément, le « travail de terrain », ont eu aux États-Unis pour centre et pour cadre ce qu'il est convenu d'appeler l'école de Chicago. Robert E. Park, Ernest W. Burgess, Roderick D. McKenzie, cosignataires de The City...

  • ANTHROPOLOGIE DES CULTURES URBAINES

    • Écrit par
    • 4 429 mots
    • 3 médias
    ... d’immigrés inventait une « société du coin de la rue » (pour reprendre le titre de l’essai de William F. Whyte, 1943). Les chercheurs de la première école de Chicago ont développé une approche écologique de la mosaïque urbaine qui a pris le contre-pied des théories racialistes de l’époque,...
  • ANTHROPOLOGIE URBAINE

    • Écrit par
    • 4 898 mots
    • 2 médias
    ...interactions urbaines qui s’offrent à lui ; « l’étranger » (Simmel, 1908), caractérisé par sa mobilité et sa situation marginale dans la société d’accueil. L’influence de Simmel sera importante chez les sociologues de l’école de Chicago qui le traduiront dès les années 1930 et reprendront certains de...
  • BECKER HOWARD S. (1928-2023)

    • Écrit par
    • 922 mots
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    Le sociologue américain Howard Saul Becker, né le 18 avril 1928 à Chicago et mort le 16 août 2023 à San Francisco, affichait souvent un sourire ironique dont on ne savait s'il s'adressait aux autres, à lui-même ou à la vie. De ce personnage non conformiste, une biographie officielle mettrait pourtant...

  • BURGESS ERNEST W. (1886-1966)

    • Écrit par
    • 688 mots
    • 1 média

    Le sociologue Ernest Burgess est l'un des principaux représentants de l'école de l'écologie humaine qui s'est constituée au début du xxe siècle à l'université de Chicago. Né au Canada, Burgess passe sa jeunesse dans le Middle West et fait ses études supérieures à Chicago...

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