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DENEUVE CATHERINE (1943- )

« L'élégance signée Deneuve », « la star intégrale », « la reine Catherine »... Il est vrai que la presse « people » ne s'interdit jamais les superlatifs, et ces quelques titres glanés au long de la carrière de l'actrice donnent le ton, sans oublier la sentence formulée par le magazine américain Look en 1968 : « La plus belle femme du monde ». Jugement entériné par la féministe Molly Haskell, qui ajoute « ... de l'écran ou d'ailleurs ». Mais cette beauté qui éblouit n'est-elle pas un mirage, une simple image de l'actrice distillée avec maestria et modération ? « More thanjust a pretty face » (« plus qu'un joli visage »), titrait le très sérieux Christian Science Monitor en 1981. Quel secret cache – ou désigne – une représentation aussi « lisse » de la femme ?

La femme dédoublée

<em>Les Demoiselles de Rochefort</em>, J. Demy - crédits : Sunset Boulevard/ Corbis/ Getty Images

Les Demoiselles de Rochefort, J. Demy

Née à Paris le 22 octobre 1943, Catherine Dorléac, fille du comédien Maurice Dorléac, débute dans Les portes claquent (1960) de Jacques Poitrenaud. Tandis que sa sœur aînée Françoise Dorléac (1942-1967) conserve son nom, Catherine prend celui de sa mère, qui fut aussi comédienne. Si on la remarque en 1963 dans le rôle de la vertu du Vice et la vertu, de Roger Vadim, alors son compagnon, elle est réellement révélée par Jacques Demy avec Les Parapluies de Cherbourg (1964). Ce rôle de belle jeune fille aux couleurs pastel marquera longtemps son image qu'on retrouve, sur le registre de la comédie, dans Un monsieur de compagnie (1964) de Philippe de Broca, ou La Vie de château (1966) de Jean-Paul Rappeneau. Ce n'est que plus tard que la cruauté profonde et la trivialité de l'univers de Demy, sous des dehors douceâtres, deviendront évidentes. Rien d'étonnant alors que Roman Polanski, fasciné comme Vadim par les jeunes actrices, choisisse déjà de lui donner un rôle alors très inattendu dans Répulsion (1965). Il utilise à merveille l'apparence glacée de blonde hitchcockienne de Catherine Deneuve et l'apparente naïveté qui émane de son personnage, dans le prolongement de la Geneviève des Parapluies de Cherbourg. Polanski, alors réalisateur du Couteau dans l'eau (1962), et son scénariste Gérard Brach misent sur une jeune femme chez qui « ce qui frappait, au premier abord, était son innocence et son petit air de sagesse sereine », avant que ne se révèlent des obsessions troubles et cachées. Ainsi Carole Ledoux, délaissée par sa sœur dans un appartement inconnu, est-elle livrée à ses fantasmes, ses peurs, ses désirs refoulés... Son esprit, habité par des pulsions d'adulte, reste enfermé dans un corps à peine sorti de l’enfance. La tension qui en découle débouche sur la folie.

Catherine Deneuve dans <it>Belle de jour</it>, de L. Bunuel, 1966 - crédits : Paris Film/ Five Film/ Album/ AKG-images

Catherine Deneuve dans Belle de jour, de L. Bunuel, 1966

L'apparente mesure classique de l'univers de Demy et les excès baroques de l'enfant terrible du jeune cinéma polonais, l'image de Geneviève protégée (à grand-peine) des intempéries dans son imperméable ciré et celle de Carole livrée en chemise de nuit à la brutalité imprévisible du « mal », caractérisent à merveille la dualité du personnage de Catherine Deneuve, que Luis Buñuel va révéler avec le cynisme et le mépris des conventions sociales qu'on lui connaît. Dans son « cinéma de la cruauté », Catherine Deneuve devient Belle de jour (1967), c'est-à-dire Séverine, l'épouse bourgeoise et réservée qui se prostitue à des clients pervers. Comme l'écrit Molly Haskell, « elle représente celles qui ont un jour imaginé ce genre de dégradation anonyme, c'est-à-dire toutes les femmes. Elle est à la fois un objet d'art et de sexe et un sujet qui s'abandonne volontairement ». Buñuel utilise l'image de Catherine Deneuve comme une plaque sensible où vient se cristalliser le désir du spectateur comme de la spectatrice. Avec Tristana (1970), le metteur en scène franchit encore un pas : il abîme[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. DENEUVE CATHERINE (1943- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Les Demoiselles de Rochefort</em>, J. Demy - crédits : Sunset Boulevard/ Corbis/ Getty Images

Les Demoiselles de Rochefort, J. Demy

Catherine Deneuve dans <it>Belle de jour</it>, de L. Bunuel, 1966 - crédits : Paris Film/ Five Film/ Album/ AKG-images

Catherine Deneuve dans Belle de jour, de L. Bunuel, 1966

Autres références

  • CARRIÈRE JEAN-CLAUDE (1931-2021)

    • Écrit par René PRÉDAL
    • 1 066 mots
    • 2 médias

    Fils de viticulteurs, Jean-Claude Carrière naît le 19 septembre 1931 à Colombières-sur-Orb (Hérault), où il passe son enfance. Alors qu’il a treize ans, ses parents prennent la gérance d’un café à Montreuil-sous-Bois. Dès le lycée, il est attiré par le cinéma et la littérature, pense devenir...

  • GARREL PHILIPPE (1948- )

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 090 mots

    Fils du comédien Maurice Garrel, Philippe Garrel est né en 1948 à Paris. Il réalise son premier court-métrage à seize ans (Les Enfants désaccordés, 1964). Un couple adolescent fait une fugue, puis se dispute, à l'image des parents. Le thème originel du cinéma de Garrel, la séparation, est déjà...

  • MA SAISON PRÉFÉRÉE, film de André Téchiné

    • Écrit par Laurent JULLIER
    • 907 mots

    Né en 1943, André Téchiné a suivi l'itinéraire classique des membres de la « seconde génération » de la Nouvelle Vague : entré en 1963 à l'I.D.H.E.C., il collabore dès l'année suivante aux Cahiers du cinéma. Il passe à la réalisation en 1970 avec Paulina s'en va...

  • OZON FRANÇOIS (1967- )

    • Écrit par René PRÉDAL
    • 1 097 mots
    • 4 médias
    ...d’Ozon reste Huit Femmes où chacune des vedettes féminines interprète une chanson. On y savoure donc le surjeu (Isabelle Huppert) ou son contraire (Catherine Deneuve) dans un huis clos scénique au décor digne de l’émission télévisée « Au théâtre ce soir », où se déroule un gigantesque et drolatique...

Voir aussi