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CRISE DES SUBPRIMES

La très grande majorité des économistes ont vu dans la crise qui a débuté en 2007 un dysfonctionnement majeur de la sphère financière, lié à un déficit de régulation, à la prolifération des produits dérivés et de la titrisation, à l'irresponsabilité des agences de notation, et au système pervers de rémunération des dirigeants et des traders. Cette crise s'est en effet déclenchée dans le système financier des États-Unis, sur le marché des subprimes, et s'est ensuite propagée dans le monde par des mécanismes financiers. Pourtant, une analyse approfondie montre que, beaucoup plus que d'une crise financière, il s'agit d'une crise globale et systémique, dont les ressorts se trouvent au cœur même du capitalisme et de la mondialisation. Il convient donc d'aller au-delà d'une lecture purement financière et conjoncturelle de cette crise.

Avant de procéder à une analyse approfondie de la crise des subprimes et d'en tirer les leçons, il est utile d'en retracer les différentes phases et les principaux mécanismes, ce qui permettra de comprendre comment nous sommes passés d'une crise immobilière née aux États-Unis à une crise financière internationale, puis à une crise économique à l'échelle mondiale.

Les quatre phases de la crise

La crise débute par un effondrement du marché de l'immobilier des États-Unis à partir de l'été de 2007. De 1996 à 2006, le prix de l'immobilier résidentiel a triplé. Cette bulle immobilière a explosé à partir de 2007 avec l'augmentation des taux de défaut de remboursement des prêts par les ménages. Ce retournement brutal a été provoqué par le changement de cap de la politique monétaire de la banque centrale des États-Unis, la Réserve fédérale (la Fed). Depuis 2001, en réaction à l'éclatement de la bulle Internet et aux attentats du 11 septembre, la Réserve fédérale menait une politique monétaire très accommodante se traduisant par une forte baisse des taux d'intérêt. De nombreux ménages en ont profité pour s' endetter à des conditions qui semblaient alors avantageuses. Mais ceux qui ont emprunté à taux variable subissent de plein fouet la remontée des taux d'intérêt décidée à partir de 2004 par la Fed pour freiner la bulle immobilière. Une spirale négative se produit alors, qui correspond à la première phase de la crise : la hausse des taux d'intérêt met les ménages en difficulté, ceux-ci ne pouvant plus faire face à la charge de leur dette. Les défaillances touchent plus particulièrement le marché des crédits subprimes, crédits immobiliers proposés à des ménages vulnérables, à faibles revenus et déjà endettés, qui ne présentent pas les garanties financières suffisantes pour accéder aux emprunts normaux, dits primes. Ce type de crédit s'est fortement développé aux États-Unis, passant de 35 milliards de dollars en 1994 à 600 milliards en 2006, ce qui représentait 10 p. 100 de la dette hypothécaire américaine et concernait 6 millions de ménages. En juin 2007, 17 p. 100 de ces ménages étaient défaillants, et un grand nombre d'entre eux ont été expulsés par les créanciers désireux de revendre leurs maisons pour se rembourser, ce qui a précipité l'effondrement du marché immobilier.

Deux séries de facteurs ont contribué à cette situation. En premier lieu, les règles qui protégeaient les emprunteurs surendettés ont été supprimées, dans le cadre des politiques de déréglementation menées par les pouvoirs publics. En second lieu, des techniques financières sophistiquées ont été utilisées par les banques américaines pour diminuer leurs risques. La principale est la titrisation, qui permet aux banques de transformer en titres les crédits risqués, pour les vendre ensuite sur les marchés financiers (ce sont les Mortgage Backed Securities, ou M.B.S.). En recourant massivement à la titrisation, les banques américaines ont transféré à d'autres acteurs dans le monde entier une grande partie des risques qu'elles prenaient. C'est ainsi que la crise immobilière née aux États-Unis est devenue, dans une seconde phase, une crise financière internationale.

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Les banques subissent d'importantes pertes, particulièrement aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne, pays où les bulles immobilières sont les plus importantes. L'ensemble des pertes subies par les banques dans le monde est estimé par le Fonds monétaire international à 700 milliards de dollars en octobre 2008. Ces pertes sont dues principalement aux défaillances des emprunteurs et à la dévalorisation des actifs créés en contrepartie des dettes immobilières des ménages américains. Les banques doivent faire face à une crise de liquidités : elles ne trouvent plus les financements à court terme pour faire face à leur activité quotidienne, ce qui oblige les banques centrales à leur prêter en urgence des montants considérables. Les gouvernements interviennent également pour renflouer les banques en difficulté, afin d'éviter une crise systémique, c'est-à-dire un effondrement global du secteur bancaire. Plusieurs centaines de petites banques font néanmoins faillite aux États-Unis. Mais la faillite la plus retentissante est celle de la cinquième banque d'affaires américaine, Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, journée qualifiée de « lundi noir », car elle a entraîné une panique sur les marchés financiers conduisant à une baisse des cours de l'ordre de 30 p. 100. La crise déborde alors largement le cadre de la finance et se répercute lourdement sur l'activité économique à l'échelle internationale, ce qui conduit à la troisième phase de la crise. La plupart des pays développés enregistrent un fort ralentissement économique en 2008 et sont en récession en 2009 avec des taux de croissance négatifs. La crise économique se propage aux pays émergents et en développement dont certains sont fortement dépendants des exportations à destination des pays développés.

La quatrième phase de la crise prend la forme d'une crise des dettes publiques. Les finances publiques des principaux pays industrialisés se sont en effet fortement dégradées à la suite des politiques de sauvetage des banques et de soutien à l'activité économique. C'est ainsi, par exemple, que le ratio dette/P.I.B. a augmenté de 60 p. 100 à 80 p. 100 en France et de 100 p. 100 à 160 p. 100 en Grèce de 2008 à 2011. La crise de la dette privée, qui est à l'origine de la crise financière, a été « socialisée » par les gouvernements et s'est transformée en crise de la dette publique. Le paradoxe est que ce sont les acteurs financiers (banques, agences de notation...), largement responsables de la crise financière par leur mauvaise gestion des risques, qui ont joué un rôle moteur dans la crise de la dette publique, par leurs attaques spéculatives contre les pays endettés. Une fois sauvés par l'action des gouvernements, les acteurs financiers n'ont pas hésité à spéculer contre ces derniers, en prenant pour prétexte une hausse brutale de la dette publique dont ils sont responsables. La crise des dettes souveraines est particulièrement grave dans la zone euro où les pays les plus fragilisés par la crise économique et financière – Grèce, Irlande, Portugal – connaissent de graves difficultés qui ont révélé les insuffisances de la gouvernance et des politiques économiques dans l'Union économique et monétaire européenne. Les plans de sauvetage successifs décidés en 2010 et 2011 ne parviennent pas à endiguer la crise de la dette. De lourdes menaces pèsent sur l'avenir de la zone euro.

La crise des subprimes est ainsi devenue, en quatre phases successives, une crise globale qui va bien au-delà d'un dysfonctionnement du système financier. En réalité, il s'agit d'une crise de nature systémique qui prend ses racines au cœur même du capitalisme financier et mondialisé. Cette crise est multidimensionnelle – intellectuelle, financière, économique, écologique, sociale et politique. Chacune de ces six dimensions donne un fil conducteur pour tirer les principales leçons de la crise.

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Écrit par

  • : professeur émérite d'économie, université Sorbonne Paris-Nord

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Paul Krugman - crédits : D. Applewhite/ Princeton University Office of Communications

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