CHINOISE (CIVILISATION) La médecine en Chine

Depuis le début des années 1980, plusieurs facteurs ont conduit historiens et anthropologues à développer et renouveler le champ des études sur la médecine chinoise. D'une part, les travaux menés par les historiens ou philosophes, comme Foucault, sur la médecine européenne ont montré combien la médecine était un champ fécond pour l'histoire intellectuelle, sociale et politique d'une société donnée et ont ouvert des vocations. D'autre part, à la fin des années 1970, la reprise des activités de recherche dans les institutions intellectuelles chinoises et l'ouverture de la Chine et de ses bibliothèques aux chercheurs étrangers ont facilité le développement de la recherche. L'essor des publications tant en Chine qu'ailleurs s'est accompagné de problématiques nouvelles. En effet, il ne s'agissait plus pour les historiens de déceler dans la tradition médicale chinoise quelques éléments précurseurs pour une histoire compétitive des sciences, ni pour les médecins de promouvoir une médecine par rapport à une autre, comme ce fut souvent le cas des études menées jusqu'aux années 1970. L'objectif est désormais de comprendre, sur la base d'une analyse rigoureuse des textes ou grâce aux études ethnologiques de terrain, en quoi consistait la médecine pratiquée en Chine dans les temps anciens et ce qu'elle est dans la société contemporaine.

Les études historiques, philosophiques et anthropologiques qui ont donc vu le jour depuis le début des années 1980 ont contribué à lever le voile sur l'art médical en Chine, tel qu'il fut pensé, défini, enseigné et pratiqué depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Ce faisant, elles ont également mis en lumière les malentendus provoqués par la persistance en Chine d'une médecine « indigène », désignée de surcroît « médecine traditionnelle chinoise » (M.T.C., ou T.M.C. en anglais) depuis le milieu des années 1950. Cette dénomination, vraisemblablement choisie pour promouvoir en Chine mais aussi à l'étranger une certaine forme de la médecine, a longtemps contribué à diffuser l'image d'une médecine multimillénaire, sans rupture ni changement. Les nouvelles études ont mis en garde contre les effets illusoires de cet écrasement chronologique. La médecine, en Chine comme ailleurs, est un corpus de doctrines et de pratiques à la confluence des hommes, des maladies, du politique et de la culture. En Chine comme ailleurs, la médecine n'a jamais constitué un tunnel clos sur lui-même qui aurait traversé, intact, les âges, mais elle est un ensemble de doctrines et de pratiques soumises à des dynamiques internes et externes qui en modifient sans cesse les limites. Ce qui, à certaines époques, est hissé au rang de connaissances et de pratiques médicales officielles, peut être relégué, à d'autres époques dans la sphère de l'hétérodoxie et inversement. Le soutien que reçurent de la part des élites, à différentes périodes, les systèmes philosophiques en Chine – confucianisme, légisme, taoïsme, bouddhisme –, les modèles d'ordre social que celles-ci voulurent ériger ont considérablement influencé et façonné les représentations liées à la maladie et à ses traitements.

Maladies et thérapeutiques dans l'Antiquité chinoise : du modèle explicatif divin aux lois de la nature

Les plus anciens témoignages que nous ayons sur les conceptions des maladies et de leurs traitements sont des inscriptions sur carapaces de tortue, issues des divinations, pratiquées du xie au viiie siècle avant J.-C., dans la vallée du cours moyen du Huanghe (fleuve Jaune), au nord-est de l'actuelle province du Henan. L'examen de ces sources archéologiques laisse entrevoir une certaine forme de culture de la santé et de la maladie. La maladie y est comprise comme la vengeance d'ancêtres défunts mal honorés, les morts et les vivants constituant alors une communauté unique fondée sur des liens de dépendance réciproque. À cette représentation des maladies répondent les pratiques sacrificielles destinées à rétablir l'harmonie entre morts et vivants. « Sévères maux de dents ? Faut-il tuer un chien et l'offrir au père Keng défunt et sacrifier un mouton ? », peut-on lire sur un oracle inscrit sur carapace de tortue.

Les conceptions de l'origine des maladies changent au milieu du 1er millénaire avant notre ère, sous la dynastie des Zhou (xiie-iiie s. av. J.-C.). Si les ancêtres défunts sont toujours perçus comme les acteurs essentiels de l'heureuse ou de la mauvaise fortune des vivants, ceux-ci avoisinent désormais tout un monde de démons dangereux, responsables, entre autres, des maladies. L'origine démoniaque des maladies est peut-être liée à la croyance qui prend forme à cette époque selon laquelle l'homme est habité par deux sortes d'âmes, les trois âmes hun et les sept âmes po. Quand arrive l'heure de la mort, ces âmes se séparent. Les âmes po restent auprès du corps tandis que les âmes hun s'en échappent et peuvent errer sur terre, devenant des sortes d'âmes mendiantes capables de s'attaquer aux vivants. Mais la croyance en l'attaque de démons, et donc d'éléments extérieurs à la communauté des hommes, reflète aussi sûrement le climat d'insécurité qui prévaut dans les derniers siècles des Zhou, marqués par le morcellement du pouvoir royal et l'émergence de royaumes concurrents se livrant à des guerres incessantes. Dans cette période, dite des Royaumes combattants, les individus comme les États sont soumis aux agressions extérieures. Cette conception nouvelle de l'origine de la maladie a pour corollaire des pratiques destinées désormais à exorciser le malade, comme les incantations. Elles sont l'apanage du wu, sorte de chaman supposé détenir des pouvoirs magiques lui permettant de modifier le cours des choses, comme apporter la pluie, arrêter le vent ou écarter les démons pathogènes.

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Tandis que les guerres incessantes s'estompent et que s'établit un empire, sous l'égide de royaumes plus puissants que les autres, les Qin (221-206 av. J.-C.) puis les Han (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.), l'origine démoniaque de la maladie perd progressivement sa place au profit d'une compréhension nouvelle. Les textes écrits alors témoignent de l'émergence d'une culture de la santé différente, laquelle s'inscrit dans une perception nouvelle du monde. Les hommes sont convaincus que le monde qui les entoure est pénétré et gouverné par des lois naturelles compréhensibles. Ces lois qui régulent la génération, la transformation, la disparition des choses comme leurs interactions sont, aux yeux des Chinois, fondées sur des principes allant par deux ou par cinq qu'ils ont appelés Yin et Yang et Wuxing (Cinq Agents). Bientôt unis en un seul paradigme, le Yinyang wuxing sera largement et durablement utilisé par les Chinois pour rendre compte des phénomènes visibles et invisibles qui les entourent, du fonctionnement régulier de l'univers et de l'un de ses composants, l'homme.

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Écrit par

  • : chargée de recherche au CNRS, REHSEIS, Laboratoire SPHERE, CNRS, UMR 7219, université de Paris-VII-Denis-Diderot

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Médias

Médecin chinois, XIX<sup>e</sup> siècle - crédits : Spencer Arnold/ Hulton Archive/ Getty Images

Médecin chinois, XIXe siècle

Acupuncture - crédits : Fox Photos/ Hulton Archive/ Getty Images

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