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PERRAULT CHARLES (1628-1703)

Les « Contes » : leur succès et leurs problèmes

Charles Perrault est-il le créateur de la littérature pour la jeunesse, comme on le dit souvent ? Il faut noter d'abord qu'au xviie siècle les enfants ne constituent pas un public distinct ; la littérature enfantine n'est pas un genre attesté, sauf peut-être dans le secteur de l'art oral, où les contes d'avertissement, certaines histoires d'animaux et certaines formulettes renvoient à ce type d'auditoire. Signalons aussi que l'orientation pédagogique de Perrault est tardive. Elle semble avoir été déclenchée par une polémique avec Boileau au sujet de l'art moral et des femmes. Perrault écrit Griselidisen 1691, d'après Boccace et d'après un livret de colportage fort répandu, pour protester contre La Matrone d'Éphèse de La Fontaine et pour célébrer la fidélité et la patience dont les femmes sont capables. Cette longue nouvelle est suivie de deux autres, également en vers, Les Souhaits ridicules et Peau-d'Âne. Ces trois contes, regroupés en 1694, s'enrichissent en 1695 d'une préface qui critique l'immoralité des contes antiques et vante les enseignements contenus dans les contes modernes, c'est-à-dire dans les histoires qui, d'après Perrault, datent d'une période où le christianisme a vaincu le paganisme.

En 1695, un cahier calligraphié par un copiste et richement relié est offert à Mademoiselle, petite-nièce de Louis XIV. Il contient cinq « contes de ma mère l'Oye », expression générique inscrite dans une pancarte qui sert de cartouche au frontispice de F. Clouzier et qui signifie à l'époque « contes de bonne femme ». Le recueil contient, dans l'ordre : La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Barbe-Bleue, Le Chat botté, Les Fées. En février 1697, le recueil paraît chez Barbin, augmenté de trois nouveaux récits : Cendrillon, Riquet à la houppeet Le Petit Poucet. Il est accueilli avec faveur, repris en Hollande par l'éditeur pirate Moetjens et connaît au moins trois réimpressions avant la mort de Perrault. Dès les premières années du siècle, le recueil lui est attribué, attribution que conteste, mais peut-être avoue ainsi de manière détournée, la préface, signée Pierre Darmancour. Il y précise que ces « bagatelles » se racontent « dans les huttes et dans les cabanes » et explique que son seul mérite est d'avoir collecté ces contes. Tout au long du xviiie siècle, la plupart des récits en prose sont repris dans la littérature de colportage, puis réédités en tête du Cabinet des fées, vaste compilation en trente-sept volumes parue entre 1785 et 1787 et qui témoigne de l'intérêt qu'un large public porte à cette littérature traditionnelle. Remarquons en passant que la version en prose de Peau-d'Âne, généralement attribuée à Perrault, n'est pas de lui : elle a été publiée pour la première fois anonymement en 1781 dans l'édition Lamy, précédée d'une épître à Éléonore de Lubert, femme de lettres qui meurt en 1789.

Le succès des contes de Perrault, qui ne s'est pas démenti depuis leur publication, prend des proportions gigantesques au xixe siècle, en particulier après la loi de Guizot sur l'instruction primaire (1833). Le public populaire, au moment où sa culture est menacée par la diffusion de l'imprimé, semble s'être raccroché à ce recueil où il retrouve quelques contes de voie orale choisis parmi ceux qu'il aime le plus et rédigés dans un style sobre et efficace. C'est aussi l'époque où les romantiques, influencés par les recherches des frères Grimm, découvrent l'œuvre et la comparent aux plus grandes. En même temps, un public enfantin se constitue et se créent les premières « collection pour la jeunesse ». Les fameux récits y figurent naturellement aussitôt.[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur émérite à l'université de Paris-VII-Jussieu

Classification

Pour citer cet article

Marc SORIANO. PERRAULT CHARLES (1628-1703) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Charles Perrault - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Charles Perrault

Autres références

  • CONTES, Charles Perrault - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 212 mots

    Les Histoires, ou Contes du temps passé avec des moralités, de Charles Perrault (1628-1703), parurent tous les huit (La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Barbe-Bleue, Le Maître Chat, ou le Chat botté, Les Fées, Cendrillon, ou la Petite Pantoufle de verre, Riquet à la houppe...

  • ANCIENS ET MODERNES

    • Écrit par Milovan STANIC, François TRÉMOLIÈRES
    • 5 024 mots
    • 4 médias
    ...littéraire. Toujours en 1674, Quinault représentait avec Lully Alceste, tandis que Racine donnait son Iphigénie – deux œuvres inspirées d'Euripide. Charles Perrault (1628-1703), champion des Modernes, écrivait une défense de la première, sous le titre de Critique de l'opéra : le genre nouveau...
  • BARBE-BLEUE

    • Écrit par Marc SORIANO
    • 463 mots

    Héros d'un conte célèbre, Barbe-Bleue épouse puis tue plusieurs femmes, en prétextant un interdit violé, mais la dernière lui échappe par ruse et le fait mettre à mort. Le nom est devenu synonyme d'homme cruel et sanguinaire.

    Faut-il, avec l'abbé E. Boissard (1886), identifier Barbe-Bleue...

  • BASILE GIAMBATTISTA (1575-1632)

    • Écrit par Paul LARIVAILLE
    • 851 mots

    Napolitain engagé dans l'armée vénitienne, c'est lorsqu'il se trouvait en garnison dans l'île de Candie, que Giambattista Basile fut admis à l'Académie des extravagants, fondée par le noble vénitien Andrea Cornaro. Rentré dans sa patrie en 1608, il ne quittera plus le territoire de Naples que...

  • BELLE AU BOIS DORMANT LA

    • Écrit par Marc SORIANO
    • 427 mots

    Elle bénéficie de tous les dons possibles, mais un maléfice l'endort pour cent ans. Le prince charmant la réveille ; toutefois, ses épreuves sont loin d'être achevées. La Belle est l'héroïne du premier des Contes de ma mère l'Oye, recopié dès 1695 dans le manuscrit offert...

  • Afficher les 22 références

Voir aussi