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DRAME Les écritures contemporaines

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Le lieu de la question

Le refus du « bel animal » et d'une dramaturgie du conflit (événementiellement, fabulairement limitée) remonte à la fin du xixe siècle : Peer Gynt d'Ibsen, en s'appuyant sur le genre limite de la féerie, puis Le Chemin de Damas de Strindberg, en s'en détachant, reprennent l'expérience du Faust de Goethe consistant à aborder au théâtre la vie à la fois comme totalité et comme fragment. Est ainsi inaugurée une dramaturgie moderne du moi errant, en quête du sens de sa présence au monde. Dramaturgie qui se poursuit, au xxe siècle, à travers En attendant Godot – où le voyage devient immobile – et une pléiade d'œuvres, de celles déjà évoquées de Handke, Strauss, Kroetz jusqu'aux récentes pièces d'un Gregory Motton... telle cette Terrible Voix de Satan (1994) dont le protagoniste, Tom Doheny, « une figure de conte populaire », est littéralement explosé : à la fois un et multiple, grotesque et tragique, picaresque et sacré, bref, rhapsodique au dernier degré.

<em>L’Acte inconnu</em>, V. Novarina - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Bridgeman Images

L’Acte inconnu, V. Novarina

Pour embrasser cette totalité qui n'en finit pas de se désintégrer, Strindberg a inventé naguère une dramaturgie à contre-vie et à contre-drame, une dramaturgie de la rétrospection – ou, comme diront les expressionnistes, une « dramaturgie de l'agonie ». Ce principe rétrospectif et testamentaire se retrouve dans les dernières œuvres de Beckett (Cette fois, 1974, Solo, 1980) et, sous des avatars multiples, d'Herbert Achternbusch à Marguerite Duras, en passant par Philippe Minyana et Valère Novarina, à chaque fois qu'une vie entière se dévide sur scène, mort et naissance se nouant en un « même instant ». C'est ainsi que, sous la forme explicite d'un récit de vie théâtralisé (Ella d'Achternbusch, 1978 ; Inventaires de Minyana, 1987) ou sous celle, plus implicite et plus condensée, d'un « jeu de rêve » (Si l'été revenait d'Adamov, 1978) ; Calderón de Pasolini, 1973), les écritures dramatiques contemporaines enserrent le plus vaste et le plus indéfini dans l'espace étroit du théâtre. Car c'est dans cette opération de compression ou de condensation que l'existence la plus ordinaire peut accéder au mythe alors même que le mythe vient jouer son propre épuisement dans l'ornière de la vie quotidienne.

Dans ce paysage intellectuel, la dramaturgie de Thomas Bernhard prend une place singulière : théâtre testamentaire – du Réformateur, du Faiseur de théâtre, 1984, d'Emmanuel Kant (1978) – où l'adresse au spectateur et l'imprécation se combinent avec une intersubjectivité exacerbée, où le grotesque s'entrelace avec le tragique de l'histoire et de la pensée. Théâtre foncièrement itératif et comique, théâtre de la répétition, pour reprendre cette catégorie kierkegardienne et nietzschéenne que Gilles Deleuze oppose au théâtre hégélien de la représentation.

Sous l'influence de Duras, le théâtre de Jean-Luc Lagarce, tout spécialement sa dernière pièce, Le Pays lointain (1995), s'inscrit dans cette perspective testamentaire : autour de Louis, promis à la mort, la présence incarnée ou réduite à des voix (« Un garçon, tous les garçons », « Le guerrier, tous les guerriers ») – la forte choralité des dramaturgies immédiatement contemporaines – des figures qui ont marqué sa vie et des membres de sa famille (« Le Père, mort déjà », « La Mère », « Antoine, le frère de Louis »). Comme une longue veillée funèbre ou comme cette cérémonie dans laquelle Jean Genet, dans L'Étrange Mot d'..., voyait l'essence du théâtre : « Avant qu'on enterre le mort, qu'on porte jusqu'au devant de la scène le cadavre dans son cercueil ; que le mime funèbre qui précédait le cortège se dédouble, se multiplie ; qu'il devienne troupe théâtrale et qu'il fasse, devant le mort[...]

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Jean-Pierre SARRAZAC. DRAME - Les écritures contemporaines [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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Edward Gordon Craig, vers 1960 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Edward Gordon Craig, vers 1960

<em>L’Acte inconnu</em>, V. Novarina - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Bridgeman Images

L’Acte inconnu, V. Novarina

Autres références

  • ADAMOV ARTHUR (1908-1970)

    • Écrit par
    • 1 134 mots

    Auteur dramatique français d'origine russo-arménienne, Arthur Adamov a vécu une enfance entre deux mondes. Né à Kislovotsk (Caucase), il passe ses premières années à Bakou ; ses parents possèdent « une bonne partie des pétroles de la Caspienne ». Surprise en Allemagne par la déclaration de la Première...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par , , , , , et
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    • 30 médias
    ...jaillissent d'un dialogue souvent décousu ou d'une déclaration retentissante) aboutit chez Shakespeare à la sérénité du chef-d'œuvre, particulièrement dans les drames majeurs. Car le drame shakespearien est inégal, et ses faiblesses sont plus irritantes, sans doute, à cause de son génie même, ainsi le sublime...
  • AUTO SACRAMENTAL

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    Cette symbiose du théâtre sacré et du théâtre profane a valu au genre eucharistique un grand éclat littéraire et des moyens techniques inespérés pour des spectacles de plein air. À des dramaturges qui étaient presque tous des prêtres, la « quadruple interprétation » traditionnelle de l'Écriture offrait...
  • AUTRICHE

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    ...(1731-1764) combine l'ancienne farce et la féerie avec la comédie littéraire, française ou italienne. Karl Friedrich Hensler (1759-1825) amalgame le drame bourgeois sentimental et le drame de chevalerie. Emanuel Schikaneder (1751-1812), auteur du livret de La Flûte enchantée, Joachim Perinet (1763-1816),...
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