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GLUCK CHRISTOPH WILLIBALD VON (1714-1787)

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Gluck au Burgtheater (1755-1770)

À la fin de 1752, Gluck s'installa dans la capitale autrichienne. Quelle que fût la nécessité de régénérer la musique dramatique dans la Vienne de Marie-Thérèse, c'est une raison politique qui en fit un haut lieu de l'opéra dans les années 1760. Un renversement des alliances favorable à la France fut en effet accompagné d'un changement d'orientation dans les spectacles de la ville, et le chancelier Kaunitz donna d'importantes responsabilités à un fin lettré, le comte Durazzo, Italien mais francophile, pour qu'il mît en œuvre cette nouvelle orientation esthétique. Durazzo fit du Burgtheater l'instrument privilégié de son entreprise, et Gluck se vit confier la responsabilité d'adapter au goût viennois des opéras-comiques directement importés de Paris ; non content de fournir des « airs nouveaux » à la troupe française de son théâtre, Gluck composa huit opéras-comiques de son cru, dont le dernier, La Rencontre imprévue (1764), constitue l'antécédent direct de L'Enlèvement au sérail de Mozart. Il fallut cependant attendre l'arrivée du poète et financier Raniero de Calzabigi, en 1761, pour que Durazzo trouve un librettiste à la hauteur de ses ambitions. Calzabigi était doublement qualifié pour cela, puisque non seulement il résidait à Paris au moment de la querelle des Bouffons (1752-1754), mais il connaissait mieux que personne les livrets de Métastase, dont il avait dirigé et préfacé l'édition parisienne de 1755. Le premier fruit de sa collaboration avec Gluck sera le balletDon Juan, ou le Festin de pierre (1761), auquel succéderont trois grands opéras de la réforme viennoise, Orfeo ed Euridice (1762), Alceste (1767) et Paride ed Elena (1770).

C'est à Calzabigi que revient la paternité de la célèbre préface d'Alceste, publiée en 1769, où sont exposés les principaux griefs du clan réformateur contre le dramma per musica de type métastasien : il fallait en finir avec les longues ritournelles orchestrales, les roulades vides de sens, la monotonie mécanique de la reprise da capo, le hiatus entre l'air et le récitatif, en un mot tout ce qui pouvait entraver la continuité de l'action dramatique. L'exigence d'une véritable symbiose de la musique et du texte se traduit par l'élaboration de grandes architectures tonales, à l'échelle de plusieurs scènes, l'intervention régulière du chœur et de la danse, enfin la subordination de tous les effets musicaux à un même dessein unificateur, toutes caractéristiques qui font des trois opéras de Calzabigi le parfait équivalent du courant néo-classique alors dominant dans le domaine des arts visuels. Le hiératisme et la force édifiante qui se dégagent de ces œuvres ne doivent cependant pas faire oublier qu'elles frappèrent les spectateurs du temps par la violence de leur charge expressive : la monumentalité des grandes scènes de lamentation n'exclut pas une extrême ductilité du discours musical, pour aboutir même à la fragmentation des « affects » qui conditionnaient jusqu'alors la rhétorique baroque. Là où Métastase et les compositeurs des années 1720-1760 s'en tenaient à une succession rigide d'airs indépendants, exprimant chacun un sentiment bien défini (la fureur, la tendresse, l'affliction, l'espérance, etc.), Gluck et Calzabigi instaurent une dialectique contrastée, où se succèdent sans solution de continuité des airs, des récitatifs et des chœurs, la subversion des schémas habituels allant jusqu'à l'éclatement de certains airs – « Io non chiedo » d'Alceste, par exemple – en plusieurs sections distinctes par leur tempo, leur profil thématique et leur texture orchestrale.

La postérité de la réforme gluckiste dans l'opéra italien du xviiie siècle finissant ne fut pas à la[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, chargé de recherche au C.N.R.S.

Classification

Pour citer cet article

Michel NOIRAY. GLUCK CHRISTOPH WILLIBALD VON (1714-1787) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 21/03/2024

Médias

Christoph Willibald von Gluck - crédits : Heritage Arts/ Getty Images

Christoph Willibald von Gluck

Christoph Willibald von Gluck - crédits : Archive Photos/ Getty Images

Christoph Willibald von Gluck

Autres références

  • ALCESTE (C. W. von Gluck), en bref

    • Écrit par
    • 226 mots

    Dès Orfeo ed Euridice en 1762, Christoph Willibald von Gluck affiche son ambition : réformer l'opéra. Sclérosé à ses yeux par un siècle d'opera seria italien dévolu à la virtuosité vocale et aux délices du bel canto, au détriment de la vérité dramatique, le genre a besoin d'être...

  • ORFEO ED EURIDICE (C. W. von Gluck)

    • Écrit par
    • 1 352 mots

    Cet Orphée fameux est une œuvre fondatrice qu'il est difficile d'appréhender sous un angle unique : Christoph Willibald von Gluck (1714-1787) en laissa deux versions distinctes : Orfeo ed Euridice, « azione teatrale », et Orphée et Eurydice, « drame héroïque » ; ces deux versions...

  • ALTO

    • Écrit par
    • 982 mots
    • 8 médias
    ...abandonné à des violonistes manqués. À l'orchestre, par sa position entre le violon et le violoncelle, il a longtemps tenu un rôle de « remplissage ». Christoph Willibald von Gluck sera le premier compositeur à donner à l'alto un rôle original, dans le récit d'Oreste d'Iphigénie en...
  • ANGIOLINI GASPARO (1731-1803)

    • Écrit par
    • 357 mots

    Chorégraphe, librettiste, compositeur et théoricien italien, Gasparo Angiolini fut l'un des premiers à mêler danse, musique et intrigue dans des ballets dramatiques.

    Né le 9 février 1731, à Florence, Gasparo Angiolini (de son vrai nom Domenico Maria Angelo Gasparini) devient en 1757 maître...

  • BERLIOZ HECTOR (1803-1869)

    • Écrit par
    • 4 247 mots
    • 3 médias
    ...bibliothèque du Conservatoire de musique (« École royale de musique » sous la Restauration), il peut étudier les partitions de ces opéras, notamment celles de Gluck, auquel Berlioz voue une admiration sans faille, comme le montrent ses efforts pour faire renaître Orphée en 1859 et Alceste en 1861 et 1866. Quand...
  • BOUFFONS QUERELLE DES

    • Écrit par
    • 1 976 mots
    Le grand vainqueur de la querelle des Bouffons fut, vingt ans après, Gluck. Le premier sur le plan dramatique, sans renier l'apport de Rameau, il apporta à la musique française, avec ses chefs-d'œuvre, les deux Iphigénie, Orphée, Alceste et Armide, ce qu'avaient réclamé les partisans d'un...
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