CONFORMATIONS, chimie
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Quels que soient la composition élémentaire d'une molécule organique et l'arrangement de ses divers atomes, formant des chaînes linéaires ou ramifiées aussi bien que des systèmes comprenant un ou plusieurs cycles, plusieurs impératifs doivent être satisfaits : les longueurs des liaisons et les angles que font ces liaisons entre elles sont, en effet, immuables et ne dépendent nullement des conditions, en particulier de température et de polarité, dans lesquelles la molécule se trouve.
Cette même molécule dispose, en revanche, d'une certaine déformabilité due à la libre rotation autour des liaisons σ (liaisons simples). Le jeu de celles-ci entraînera pour elle la possibilité de prendre toutes les formes spatiales possibles : il y en a une infinité pour tout composé organique saturé dont la chaîne possède au moins deux atomes de carbone. Ces divers arrangements non identiques de la molécule obtenus par rotation autour d'une ou plusieurs liaisons σ sont désignés par le terme de conformation.
Les atomes et groupements d'atomes dont cette molécule est composée vont, par des répulsions ou des attractions de type électrostatique, agir à distance les uns sur les autres. Ces interactions dépendent non seulement de l'importance de la densité électronique autour du noyau (deux atomes de brome apparaissent d'emblée plus susceptibles d'interagir que deux méthyles), mais aussi de leur disposition relative dans l'espace et, plus particulièrement, de la distance qui les sépare. Il s'ensuit que les diverses conformations d'une même molécule peuvent être énergétiquement très différentes et que celle-ci va tendre à assumer la ou les conformations de plus basse énergie, dite conformation privilégiée.
On peut, en général, définir une ou plusieurs conformations privilégiées que séparent parfois des différences d'énergie assez faibles pour que les molécules puissent les adopter simultanément. On considère alors que dans des conditions déterminées existe un équilibre, dit équilibre conformationnel, entre ces diverses formes d'énergie très voisines.
Cet équilibre est régi par les règles usuelles, et, en particulier, le pourcentage des divers conformères est déterminé par l'environnement de la molécule (polarité du solvant éventuel et concentration) et par les conditions de température.
Le but de l' analyse conformationnelle est donc de déterminer la ou les conformations privilégiées d'un composé et d'établir éventuellement l'existence d'un équilibre conformationnel, ainsi que la position de celui-ci suivant les conditions dans lesquelles se trouve la molécule.
La connaissance de ces diverses données peut être d'une aide certaine dans la détermination des structures de tout nouveau produit et d'une grande utilité pour prévoir et expliquer les propriétés chimiques et spectrales de tel ou tel composé.
Conformations des composés aliphatiques
Hydrocarbures
Le cas de l' éthane constitue un exemple simple, qui illustre bien les différents concepts exposés ci-dessus. La libre rotation autour de la liaison carbone-carbone entraîne l'existence d'une infinité de conformations. Parmi celles-ci, deux seulement sont remarquables : l'une, dite décalée (1), dans laquelle les atomes d'hydrogène du carbone (a) se projettent entre deux atomes d'hydrogène du carbone (b) ; l'autre, dite éclipsée (2), dans laquelle les atomes d'hydrogène du carbone (a) se projettent exactement sur leurs homologues du carbone (b).
Entre ces deux conformations existe, bien sûr, une infinité de positions des hydrogènes H(b) par rapport aux hydrogènes H(a) : toutes ces conformations ont des énergies potentielles différentes. La courbe de variation de cette énergie en fonction de l'angle α (dit angle de torsion), dont on fait tourner C(b) par rapport à C(a), servant d'origine, est représentée à la figure 1.
L'énergie potentielle de la molécule (V) a une valeur minimale lorsque celle-ci prend la conformation (1), puisque, dans ce cas, les hydrogènes H(a) et H(b) sont dans leur position du plus grand éloignement. Au contraire, sa valeur est maximale pour la conformation (2), dans laquelle la distance séparant les mêmes atomes est la plus courte possible. Cette énergie potentielle varie sinusoïdalement en fonction d'α (angle de torsion par rapport à la conformation décalée) : la variation de V peut s'exprimer avec une excellente approximation dans la relation V = V0(1 + 3cos α) / 2, où V0 est la différence d'énergie entre les deux conformations remarquables (1) et (2). Cette barrière d'énergie est de l'ordre de 12,5 kJ/mole. (1) est donc la conformation privilégiée de la molécule d'éthane. Cela ne veut pas dire que toutes les molécules prendront cette conformation, mais seulement qu'à un instant donné il y aura une plus grande probabilité de trouver l'éthane sous sa conformation (1).
L'existence d'une barrière d'énergie entre les deux conformations limites (1) et (2) est, en fait, une restriction à la libre rotation autour d'une liaison σ carbone-carbone. Ses causes exactes n'ont pas encore été clairement déterminées : trois interactions de Van der Waals entre hydrogènes dont l'interdistance minimale est de 0,23 nm ne pouvant conduire qu'à une différence d'énergie de 2,5 kJ/mole, d'autres raisons ont dû être invoquées et, notamment, le caractère purement sp3 de la liaison carbone-carbone a été mis en cause.
Le cas du n-butane (fig. 2) est un peu différent : en adoptant le même raisonnement que pour l'éthane (rotation autour de la liaison C — C centrale), on peut distinguer non plus deux, mais quatre conformations limites : (3), dans laquelle les deux méthyles se projettent l'un sur l'autre, est appelée conformation éclipsée ; (4), qui voit un méthyle se projeter sur un hydrogène, est dite pseudo-éclipsée. Les conformations décalées sont, elles aussi, au nombre de deux : (5), avec les deux méthyles « au plus loin », est désignée par conformation anti-, et (6), par conformation gauche. Un diagramme représentant la variation de l'énergie potentielle de la molécule en fonction de l'angle de torsion α peut, là encore, être tracé.
La faible différence d'énergie potentielle existant entre les conformations (5) et (6) fait que, en dépit du caractère privilégié de (5), le pourcentage de (6) à l'équilibre est loin d'être négligeable. On peut estimer qu'à la température ambiante le n-butane compte deux molécules sous la forme anti- pour une sous la forme gauche.
Le même raisonnement appliqué à chaque liaison carbone-carbone d'une chaîne hydrocarbonée linéaire conduit normalement à la conclusion que chaque structure « butane » de la molécule prendra préférentiellement une position anti- : cela confère à l'ensemble de la longue chaîne une conformation privilégiée, dite « en dents de scie », dans laquelle la molécule prend sa forme d'allongement maximal (fig. 2).
Dérivés halogénés
Ce type de composés se distingue des hydrocarbures par l'existence d'interactions beaucoup plus fortes dues au caractère très fortement polarisé des liaisons carbone-halogène. Un dérivé dihalogéné, comme le dichloroéthane, est, sous sa conformation gauche (7, dans le tableau 1), le siège d'une interaction dipôle-dipôle entre les deux liaisons Cδ+ — Clδ–. Cette interaction déstabilise (7) et, par comparaison avec le n-butane, la conformation anti- (8) sera nettement plus favorisée.
La polarité du solvant va de surcroît intervenir et l'équilibre conformationnel sera très différent suivant les cas (les formes les plus polaires sont, en général, plus stables dans un solvant lui aussi polaire) : à l'état gazeux et en solution dans les hydrocarbures, la forme anti- l'emporte nettement, mais, à l'état condensé ou en solution dans des solvants polaires, comme l'éthanol, la contribution de (7) peut devenir très notable : on considère qu'à l'état liquide la contribution à l'équilibre des deux conformations (7) et (8) est approximativement la même.
Pour des raisons identiques, la contribution de la forme gauche (10) du mésodibromo-1,2-butane à l'équilibre n'est pas négligeable : on estime sa participation à 30 p. 100 en phase liquide et à 20 p. 100 en solution dans le sulfure de carbone, la conformation privilégiée étant la forme anti(9), presque exclusivement présente dans des conditions apolaires.
Composés aliphatiques à liaison π : alcènes, aldéhydes et cétones
L'examen des cas les plus simples, ceux de l'éthanal et du propène, a révélé l'existence d'une conformation privilégiée, respectivement (11) et (12), dans laquelle l'oxygène ou le groupement méthylène éclipsent un hydrogène. Ce fait surprenant est à peu près général : dans le propanal, une conformation privilégiée (13), où un méthyle cette fois éclipse l'oxygène, a pu être démontrée. Ce résultat inattendu a été expliqué par l'existence d'une attraction entre les hydrogènes du carbone α et le dipôle Cδ+ — Oδ–.
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Écrit par
- Jacques GORÉ : Professeur à l'université Claude Bernard, Lyon.
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Autres références
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Voir aussi
- CIS CONFIGURATION
- TRANS CONFIGURATION
- SUBSTITUANT, chimie
- ANALYSE CONFORMATIONNELLE
- ÉQUILIBRE, chimie
- CYCLIQUES COMPOSÉS
- ÉTHANE
- BUTANE
- SIMPLE LIAISON
- GAUCHE CONFORMATION
- HALOGÉNÉS DÉRIVÉS
- LIBRE ROTATION, chimie
- NEWMAN PROJECTION DE
- CHAISE CONFORMATION
- BATEAU CONFORMATION
- ÉQUATORIALE LIAISON
- AXIALE LIAISON
- CROISÉE CONFORMATION
- CYCLOHEXANONES
- CÉTONES
- ALIPHATIQUES ou ACYCLIQUES COMPOSÉS
- DÉCALÉE CONFORMATION
- ÉCLIPSÉE CONFORMATION
- ANTI CONFORMATION
- CYCLOBUTANE
- CYCLOPENTANE
- VERSION, chimie organique
- ÉNERGIE POTENTIELLE
- DÉCALINE