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COUTUMIER DROIT

Le droit coutumier comme droit

Dans les sociétés modernes où existe, théoriquement du moins, une séparation tranchée entre le juridique d'une part, et le social non juridique, d'autre part, le droit coutumier devrait, semble-t-il, pouvoir se reconnaître à la matière qu'il régit. Une coutume intervenant en matière de mariage, de succession, de contrats commerciaux ou de rapports entre les pouvoirs publics serait droit coutumier, alors qu'un usage mondain, une habitude vestimentaire ou les règles d'un jeu seraient qualifiés de coutume non juridique (la seconde pouvant n'être pas moins contraignante que le premier). Toutefois, le critère tiré de la matière ne peut être retenu, même dans les sociétés modernes. Car une matière normalement juridique peut être régie en partie par des coutumes non juridiques : il suffit d'évoquer les rites populaires ou corporatifs de mariage, si rigoureusement observés par certaines catégories sociales. Le critère est a fortiori inopérant dans les sociétés traditionnelles où règne une indistinction parfois totale entre les différents secteurs de la vie sociale ; les coutumes y sont alors, à la fois, usages sociaux, règles morales, impératifs religieux et normes juridiques ; il est cependant évident que, pour les intéressés, elles constituent un ensemble homogène et indissociable, de qualification incertaine.

Néanmoins, le juriste et même l'ethnologue peuvent tenter une discrimination.

Respect de la coutume

Si la coutume est spontanément suivie, le phénomène relève essentiellement d'une étude sociologique, et l'on y verra un fait social. La qualification de « juridique » (ou « non juridique ») impliquerait la possession d'un critère sûr de la « juridicité » ; or, même dans les systèmes juridiques qui distinguent le droit des autres règles de la vie sociale, parmi tant de critères proposés pour tracer les frontières, il n'en est guère qui s'appliquent à l'analyse des attitudes naturellement conformes à la norme, des relations paisibles entre les hommes. L'existence du droit paraît liée à la possibilité de sa violation, et ainsi la coutume qui serait le plus incontestablement coutume, selon l'opinion courante, est aussi celle où l'on aurait le moins de raisons de voir du droit coutumier. Le phénomène présenterait néanmoins l'intérêt, immense, de rappeler au juriste (aux visées étroites, ou au contraire totalitaires) que les gens heureux n'ont pas besoin du droit...

Si, à présent, on suppose un conflit, une violation prétendue de la coutume, on devrait être à même de discerner le droit coutumier. Mais, à cet égard, il faut commencer par faire une distinction. Dans la plupart des sociétés modernes, on tend à considérer qu'est juridique la règle qui est juridiquement sanctionnée. Or, la sanction juridique serait celle qui se caractérise par la spécialisation d'un organe (d'ordinaire un juge) ayant pour fonction de la prononcer, et par son automaticité : par suite de la déformation déjà signalée qui pousse à privilégier les aspects conflictuels, contentieux et pathologiques de la vie sociale, la règle de droit en général, et donc la règle de droit coutumier, est considérée comme étant moins celle (dite primaire) qui impose une conduite, que celle (dite secondaire) qui attache une sanction à la violation hypothétique de la règle primaire ; la violation effective de cette dernière est donc la réalisation de l'hypothèse, qui appelle naturellement le prononcé de la sanction. Les critères du droit coutumier sont alors d'ordre purement formel. Dans les sociétés traditionnelles, en revanche, le droit, et au premier chef le droit coutumier, serait plutôt conçu comme un ensemble de règles primaires qui doivent être suivies (cf. M. Gluckman) ; c'est leur respect et non leur violation qui est l'objet des préoccupations et, lorsqu'une violation[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de l'université de Madagascar

Classification

Pour citer cet article

Annie ROUHETTE. COUTUMIER DROIT [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • APANAGE

    • Écrit par Jacques LE GOFF
    • 3 155 mots

    Le terme « apanage » (du latin médiéval apanare, donner pour le pain, donner de quoi vivre) et la réalité juridique qu'il définit proviennent du droit privé médiéval. Il désignait à l'origine, dans certaines régions où le droit d'aînesse excluait de la partie essentielle de l'héritage les fils...

  • CIVIL DROIT

    • Écrit par Muriel FABRE-MAGNAN
    • 9 077 mots
    Vers le milieu du xiiie siècle cependant, la France est encore largement un pays de coutume. Dans le Sud, dit pays de droit écrit, cette coutume s'inspire surtout du droit romain. Un important domaine est réservé au droit canonique, notamment en matière de mariage, de filiation ou de testament, droit...
  • CODE CIVIL ALLEMAND (Bürgerliches Gesetzbuch)

    • Écrit par Jacqueline BARBIN
    • 602 mots

    Le Bürgerliches Gesetzbuch (Code civil allemand), qui entra en vigueur dans l'Empire allemand en 1900, a été appliqué dans la République démocratique allemande jusqu'à l'unification.

    Ce Code est divisé en cinq parties. La première est générale et définit les concepts relatifs...

  • CODIFICATION

    • Écrit par Guy BRAIBANT
    • 6 903 mots
    • 1 média
    Dès 1453, l'ordonnance de Montils-lès-Tour décrétait la rédaction des coutumes des diverses régions ; c'était la mise en forme de règles d'usage, en principe sans modification. Plusieurs centaines de coutumiers furent ainsi élaborés et publiés. Au siècle suivant, selon des demandes formulées lors des...
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Voir aussi