CHOSTAKOVITCH DMITRI (1906-1975)
Les années terribles
Désormais, la vie du musicien sera marquée par une alternance entre les plus hautes récompenses et de nouveaux rappels à l’ordre. Le retour définitif de Prokofiev en URSS, dans les années 1930, contraint Chostakovitch à partager avec lui sa place de chef de file de la musique soviétique. En 1941, sa S ymphonie no 7 L e ningrad op. 60, interprétée l’année suivante aux États-Unis par Toscanini, lui vaut rapidement une célébrité mondiale et devient l’emblème musical de l’opposition au nazisme. Le thème de l’invasion du premier mouvement, se répétant à la manière du Boléro de Ravel, à mesure que l’instrumentation se charge, donne la sensation d’un rouleau compresseur dont la progression envahit tout l’espace. C’est dans sa S ymphonie no 8 op. 65 (1943) que la tragédie que l’URSS et le monde sont en train de vivre trouve son expression la plus forte, en particulier dans la « toccata de la mort » de son deuxième mouvement. En revanche, en 1945, alors qu’on attend de lui une grande symphonie victorieuse avec chœur qui deviendrait l’équivalent soviétique de la Neuvième Symphonie de Beethoven, Chostakovitch prend le risque de tourner la célébration en dérision, en concluant sa S ymphonie no 9 op. 70 sur un mouvement d’une ironie désinvolte.
Les années de guerre sont aussi celles, en 1942, de la Sonate pour piano no 2 op. 61, de l’opéra inachevé Les Joueurs, d’après une comédie de Gogol, de Six R omances sur des vers de poètes anglais op. 62, et en 1944 du grand Trio pour piano, violon et violoncelle op. 67 à la mémoire du musicologue Ivan Sollertinski, qui avait exercé une forte influence sur ses choix musicaux. Alors que Chostakovitch semble définitivement rentré en grâce, après avoir reçu entre 1941 et 1946 plusieurs prix d’État pour ses œuvres, le manifeste « antiformaliste » d’Andreï Jdanov, commissaire du peuple à la Culture, lance en 1948 une nouvelle vague de dénigrement et de menaces contre des artistes jugés esthétiquement trop déviants. Ce mouvement est relayé par Tikhon Khrennikov, devenu le tout-puissant secrétaire général de l’Union des compositeurs soviétiques. Chostakovitch se retrouve en première ligne des accusés, avec Prokofiev, Miaskovski, Khatchaturian, entre autres. À nouveau contraint de s’amender, il écrit en 1949 la cantate patriotique Le Chant des forêts op. 81, dans un langage tonal et mélodique convenu. Son C oncerto pour violon no 1 op. 77, composé en 1947 et dédié à David Oïstrakh, attendra jusqu’en 1955 avant d’être créé. Quant au cycle vocal Extraits de la poésie populaire juive op. 79 (1948), il confirme son empathie pour la cause des Juifs de Russie et son hostilité à un antisémitisme d’État qui se dissimule derrière la stigmatisation du « cosmopolitisme ». En 1950, les festivités du bicentenaire de la mort de J.-S. Bach inspirent les 24 Préludes et Fugues pour piano op. 87, cycle qui constitue une première dans la musique russe.
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Écrit par
- André LISCHKE : docteur en musicologie, maître de conférences à l'université d'Évry, retraité
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Pour citer cet article
André LISCHKE, « CHOSTAKOVITCH DMITRI (1906-1975) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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Dmitri Chostakovitch, Mstislav Rostropovitch et Guennadi Rojdestenvski
Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty
Dmitri Chostakovitch, Mstislav Rostropovitch et Guennadi Rojdestenvski
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